Musique
Kaaris, et si c’était la dernière chance ?
Kaaris a fait son grand retour avec « Goulag » annonçant son nouvel album, bien déterminé à montrer qu’il est encore de la partie.
Ces derniers temps, beaucoup ont parlé pour lui. Et après quelques featurings bancals et sa mise à l’écart des projets de Sevran, Kaaris a répondu en musique. Et avec la manière. Avec « Goulag », probable premier extrait de Château Noir, Kaaris semble plus déterminé que jamais. Il frappe fort, avec un style plus simple, très efficace qu’on ne lui connaissait plus et qui annonce, espérons-le, la couleur du reste de l’album. Un album qui devra nécessairement prendre la forme du renouveau.
Kaaris, mieux seul que mal accompagné
Compter sur soi-même, et seulement sur soi-même, tel est le leitmotiv d’un Kaaris esseulé, coincé dans l’étau des relations de Booba. Une situation lucide, sur laquelle l’artiste tirait déjà de tristes conclusions en 2017 sur Planète Rap, à l’époque de son quatrième album Dozo. «Je suis un des seuls rappeur tout seul, dans mon coin. Quand je balance un truc, personne ne like, personne ne repartage.» Et à l’occasion de « Goulag », seuls Kalash Criminel, Sadek, et la grosse communauté de l’artiste ont relayé. Sinon, rien.
De toute manière, le rappeur s’est désormais résolu à la situation, gonflant sa motivation au rythme des pics dont il fait l’objet. Dans une note vocale en réaction au projet de mixtape sevrannaise, pour lequel il n’a visiblement pas été convié, il répétait à plusieurs reprises que «chacun fait ce qu’il veut». Il n’a de problèmes avec personne et compte mener sa barque seul ou bien accompagné. Une philosophie qu’il martèle dans le refrain de « Goulag » : «Problème avec personne, nous on s’en bat les c*uilles, On bosse avec tout l’monde, Shalom aleykoum». C’est dit.
La puissance de « Goulag », qui balaye les dernières actualités de l’artiste, confirme la prestance de Kaaris au coeur de la scène rap. D’ailleurs, le clip cumule près de 3 millions de vues en seulement trois petites journées. Le tout, avec la généreuse ambition de s’emparer du top singles de cette nouvelle semaine estivale. De quoi espérer le retour d’un Kaaris désormais pleinement focalisé sur sa musique et son Château noir, sans prêter la moindre attention à ses détracteurs. Un Kaaris à la peau dure et imperturbable, qui s’était perdu pour Or Noir 3.
Une image ternie aux yeux du grand public
Rembobinons. Fin 2018, Kaaris a l’intégralité des projecteurs braqués sur son visage. Emmitouflé dans une brouille sur-médiatisée avec Booba autour de l’octogone, l’artiste annonce un nouvel album et place ses pions sur le peu concurrentiel mois de janvier 2019. Cerise sur le gâteau : ce nouvel opus sera le troisième volet de sa série Or noir, cultissime, dont le premier du nom joue des coudes au milieu des meilleurs albums de la décennie. Une exposition redoutable, voire inespérée pour l’artiste, qui publie son album le vendredi 25, avec la participation de MacTyer, Sofiane ou encore SCH.
Et puis… pas grand-chose. Artistiquement, l’album varie entre quelques bonnes surprises et des morceaux oubliables. Très peu de sons marquants, exceptée peut-être « Cigarette », avec SCH. Pire : Kaaris laisse l’image d’un artiste parfois complètement dépassé. En témoigne l’outro de l’album, « Comme un refrain », inspirée et délicate, mais gâchée par une épouvantable tentative de se mettre à la page avec l’utilisation d’un « skusku » périmé lors du pont. Au final, on découvre une oeuvre de quinze morceaux loin de marquer sa discographie, et péniblement sauvée par quelques éclats, comme l’ensoleillé « Gun Salute ».
Pire, commercialement, les chiffres d’Or Noir 3 prouvent que Kaaris n’est définitivement plus l’un des grands noms du rap français. Avec ses 13 647 ventes en première semaine, il fait à peine mieux que Heuss L’Enfoiré, alors encore rookie, et son En esprit. Comble de l’humiliation : c’est Booba qui s’est emparé du top single de la semaine avec son titre « PGP » sorti le même jour que l’album, tandis que Kaaris arrive seulement à la 12e place avec « Cigarette ». Un échec d’autant plus violent que décuplé par sa visibilité à l’échelle des médias généralistes. «Comment prendre Kaaris pour un sérieux concurrent artistique de Booba ?», questionnait notamment Le Parisien.
La qualité de l’opus aura été légèrement relevée au fil de morceaux ajoutés en aval, plus pertinents, dont le très bon « Exo Planète », mais également le track « Octogone », bien que disposé à une promotion particulière. Clippé une semaine après la sortie de Or noir 3, le titre sonne comme une ultime stratégie de relance afin de capitaliser sur le buzz du combat. Mais le constat commercial reste limité : la semaine suivante, « Octogone » n’atteignait que la 12e place du top singles, loin derrière la deuxième place de « PGP ». Le vrai concurrent de Booba devenait alors Heuss L’Enfoiré, et son succès « Khapta », à la première place. Terrible.
Une épée de Damoclès au-dessus de la tête
Or Noir 3 est une défaite à bien des égards. Commerciale, artistique, mais également personnelle, alors que l’artiste s’est peu à peu fait sortir des rangs de la nouvelle génération, il aura également égratigné l’aura de son oeuvre légendaire. Mais un an et demi plus tard, « Goulag » s’impose comme un succès inespéré et revanchard. Le titre prouve que l’artiste conserve une certaine force artistique, mais surtout une fidélité exceptionnelle de sa fan-base. Kaaris n’est clairement pas à condamner. En témoigne sa grosse discographie et son importance dans le paysage rap actuel.
Il en parlait d’ailleurs avec sérieux dans ce même coup de gueule en 2017, sur Planète Rap. «Avec « Zoo » et Or Noir, j’ai apporté un truc en terme d’image, de rap caillera dont beaucoup se sont inspirés. (…) Je sais qu’il y a des rappeurs qui, quand ils n’ont pas d’inspi’, écoutent mon album. Dans ce game-là, c’est moi le numéro 1.» Difficile d’affirmer la même conclusion aujourd’hui, alors que son créneau de l’artiste a été largement exploité par de multiples artistes, désormais bien plus dans le coup que lui. Une nouvelle fois commercialement, comme artistiquement.
L’aura de Kaaris s’est dégradée, c’est une certitude. Là où, fin 2018, il était accueilli en héros à la fin du clip de « Wouah » pour annoncer sa participation au 93 Empire, il est désormais boycotté d’un projet qui réunit les artistes de sa ville natale. Évidemment esseulé, l’artiste doit désormais prouvé qu’il n’est pas essoufflé pour autant. Et ainsi, Château noir s’impose comme une épée de Damoclès au-dessus du cou d’un rappeur qui vacille entre performances stupéfiantes et très médiocres. À lui désormais de prouver que le Kaaris kickeur, brutal et percutant, porté par une multitude de classiques échelonnés au début des années 2010, n’est pas qu’un lointain souvenir, ravivé qu’avec parcimonie le temps de rares morceaux, comme « Goulag ».