Musique
Skia : «Ça fait trois ans que les étoiles s’alignent tout le temps au bon moment»
Avec Sensible, un premier projet de six morceaux, Skia se découvre entre sensibilité et énergie.
«T’sais la meuf avec des lunettes», décrit-elle sur Instagram. Disons que c’est plutôt humble. Parlons plutôt de «la meuf avec des lunettes, manipulant les rimes, la corde sensible, la vulnérabilité avec un soupçon d’égo-trip». Skia est le mélange d’un philtre difficilement descriptible, mêlant des ingrédients allant du pop-rock aux X-Men en passant par Nekfeu. Un socle rap, presque sans trop le savoir, sur lequel elle a bâti un univers beau, touchant, enivrant. Sensible, son premier court tableau de six morceaux, plonge dans ce monde dans lequel on ne fait qu’effleurer son infini potentiel. Rencontre.
Pour commencer, parlons de tes influences, tu dis avoir été d’abord séduite par le rap actuel puis ensuite le old school, raconte moi ton parcours en tant qu’auditrice de rap.
C’est le rap « new school » qui m’a fait découvrir le rap, j’ai vraiment kiffé. J’écoutais du rap depuis longtemps sans vraiment me dire que c’était du rap, avec Diam’s, Soprano. Et avec Nekfeu, j’ai demandé ce que c’était et on m’a dit « du rap ». C’était en 2015 avec Feu. J’écoutais beaucoup de pop-rock avant et un peu de rap mais je n’avais pas du tout cette culture là. Et ensuite, je suis allé voir tous mes potes qui aimaient le rap : « Donnez-moi des albums, des artistes à écouter ». Je suis allée écouter les X-Men, 3ème oeil, R.E.D.K, Lino. Le rap old school m’a énormément aidé à travailler la plume, et le rap actuel la forme.
Quand on écoute tes textes, c’est touchant, on sent que tu essayes de raconter des choses à chaque fois, tu as toujours bien aimé écrire ?
J’ai longtemps prioriser l’écriture et limite ce n’était pas beau à écouter. J’ai toujours adoré la musique, c’était inaccessible pour moi et si je devais m’imaginer faire de la musique dans ma vie, je me voyais chanteuse et on écrirait des textes pour moi, c’est avec le rap que je me suis vraiment mise à écrire. C’est avec mon producteur que j’ai appris à travailler la forme autour des textes.
«L’égo-trip me permet de dire tout ce que je ne peux pas dire par bienséance»
Dans un de tes textes, tu dis « Je suis une fausse couche d’Orelsan ». Orelsan c’est une grande source d’inspi pour toi ?
Il dit dans San : «J’ai fait des rappeurs, j’ai fait des fausses-couches» en parlant des artistes qu’il a influencés et j’assume totalement. Je fais parti de ses gens-là. Ça fait parti d’une de mes inspirations, sa façon d’écrire, c’est quelque chose que j’aime bien. Le cynisme dans ses textes, je suis très fan.
Il y a un trait de ta personnalité qu’on ne peut pas louper, c’est ta sensibilité. Tu la revendiques et l’assumes totalement, c’est important pour toi de rester sincère dans tes textes ?
Merci à mon producteur (rires). Avant, je parlais très peu de moi et c’est lui qui m’a poussé petit à petit. Mon titre « Allô maman », ça a été l’un des premiers textes où j’ai pris ce virage en parlant de moi. Et petit à petit, j’ai trouvé ça cool, j’aimais bien, tu règles des problèmes qui sont dans ta tête en écrivant. C’est ça qui m’a permis d’assumer mon côté sensible.
Tu as également fait quelques morceaux beaucoup plus égo-trip, il y a un grand écart entre ta sensibilité et ce que tu peux raconter dans ces morceaux. Comment tu arrives à passer de l’un à l’autre ?
Pour moi être sensible, ce n’est pas pleurer et être triste, c’est que tes émotions sont accrues. L’égo-trip, je ne peux pas en écrire tout le temps, je vais avoir des phases avec toutes les punch’ que j’aurais voulu dire à des gens. L’égo-trip me permet de dire tout ce que je ne peux pas dire par bienséance. J’assume ce que je dis car avec l’égo-trip, c’est une partie de toi qui parle, ton égo. C’est comme un sportif qui se met à bloc avant sa course, on se motive. Et puis c’est de la musique, on met en exergue certaines émotions.
«Les refrains, c’était ma bête noire»
Tu as commencé avec pas mal de morceaux assez courts sur Instagram, aujourd’hui tu débarques avec un projet avec des titres complets. Comment tu es passé de l’un à l’autre ?
Au studio, on a travaillé beaucoup de morceaux qu’on a stockés le temps de voir quelle direction artistique, quelle image, quel message on voulait envoyer. Et à côté de ça, j’essayais de faire des petits sons assez courts pour catcher les gens sur les réseaux. Et je kiffe bien ça, c’est plus facile que des morceaux avec des messages… Avant, les refrains c’était ma bête noire, c’était quelque chose que je n’arrivais pas à faire. Les couplets, selon les titres, ça peut mettre quelques jours ou quelques mois. J’écris cinq lignes et je m’y remets des mois après. Le côté « mélodie », j’ai un peu plus de mal. Petit à petit, je commence à capter le truc, mais je suis plus à l’aise dans les freestyles.
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Tu viens de sortir ton premier EP, tes six premiers vrais titres, comment tu les défendrais ?
Ça rejoint un peu de ce que je te disais à la question précédente, ces six titres, ça a un peu été un tournant dans ce que je faisais. Mais j’ai deux réponses à ta question : j’ai essayé de montrer ma vision de la société, mes émotions, ce que je suis, ce que j’ai pu vivre… J’ai essayé de me présenter. Et au delà de ça, quand j’étais petite, j’avais beaucoup de mal à trouver un modèle féminin dans la musique. Et c’est un peu ce que j’ai essayé de faire, faire en sorte que des gens comme moi puissent se reconnaitre et se dire : « Ah, je ne suis pas tout seule ».
On va se concentrer sur deux morceaux, le premier c’est « Verre d’eau ». Il faut que tu nous en parles.
Pour le contexte c’est un titre sur l’avortement, c’est mon titre préféré, ça fait partie des textes que j’ai écris rapidement. Le premier couplet, je l’ai écrit en une demie journée et le deuxième couplet je l’ai repris un mois après. Et en fait, j’ai écrit le premier couplet quand je l’ai su… et le deuxième quand j’ai avorté. J’ai essayé de parler de ce que tu ressens quand tu es seule face à ça.
Le deuxième morceau c’est « Flamme », tu peux nous en parler ? Il y a beaucoup de choses dans le fond et forme.
Pour le coup, ça fait parti des titres sur lesquels, inconsciemment, j’ai voulu me retrouver, dans le sens je voulais que la moi petite/adolescente se retrouve dans un texte. Essayer de montrer ce que les jeunes peuvent vivre et ressentir. C’est un titre que j’ai écrit en étant un peu énervée. Je ne sais pas si je suis engagée mais j’ai mon avis sur plein de trucs. Après, ça reste mon avis, mais il y a pleins de choses qui me semblent anormales dans notre société. Avant, j’ai fait des études de droit et je parlais peu de moi dans mes textes, je parlais vraiment que de politique. J’ai appris des choses en droit qui me semblaient aberrantes et c’était mon moyen de me libérer de tout ce que je pouvais penser de la société.
Comment tu fonctionnes avec les producteurs ? Comment se passe la composition de tes morceaux ?
Ça dépend beaucoup, des fois c’est mon producteur Mounir, qui m’envoie une loop d’une prod. J’écris dessus et selon ce que j’écris on voit si on change ou si on garde la même base et qu’on étoffe. Parfois je viens avec un texte sur une prod YouTube et on en fait autre chose. C’est très rare que la prod sur laquelle j’ai écrit reste entièrement la même.
Tu parles beaucoup de ton karma dans tes morceaux. Il est comment en ce moment ?
Je crois qu’il est très bien depuis que j’ai commencé la musique. Ça fait six mois que j’ai signé et je vais au studio depuis trois ans. Et ça fait trois ans que les étoiles s’alignent tout le temps au bon moment. Je dirais que mon karma va bien mais faut pas trop jouer avec. Après, c’est un sentiment assez universel : il t’arrive plein de trucs où tu y es pour rien, tu te demandes ce qu’il se passe. Je me suis longtemps posé la question de qu’est ce que j’ai fait au monde pour mériter ça, c’est pour ça que j’ai pas mal ce truc de karma. Je pense que c’est ma façon à moi d’être morale, chacun son truc.
La suite pour toi, c’est quoi ? Un album, encore des EPs ? Que peux-tu nous dire ?
La suite est déjà prête, il y a encore pleins de détails à régler, je suis impatiente. Ça fait trois ans que je travaille et que j’écris plein de titres. Le premier EP c’est un mélange de titres que j’ai écrit il y a un an demi, d’autres quelques mois. Les titres qui dorment là, j’ai envie de les sortir.