Interviews
Diogène MK : rappeur et prof de maths
Parce que son groupe Réplik2Parias sort un album dans quelques semaines, et parce que le parcours de ce MC est atypique, on a rencontré Diogène MK aux Tontons bringueurs, un bar du 20ème arrondissement qu’il affectionne particulièrement. Les murs sont recouverts d’affiches de films, et nous sommes à deux pas du studio dans lequel il répète. Rencontre.
Diogène MK, parle-nous un peu de toi, d’où tu viens… et surtout comment tu es tombé dans le rap ?
J’ai grandi dans le 77, et j’avais des amis du 93, j’allais souvent chez eux pour faire du foot. On a commencé à écouter des instrus de Dr. Dre et d’Eminem, et on faisait des impros dessus. Ça nous plaisait grave, si ça marche bien en improvisation, alors pourquoi pas écrire ? On a fondé un groupe qui s’appelait L’hôpital, chaque MC représentait un métier dans l’hôpital, moi par exemple j’étais le directeur en psychiatrie, j’avais un pote c’était le radiologue. Quelques années plus tard, j’étais à la fac de maths, et quand j’ai arrêté la fac j’ai sorti mon premier maxi en 2009 qui s’appelait Mine D’Amertume. J’ai rencontré Sizif, il m’a fait rentrer dans un groupe qui s’appelle Réplik2Parias, et ça fait maintenant 6 ans qu’on est ensemble. D’ailleurs notre album sort le 31 octobre. J’ai également rencontré un beatmaker, et avec un autre pote on a sorti notre projet avec Fu Maga. Mais aujourd’hui j’accorde plus d’importance à mon métier de prof de maths au collège.
Ce qui est intéressant avec toi justement, c’est que tu n’es pas seulement rappeur, mais aussi professeur de mathématiques ! Est-ce que tes élèves te reconnaissent ? Comment t’arrives à concilier les deux ?
Je voulais être prof avant d’être rappeur, c’est mon rêve depuis que j’ai 8 ans. Et honnêtement, si je n’avais pas rencontré le rap, peut-être que je n’aurais pas osé… Tu sais quand tu fais une scène avec 500 mecs, dix fois plus balaises que toi, qui sont prêts à te balancer des canettes si t’assures pas, et que finalement t’arrives à t’en sortir, tu te dis que c’est pas 30 adolescents qui vont te faire peur.
En plus j’ai été un élève en difficulté, et je connais leur langage, leurs problèmes. Surtout là où je travaille. Du coup on travaille bien ensemble. Les élèves aiment bien la musique, donc au final je le dis. Quand je bossais avec Kash Leone, en tant que backer, on faisait énormément de dates, du coup j’en ai parlé avec mon directeur à l’époque et on a monté un atelier rap qui a super bien marché. On a emmené les gamins à un concert par exemple ! Avec toutes les actualités qui arrivent, je préfère le dire. Les gamins quand ils cherchent ils trouvent.
Tu penses qu’on peut apprendre grâce au rap ? Ça peut être une méthode de pédagogie ?
Oui bien-sûr, d’ailleurs j’ai même une idée de projet. Le but serait de les faire enregistrer en studio, et à terme de les faire jouer à la fête du collège. J’en ai parlé à la directrice de l’école qui est super partante. La prof de français est chaude pour l’écriture des textes, le prof d’histoire géo ça peut aider, le prof d’anglais qui veut les faire rapper en anglais parce qu’elle adore le rap US, forcément avec la prof de musique et le prof d’EPS pour l’expression corporelle. J’espère vraiment que ça va pouvoir se faire parce que je sais que ça peut leur plaire. La directrice voit ça comme un moyen de les raccrocher aussi. Être un rappeur à texte sans ouvrir un minimum de bouquin c’est pas possible. T’es obligé de voir le monde qui t’entoure, le rap c’est une musique qui vient des tripes. Et puis cadrer les élèves c’est important aussi, leur expliquer que la vie c’est pas les boites, la drogue et les femmes faciles, comme ils peuvent l’imaginer en voyant certains clips de rap.
Quelles sont tes influences ?
Quand t’écoutes mes sons tu reconnais directement mes influences ! Avant j’aurais pu te dire La Rumeur, ou Casey, j’aime bien NTM à l’ancienne. Ma grande sœur m’avait fait écouter l’École du Micro d’Argent et ça m’a fait aimer le rap. Aujourd’hui j’écoute beaucoup de Jazz, ou du Nina Simone par exemple.
Si tu devais choisir un album rap et un album hors rap ce serait quoi ?
Rap US si je ne devais choisir qu’un album, ce serait Illmatic de Nas. Sinon j’ai pas d’idée d’album précis en tête, mais j’adore Nina Simone, Claude Nougaro, Ferret, Brassens. C’est ce qui manque à la musique aujourd’hui.
Tu cites des grands paroliers, qu’est-ce qui est le plus important selon toi, la prod ou les textes ?
Pour moi les deux sont complémentaires. Je crois pas que tu puisses vraiment aimer un son si t’aimes juste le rappeur et que t’aimes pas l’instru. Certes Booba dit un « bon rappeur Fuck la prod » Mais bon, ça c’est vrai que pour les freestyles ! Même si l’instru te plaît pas, t’as pas le choix tu te lances. J’ai des amis qui arrivent à écrire sans la prod, c’est pas mon cas. La prod me met dans l’ambiance.
Est-ce que tu te définis comme un artiste engagé ?
Mon groupe ce ne serait pas Réplik2Parias, et mon blase ce ne serait pas Diogène. Diogène c’était un philosophe qui se moquait ouvertement des conventions sociales, et du bien paraître. Lui il faisait tout pour être mal vu. Avec Réplik2Parias, on se veut chanter l’hymne des exclus, la parole qu’on s’arrache parce que sinon on nous la donnerait pas ! On est tous les parias de quelqu’un et on s’en contente parfaitement, parce que je préfère être un paria dans une société où je n’accepte pas le système, plutôt qu’accepté par cette société. C’est difficile de se conforter à un système dans mon métier, et se confronter à un autre schéma dans mon rap. Parfois quand je fais cet atelier avec ces gamins j’ai un peu le cul entre deux chaises. Finalement avec ces gamins on connait les mêmes trucs du quotidien. On sait comment se parler. Mais moi je vais pas citer d’homme politique : quand ils seront remplacés ça pourrait les légitimer face à des gens pas forcement meilleurs !
Ton crew et toi vous vous revendiquez puristes ! Vrai ?
Ouais et d’ailleurs on rappe sur tout, même sur des samples de jazz et de rock !
Qu’est ce que ça veut dire aujourd’hui être puriste dans le rap ?
Alors certains disent que le rap c’était mieux avant, parce qu’ils ont pas écouté de nouveaux artistes qui sortent. C’est pas une question d’instru de trap, c’est juste un moment où tu te dis soit tu fais de la variet’, soit tu fais semblant d’être un artiste engagé, ou soit tu t’engages vraiment dans ce que tu dis. C’est surtout être en accord avec ce que tu dis ou ce que tu fais. Croire en ce que tu dis. La base du rap c’est la vérité, c’est une musique de vérité ! Tant que tu ne racontes pas de mensonges, t’es puriste. L’essentiel pour moi c’est la scène, tu ne peux pas mentir sur scène.
Justement parle moi de ton actu, là t’as un album qui sort fin octobre avec ton crew Réplik2Parias ? T’as des scènes de prévues ?
On commence à en chercher, pour Fu Maga on a une scène prochainement. Pour Réplik2Parias, on commence à sortir de plus en plus de vidéos, et on recommence les scènes pour se faire plaisir. Moi je conseille à n’importe quel jeune qui commence à rapper de commencer à faire de la scène, de jouer avec les gens.
Est-ce que tu penses que le rap doit être violent pour être puissant, pour être efficace ?
Tu peux être violent dans l’image comme tu peux être violent dans le fond. On dit pas forcement des gros mots, mais on parle de ce qui nous parle. Oxmo Puccino il est tout doux et pourtant j’adore. Chez Léo Ferret ou Jean Ferrat il y a une vraie violence, chez Renaud aussi. Sur le fond je pense que le message doit être violent, parce que le vécu est violent et tes textes doivent l’être aussi.
Comment te vient l’inspiration ? Dans quelles conditions écris-tu ?
L’inspiration elle me vient du quotidien, j’y pense tout le temps, quand je marche, quand je conduis… D’ailleurs si aujourd’hui on me proposait de vivre que du rap, je n’accepterais pas parce que c’est un équilibre. Mon métier de prof me nourrit complètement. Si j’avais que le rap dans ma vie j’aurais rien à dire, avant d’être prof j’ai été éboueur… J’ai fait plein de petit boulots qui m’ont aussi donné une expérience.
Tu te définirais comme un rappeur parisien ?
Ouais clairement. Que ce soit dans mes textes ou quoi, j’utilise de l’argot parisien ! Mais il n’est pas question d’être identitaire par rapport à Paris. C’est juste que je parle comme là où j’ai grandi. Même si t’évolues, le naturel revient au galop.
Il y a un sujet qui te tient à coeur sur lequel tu souhaiterais t’exprimer ?
Euh… Le burkini ? Non je déconne. Je pense qu’on a fait le tour, pour les actus avec Fu Maga on commence à préparer quelques scènes. Le 31 octobre, on sort l’album Quand les Parias Répliqueront de Réplik2Parias.