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Arma Jackson : «Aujourd’hui on ne fait pas qu’écouter la musique, on la regarde aussi»
Découvrez Arma Jackson, l’artiste qui se cache derrière l’album très coloré Idéal. Et il a beaucoup de choses à vous confier…
Après deux EP, le Suisse Arma Jackson a dévoilé, Idéal, son premier album studio. « Le gars au bonnet », est revenu, pour Interlude, sur la création de son projet, son clip avec TayC, sa jeunesse, ses inspirations qui sont, entre autres, Michael Jackson et même Stromae, ou encore sa première rencontre avec Omar Sy. Il vous dit tout. Aussi bien à l’aise en chant, qu’en rap, Arma Jackson débarque avec son univers rythmé et solaire. Joyeusement mélancolique, son projet aura facilement le pouvoir de vous faire bouger la tête. Aux portes de l’été, l’arrivée de cet opus est plus qu’idéale.
Comment s’est passé le voyage depuis la Suisse ? Ça n’a pas été trop compliqué avec la situation actuelle ?
Tout s’est bien passé. Le plus chiant c’est le test PCR que tu dois faire pour venir en France, ou pour aller en Suisse. En plus il est gratuit ici mais chez nous il est payant et c’est 180 francs suisses, mais bon… j’adore venir ici en France.
Ton univers, et encore plus la cover de ton album, m’ont rappelé un artiste francophone. Si je te dis Stromae…
Dans la cover j’aurais dit Drake, mais il n’est pas francophone, donc au final non. Mais oui Stromae ! Plus jeune j’étais vraiment fan de Stromae, j’adorais sa musique, et encore maintenant, même s‘il ne fait plus de musique. Son univers coloré et son monde complètement marginal, j’adore les artistes qui ont des délires vraiment décalés de ce qu’il se fait habituellement. Il m’a beaucoup inspiré car il touche à tout, il compose, il écrit. Je compose et écris aussi. Les artistes qui ont la main mise sur tout m’inspirent beaucoup. Ryan Leslie aussi par exemple.
Comment définirais-tu ton style musical ?
Je ne sais pas encore bien définir ce que je fais. Je dirais que j’ai un univers coloré, avec une ambiance toujours ensoleillée, c’est peut-être grâce aux accords que je fais. Quand j’étais plus petit je faisais du rap, puis j’ai appris à composer et là j’ai basculé dans un style un peu plus House Rn’B ou dans la globalité Pop. Mais je garde un peu l’ADN rap, dans la manière de placer le syllabes, les rimes, on ne peut pas dire que ce soit que du chant.
Tu avais enregistré tes deux projets précédents depuis ta chambre, comment celui-ci a été produit ? Tu aimes toucher à tout…
Pour cet album j’ai quitté ma chambre, j’ai pris mes affaires et je suis parti (rires). J’ai voulu voir autre chose. Quand j’ai commencé la musique, dans un centre de loisir, j‘étais dans un groupe où on était 9 rappeurs et un beatmaker. Une seule personne faisait les prods, ça n’intéressait personne d’en faire, donc j’ai voulu moi, m’y intéresser. Je regardais, puis après je venais tout seul, j’ouvrais FL Studio et je m’entraînais. Je reproduisais « Crank That » de Soulja Boy Tell’em. J’avais pas les moyens d’avoir un beatmaker, alors je le faisais moi-même, et j’adorais.
Donc t’a composé tous les titres de cet album ?
Pour celui-ci non. C’est un certain confort de pouvoir tout produire soi-même. Pour Idéal je suis allé en studio, j’ai tout composé mais j’ai demandé de l’aide pour terminer certaines instrumentales, je voulais d’autres idées. Je suis vraiment dans une période où j’ai envie de travailler avec d’autres personnes, c’est important d’avoir des conseils. D’habitude les morceaux sont éparpillés, ça va dans tous les sens, j’ai toujours eu ce problème. Là mon travail a été de créer un fil rouge. Ce que j’aime faire quand je compose c’est mélanger les styles, les genres. C’est plus facile à faire quand t’es compositeur. Parmi mes potes j’étais celui qui touchait à tout.
Tu commences le morceau « Scientifique » par : «Elle me répond plus souvent depuis que je fais quelques zics. » Ta notoriété grandit, qu’est-ce qu’elle t’apporte aujourd’hui ?
C’est pas forcément mauvais, mais tu vois que les gens ont un intérêt envers toi. Je ne suis pas suffisamment connu pour avoir de mauvaises situations je pense. Mais avoir des yeux rivés sur toi c’est une sensation chelou. Des filles viennent te parler pour ce que tu fais en fait. La notoriété c’est pas naturel pour moi. T’es surélevé tout seul avec un micro, et des gens sont en-bas et te regardent, c’est un concept bizarre. Si les martiens arrivaient ils se diraient « mais ils font quoi eux ? » (rires). En Suisse c’est culturel, si tu croises quelqu’un de connu tu ne vas pas aller le voir…
…Pour avoir plus de visibilité faut tourner autour de Paris. Pour la Belgique ou la Suisse c’est la même chose : tant qu’on ne t’a pas validé à Paris on ne te soutient pas vraiment. Mais quand tu rentres et que t’as été validé en France les gens disent « Oh ça vient de chez nous ! » Les Belges je suis sûr qu’ils diront pareil, c’est triste mais c’est comme ça.
Le titre « Flash », c’est l’art de rendre un sujet triste un minimum joyeux, notamment grâce à la prod. Pourquoi avoir choisi une instrumentale solaire pour parler d’une rupture amoureuse ?
C’est en lien avec le clip qui est joyeux en fait, parce que le morceau raconte une peine de coeur. Dans le clip je m’exile, je pars vivre en forêt, et je tombe sur les traces d’un Bigfoot, j’essaie de l’appâter avec du poulet, après des chewing-gums et au final on devient pote et il me fait oublier ma peine de coeur. Le clip est improbable ! C’était l’idée d’Yro, mon directeur artistique (il fait semblant de pointer du doigt). le morceau c’est une fusion, j’aime tout mélanger, créer des contrastes. Des fois faut m’arrêter (rires). J’essaie de créer un univers très visuel, un peu dans l’idée de Wes Anderson, le réalisateur de The Grand Budapest Hotel, où tout est symétrique, coloré. J’essaie de m’inspirer des plus grands, je pense que c’est important de travailler aussi bien le visuel, que la musique. Aujourd’hui on n’écoute pas que la musique, on la regarde aussi.
On va revenir sur l’album après. Je voudrais que tu me parles de tes rencontres avec Youssoupha et Omar Sy…
Philo, le producteur de Bomaye Musik, me repère en 2017, et ce label a été créé par Youssoupha. A cette époque je faisais des vidéos dans ma chambre où je produisais, un peu comme Stromae faisait. Je rencontre d’abord Philo puis ensuite Youssoupha et je finis par signer avec le label.
Omar Sy c’est totalement différent. J’étais chez moi, le jour de mon anniversaire le 23 janvier. Mon manager m’appelle, et je n’avais même pas vu. Il me laisse un message en me disant « mec décroche tout de suite ! Je dois te dire un truc c’est fou ! Je viens d’avoir France 2 au téléphone, ils préparent l’émission Vivement Dimanche de Michel Drucker. Leur invité c’est Omar Sy, et il veut t’inviter. » Sur le coup je n’y crois pas. Je raccroche, et moi je pensais que c’était une vanne, vraiment. Je monte à Paris, et jusqu’au moment où il vient vers moi et qu’il me check, j’avais dû mal à y croire. Depuis on se suit, il partage mes publications… il me soutient vraiment ! Mais on n’a jamais eu l’occasion de se revoir. Je n’ose pas vraiment le démarcher (rires). Enfin bon c’est une vraie chance. Ca fait plaisir.
Il me semble qu’un autre artiste t’inspire énormément, c’est Michael Jackson…
Michael Jackson ce n’est pas que moi, c’est tout mes potes aussi ! On était tous fans de lui. Souvenez-vous de l’époque de Facebook quand tout le monde changeait son nom. A son décès on mettait tous un pseudo et en nom « Jackson », et depuis c’est resté. Je devais avoir 12 ans, c’était très naïf. Mon nom vient de là. Il m’a inspiré en tout : sa vision artistique, ses clips, ses pas de danse… quand je disais qu’un artiste a besoin de dégager quelque chose, au-delà de sa musique, c’est le parfait exemple ! Michael Jackson tu fermes les yeux, tu le vois, c’est un symbole. Ses chansons, les clips, la veste rouge, le gant, franchement… c’est magique ce qu’il a fait. Au final j’ai commencé la musique à cette période et je me suis dit que ce nom devait me suivre. « Arma » c’était « Armafricaine » au début quand j’avais commencé le rap avec mon groupe « BoysThug », et un jour un grand m’a demandé mon nom, il s’appelait Petterson, et quand je lui ai dit, il l’a écourté en « Arma », et c’est resté, il a coupé le reste sans problème (rires). Voilà Arma Jackson.
On revient sur ta musique. Tu collabores avec Di-Meh, qui est Suisse aussi. A part ce lien, comment s’est faite la connexion ? Dis-nous en plus sur Tayc aussi…
On se connaît tous en Suisse, et on a sympathisé pendant le premier confinement en mars 2020, en même temps que la création de mon album au final. Lui et moi on s’entend super bien donc naturellement on a commencé à faire du son. On a fait plusieurs morceaux même, pour tout te dire. Il a un super univers et c’est un vrai bosseur. En studio, quand tout le monde est fatigué c’est le genre de gars qui va dire « allez let’s go on enchaîne », il a faim de musique, et ça reflète ce qu’il donne sur scène. C’est une bête. Il est très pluriel, et pour moi c’est le meilleur dans cet univers. Je suis presque en train de le vendre ahaha.
Tayc avait découvert en 2019 ce que je faisais, et à ce moment-là il était pas aussi connu qu’aujourd’hui (Arma se met à chantonner « Moi je prouve », un morceau de Tayc en featuring avec Barack Adama). Il venait de sortir ce morceau. Il m’avait envoyé un message en me disant qu’il appréciait mon travail. J’ai écouté ce qu’il faisait et j’ai grave kiffé, donc 6 mois plus tard je lui ai proposé un featuring. Le morceau porte bien son nom, il a été fait à distance, puis je lui ai soufflé l’idée du clip et il a tout de suite accepté. Il est bienveillant, humble, c’est un mec en or. Il a donné de sa personne comme si c’était son clip. Quand j’ai envoyé le script à Tayc je me disais « je crois qu’il va me prendre pour un bouffon » (grand sourire). Il devait être jardinier, livreur de pizza, facteur, que des trucs décalés, et il s’est donné à 2.000%. Il est vraiment rentré dans mon univers, et c’est génial. J’aurais pas osé lui proposer le costume de Bigfoot à Tayc par contre (rires).
Ton morceau « Exit », qui est plutôt festif, est entre deux morceaux mélancoliques. C’était un choix de mettre tes morceaux dans cet ordre ?
Quand je créais la tracklist, je cherchais à faire les choses différemment. Pour moi un album c’est comme un livre, c’est une suite d’actions. Je voulais créer un relief, je n’aime pas le côté plat ou attendu des choses. C’est une expérience qu’on offre aux auditeurs. J’aime surprendre. Un peu comme dans les Marvel, j’aime vraiment leurs films. T’es concentré sur quelque chose et là il se passe un évènement auquel tu ne t’attends pas du tout. Mon préféré c’est Avengers : Endgame. Robert Downey Jr, dans l’univers Marvel ou Sherlock Holmes je le trouve incroyable, très imprévisible. Il a toujours un coup d’avance. Comme Dr House, c’est un génie incompris. En fait leurs arts les connectent au monde réel, et j’adore ça. Ce qui faut à la fin c’est être surpris.
Dernière question sur le projet. Comment on termine bien un album selon-toi ? Il me semble que tu laisses couler l’instrumentale de « Top »…
A la base je voulais mettre juste une instrumentale à la fin, comme si c’était un générique. Mais après avec mon équipe on a réfléchi et on a décidé de ne rien mettre. Je me suis vengé quand même en laissant la prod de « Top » se terminer sans aucune parole. Je voulais faire parler le compositeur et pas le chanteur cette fois. C’est comme si c’était la fin d’un film en fait. Stromae avait fait ça aussi avec son morceau « Merci ». J’ai créé ce titre dans l’idée de le faire en live, un jour, avec un synthétiseur.
Arma, pour quelle raison pourrait-on se revoir ?
Peut-être pour une réédition, c’est dans un coin de ma tête. Mais je suis en pleine réflexion. Sinon lors de concerts, venez en Suisse. Je joue au Montreux Jazz cet été, puis j’ai une autre date à Lausanne. Je ne sais pas comment ça se passe en France avec la situation sanitaire, mais pour l’instant je n’ai pas de rendez-vous. On verra en fonction de tout ça.