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« Ipséité », la noirceur sous sa forme la plus brute
Un an après sa monstrueuse Batterie Faible, le rappeur bruxellois a fait monter la pression pour son second opus, Ipséité.
L’audace ne fait définitivement pas partie du vocabulaire pourtant très riche de Damso. 2015, l’artiste encore inconnu s’offre une collaboration cinq étoiles sur l’album Nero Nemesis de Booba. Un seize, tout autant de punchlines, et une propulsion quasi immédiate dans les rangs des rappeurs à suivre de très, très près. Mais le belge n’a visiblement pas le temps, et après seulement quelques grosses tueries dans les pattes, il dévoile son premier album Batterie Faible. Une pépite de douze morceaux qui dessine avec précision l’univers d’un rappeur atypique par son obscurité lyricale et sa saleté intenable. Un an plus tard, Damso est toujours aussi indiscipliné, infernal, sûr de lui, mais ô combien attendu. Après des freestyles dévoilés au compte-goutte et une communication amputée de leaks, Ipséité est là et se hisse (au moins) à la hauteur de son aîné, la polyvalence et la maturité en plus.
50 nuances de Nwaar
Le rideau s’ouvre, mais la salle reste plongée dans l’obscurité pour « Nwaar Is The Black ». Incroyable, prodigieuse, dévastatrice : l’introduction de l’album est un concentré de frénésie inqualifiable. Aucun refrain, seul un flow impeccable, bombant fièrement le torse sur une mélodie de flûte exquise. Deux minutes, et déjà un morceau qui caresse ce que l’année 2017 a accouché de mieux. Alors que l’on se remet à peine des préliminaires, « #QuedusaalVie » prend le relais à coup de notes de piano et de mélancolie froidement interprétée. S’en suit « Mosaïque Solitaire », un autre bijou porté par un changement d’instrumentales éblouissant qui jette le morceau dans une espèce de purgatoire bloqué entre solitude épouvantable et fulgurances angéliques.
Bref. A partir de là, on commence à se dire que Damso a pondu une émulsion de classiques surpuissante. Mais intervient dés le cinquième titre le surplus qui permet d’aligner Ipséité un cran au-dessus de Batterie Faible : la polyvalence. Avec ses percussions africaines et son côté plus mainstream, « Signaler » apporte de la fraîcheur à un début d’album très, très chaud. Plusieurs musiques viennent, d’ailleurs, déchanter avec le style « classique » du rappeur : des productions presque minimaliste agrémentées d’un texte dopé aux stéroïdes. En fait, le risque pour l’artiste était de s’enfermer dans un registre qu’il maîtrise parfaitement sans risquer de se casser les dents ailleurs. Avec quelques mélodies de guitare sèches sur « Kietu » ou « Peur d’être Père » ou même le vaguement l’électro-club « Lové », Damso étend son univers à d’autres profils sans, pour autant, dénaturer la cohérence de l’album.
Entre loup solitaire et éternel célibataire
Pour ce qui est de la forme, le Belge s’est plié, là aussi à un exercice plus intéressant. Au programme : une ode au célibat parsemée de quelques nuances d’égo-trip. Le tout, évidemment, très bien dosé. Plus que quelques simples superpositions de punchlines, Damso aime raconter des histoires et faire dans les chansons à thème. Souvent, l’amour est au rendez-vous, sans pour autant qu’il s’engouffre dans une sorte de misogynie sans saveur. En témoigne l’excellent « Macarena », qui narre l’amour tumultueux d’un jeune fougueux et d’une femme « mûre ». Dans un registre complètement différent, « Kin la belle » relate l’enfance du rappeur dans sa ville de Kinshasa, sous la forme d’une déclaration rythmée et mélodieuse.
L’un des (rares) points noirs de l’album se trouve toutefois dans le casting. Mis à part Youri qui apporte sa patte africaine sur « Peur d’être peur », l’absence de collaboration manque cruellement. Si, pour Batterie Faible, on pouvait pardonner cet aspect par la volonté de percer en solo, pour Ipséité, on manque terriblement de relief artistique. Surtout que Damso jouit d’un joli carnet d’adresse depuis ses featurings avec Benash, Shay ou Vald. La plus grosse déception reste évidemment l’absence de Booba déjà balayé de Batterie Faible malgré la collaboration « Paris c’est loin » dévoilée quelques jours après seulement. Le rendez-vous est-il déjà pris sur le prochain album du Duc ?