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Scylla : « J’ai envie de partager des choses vraies, essentielles, avec mon public »

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2HIF a eu le plaisir de rencontrer le rappeur belge Scylla, la veille de son concert à Paris, au New Morning. Zoom sur ce lyriciste de talent, les dessous de son dernier album, « Masque de Chair » et son rapport à la spiritualité.

2HIF – Bonjour Scylla, le 31 mars sortait ton dernier projet « Masque de Chair ». Comme ce fut le cas pour tes précédents, celui-ci est très personnel. Quels sont tes objectifs artistiques avec cet album ?

Scylla – Si cet album est plus personnel, l’objectif n’est pas pour autant égocentrique et thérapeutique. Ça l’est toujours d’une certaine manière, mais c’est créer dans son ensemble qui est thérapeutique. Moi, ce que je vise en premier lieu, c’est le partage. Mon rapport à l’«autre» est constant, j’ai envie de partager des choses vraies, essentielles, avec mon public. Quand je dis « essentielles », je veux dire que je tente de bannir toute forme de superficialité, pour aller vers des thématiques plus profondes et universelles comme l’amour, la vie, la mort… Et surtout pas de manière pesante ! Ces sujets sont actuellement très tabous. On est dans l’ère de la tyrannie du divertissement : un très grand nombre d’auditeurs de rap écoutent cette musique avant tout pour s’amuser. Alors c’est très bien, c’est important de s’amuser (sourire) ! Mais quand parle-t-on de choses essentielles telles que la spiritualité, les relations humaines, le sens de la Vie ?  Je ressens intensément ce vide dans les échanges entre les êtres humains. J’ai eu envie d’agir à mon échelle.

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Dans le rap francophone, très peu d’artistes savent utiliser l’autotune correctement.

Justement, tu viens de parler des morceaux qui sont faits surtout pour se détendre, et dans ton album, il n’y a aucun son que l’on pourrait qualifier de « format radio ». Maintenant, beaucoup d’artistes, quand ils conçoivent leur album, font des sons plus underground et hip hop et d’autres plus ouverts et accessibles, avec très souvent du vocoder ou de l’autotune. T’en penses quoi de tout ça ? Tu songes à le faire ou ça ne t’intéresse pas du tout ?

Je ne suis pas contre l’autotune en soi. Je constate simplement que, dans le rap francophone, très peu d’artistes savent l’utiliser correctement. En ce qui me concerne, maintenant, je trouve que l’autotune est un « masque » supplémentaire. Il n’entre donc pas dans la philosophie de cet album, qui est justement de faire tomber un maximum de masques. Pour ce qui est des artistes dont tu me parles qui, sur leurs albums, cherchent à créer des formats « underground » pour se faire valider par une fanbase rap et des formats « radio » pour conquérir d’autres publics, je connais la stratégie, bien sûr. Elle a fait ses preuves. Mais on parle là de marketing. Personnellement, je ne parviens pas à intégrer le marketing dans ma création et à faire de mon art un objet de marketing, dès le stade de la création des titres. L’art que je pratique est (heureusement ou malheureusement) sauvage et non apprivoisable…

Donc quand tu écris un morceau, tu ne te fixes aucun objectif ou tu t’imposes quand même une certaine direction ?

La seule direction que je m’impose, c’est la volonté de partager quelque chose qui me plaît à moi et à mon public. Quelque chose dans lequel je trouve du sens, quelque chose d’essentiel, comme je le disais avant.  J’aime pouvoir prendre des risques. Par exemple, lorsque je sors en 1er lieu un clip comme « Qui suis-je ? », je sais que je suis dans un format OVNI. Il a finalement bien été accueilli par le public, mais c’était un risque. Je ne fais encore une fois pas dans le consensuel.  Je préfère incarner quelque chose auquel je crois, même si c’est plus difficile et que le risque d’échec est plus élevé. Et franchement, ça peut créer de très belles surprises. Pour l’instant, ça s’est toujours bien passé. On verra pour la suite…

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L’objectif quand on tourne un clip, c’est de rester dans quelque chose de naturel et qui illustre le mieux possible les morceaux.

Et comment t’en es venu à créer ce genre de clips ? On peut voir une vraie évolution entre les clips d’Abysses et de Masque de Chair, tu t’es inspiré de films ou d’autres artistes ?

Non, c’est une évolution qui s’est faite naturellement. Je travaille titre par titre, le clip de « Qui suis-je » est très différent de celui de « Vivre » par exemple. La direction est avant tout esthétique. L’objectif est de rester dans quelque chose de naturel et qui illustre le mieux possible les morceaux. « Vivre » est beaucoup plus lumineux que « Qui suis-je ? ». C’est volontaire car je traite d’un sujet qui peut être considéré comme « dur » (je parle à l’esprit de ma mère, paix à son âme) mais je le fais volontairement sur une prod plutôt légère et apaisante, et je tourne le clip dans les montagnes, au grand air et au soleil. C’était important pour moi de ne pas tomber dans un cliché mélodramatique. Malgré la perte de ma mère, j’ai appelé ce titre « Vivre » et non « mourir », ce n’est pas pour rien…

Être en quête de certitudes, c’est une réelle torture…

Tu parles de la différence entre « Vivre » et « Mourir ». Entre Abysses et Masque de Chair, il s’est passé quatre ans, et on ressent une vraie évolution dans ta manière de penser. Ton dernier album est bien plus apaisé ; dans Abysses tu cherchais beaucoup de réponses, et là on dirait plutôt que tu les apportes. Comment en es-tu arrivé à cet accomplissement ?

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Il y a quelques années, au moment de la création d’Abysses, j’étais plus tourmenté. J’étais en recherche d’une certaine forme de certitude. Et être en quête de certitudes, c’est une réelle torture. Aujourd’hui, je ne cherche plus de certitude. Je n’ai pas cette prétention. Je m’intéresse beaucoup à la spiritualité de manière générale, toutes traditions confondues. Dans ce domaine, les gens disent (forcément) tout et son contraire.  Au bout d’un moment, il faut avoir l’humilité d’accepter que personne n’aura jamais les réponses définitives aux questions existentielles. J’ai donc appris à préférer les points d’interrogation aux points d’exclamation (sourire).

Et c’est cette recherche qui explique ta longue absence ?

En partie.  Mais mon absence est également due aux événements que j’ai vécus (décès de plusieurs proches consécutivement NDLR). Tu sais, comme je te le disais, j’ai un rapport très sauvage à la musique. J’ai besoin de liberté, je ne suis pas domesticable. Je sais qu’il vaut mieux enchaîner rapidement les projets, sinon on t’oublie vite fait. Mais j’avais besoin de me retrouver avec moi-même. Après la sortie de l’album Abysses, j’avais commencé à explorer le délire des « capsules d’oxygène ». Au final, je n’en ai sortie qu’une seule (Triangle des Bermudes NDLR).

Pourquoi ?

Parce que j’ai rencontré le pianiste Sofiane Pamart, c’est sa faute (rires) ! Plus sérieusement, j’ai eu un coup de foudre pour la forme musicale qu’on a développé ensemble : un piano, une voix, rien de plus. Ça m’a fait kiffé ! J’ai été exclusivement là-dedans pendant environ 2 ans. Après cette période, j’ai de nouveau eu un appel pour le kickage rap « traditionnel ».  Mais bon, j’ai beau avoir besoin de liberté, je t’avoue que j’ai moi-même trouvé mon absence longue (sourire) ! Le partage direct avec mon public m’a beaucoup manqué ! J’ai la grande chance d’avoir un public ouvert d’esprit, très fidèle et… bouillant ! À l’avenir, j’aimerais donc être plus présent, que le partage puisse s’installer à plus long terme. En espérant que mon inspi ne soit pas trop capricieuse (sourire).

Tout à l’heure tu parlais de spiritualité. C’est un thème qui est vraiment omniprésent dans ton album, alors qu’il l’était très peu dans tes autres projets, ou en tout cas pas de cette manière. Tu parles souvent de réincarnation par exemple. Comment ça t’est venu ?

On touche exactement à ces fameux « points d’interrogation ». Je ne connais pas de manière pointue la théorie de la réincarnation, mais elle me reste dans un coin de la tête. Elle pourrait expliquer pas mal de choses en fait : connexion « spéciale » avec des gens qu’on connaît parfois très peu, voire qu’on n’a même jamais rencontrés. J’aime l’idée. Comme je le dis dans le titre « Enchanté » : « j’ai envie d’y croire juste parce que l’idée me paît ». Je ne sais pas si ça existe vraiment, et je m’en fiche, je ne veux pas la réponse, mais je trouve l’idée vraiment intéressante…

Je crois que le besoin de partage et de créativité fait partie de ma nature profonde.

Et est-ce que cette spiritualité a changé ta manière de rapper et de voir le rap ?

Au-delà du rap, elle a changé ma façon de voir la vie en fait ! Ça fait très longtemps que je m’intéresse aux questions spirituelles.  Quand t’es intéressé par ça, t’es forcément dans une forme de torture, dans cette opposition entre le monde matériel et le monde spirituel. Chacun résout ce problème à sa manière, en accord avec sa personnalité et ses croyances. Je crois que le besoin de partage et de créativité fait partie de ma nature profonde. J’introduis donc naturellement mon intérêt pour la spiritualité dans ce que je crée.

Un autre thème qui revient très souvent, autre que la spiritualité, c’est l’assassinat de prod’. Ça vient d’où ce délire ?

C’est une vieille manie. J’ai un petit côté tueur en série que j’aime bien (rire). C’est un des trucs que j’ai toujours aimé dans le rap, ce côté « gladiateur », martial. Même dans les morceaux calmes, je suis très extrême, je vais toujours essayer de pousser au maximum le côté émotionnel. Pareil dans les morceaux plus agressifs du coup, j’ai toujours ce même délire qui revient. C’est une manière d’amener un peu de jeu dans la création. Je préfère passer mes nerfs sur une prod que sur quelqu’un (sourire).

Donc tu choisis tes prod’ avant d’écrire ou l’inverse ?

J’écris sur les prod’ qui me parlent. J’en reçois beaucoup, toutes celles qui m’inspirent sont dans un dossier, et dès que j’ai du temps pour écrire, j’écoute ce dossier et je gratte sur la première qui correspond à mon inspiration du moment. Souvent je commence et je ne sais même pas où ça va me mener, puis ça prend une forme et ça donne un thème, comme si c’était mon inconscient qui me guidait.

Un album, c’est un peu comme un être vivant, il a une âme, un esprit.

Pour l’album, est-ce que tu as jeté beaucoup de sons ? Pourquoi ?

C’est marrant que tu me demandes ça, parce que je me faisais la réflexion sur Abysses, où j’ai enregistré le triple de titres. Certains auraient même pu mieux fonctionner que ceux qui sont présents sur l’album. Mais quand je crée un album, je lui donne une couleur que je veux cohérente. Certains titres n’ont donc pas leur place. Un album, c’est un peu comme un être vivant, il a une âme, un esprit. Il faut donc qu’il ait un équilibre général. Mais en toute honnêteté, je regrette parfois de ne pas avoir sorti de sons de manière plus régulière, plus instinctive. Parfois j’écoute certains morceaux et je me dis que j’aurais dû je les sortir à l’époque ! Avec le recul, je suis persuadé qu’ils auraient vraiment bien fonctionné !

Focus sur « Mon Etoile », cette fois. Dans ce titre, tu dis « Le bonheur est une question de choix ». C’est quelque chose que tu n’exprimais pas clairement avant. Que veux-tu dire par là ?

Le titre « Second Souffle » disait un peu ça, en fait. Quand il t’arrive quelque chose, tu as le choix entre le voir d’une manière positive ou négative. Je te donne un exemple : on tourne le clip « L’Etoile », on part dans le désert du Sahara au Maroc. Objectif : tourner au lever et au coucher du soleil.  Et quand on arrive, violentes tempêtes de sable ! Soit tu t’apitoies sur ton sort et tu te dis : « je suis dégoûté, j’ai fait le trajet pour rien, j’ai perdu de l’argent…». Soit tu te dis « Je prends ça comme une opportunité. On protège les caméras et on tourne dans la tempête. Tant pis pour le coucher et le lever de soleil. Ce que mon étoile me ramène est ce qu’il doit se passer ! ». Prendre tout comme une opportunité, ne pas essayer de remonter le cours du fleuve de la Vie, il va t’emmener là où tu dois aller.  Voir la vie de cette façon, c’est un choix !

Ça rappelle un peu l’idée du destin ce que tu dis, non ?

Un peu, sauf que le  destin, tu peux le voir d’un côté plus fataliste. C’est donc non seulement le principe de destin, mais aussi le fait qu’une personne ne doit pas « subir » simplement les choses, mais qu’elle est actrice de la perception qu’elle a de ce qui lui arrive ces choses.  « Quoi que mon étoile me ramène, je compte lui ouvrir grand les bras ». Même si tu vis des choses difficiles, tu peux choisir d’y voir l’opportunité et la saisir. Finalement, c’est toi qui donnes le sens à ta vie, c’est ton choix.

Propos recueillis par Margot Naepels

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