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Le Juiice: «Mon profil n’existe pas encore en France, et je considère tout ce que j’accomplis d’iconique»
Rencontre avec Le Juiice pour la sortie de la mixtape Iconique. Un tour de force réussi et une proposition singulière dans le paysage du rap français.
Il est l’heure de s’élever, de rêver, de devenir iconique. Place à la guerre, à la révolution. Elle se fera par la force, par l’argent, par parcimonie par la douceur, et elle est incarnée par Le Juiice. La « Trap Mama » a fait son retour il y a quelques semaines avec la sortie de sa mixtape Iconique. Un projet solide dans lequel la rappeuse démontre qu’elle maîtrise bien plus que les codes de la trap : des mélodies, des ambiances RnB, de la drill… Le tout accompagné par des instrus léchées qui créent une vraie identité et un large panel musical chez une businesswoman affirmée, ambitieuse et talentueuse. Rencontre.
J’ai l’impression qu’il y a une symbolique forte avec ce projet, on sent que tu veux passer aux choses sérieuses dans l’énergie qui se dégage, et même dans le titre de la mixtape.
Clairement ! Je m’affirme projet après projet, je prends confiance, et ça se ressent dans l’évolution de mes performances, dans ma voix et dans ma manière de rapper. C’est pour ça aussi que j’ai choisi ce titre. « Iconique », ça représente un role model, qui vient changer les choses. Je considère que mon profil n’existe pas encore sur le marché de la musique en France, et je considère tout ce que j’accomplis d’iconique.
Tu sens que t’es un role model pour certaines personnes qui t’écoutent ?
Complètement. Je reçois beaucoup de messages de filles qui s’identifient à moi via plusieurs aspects. Que ça soit par rapport à l’indépendance, à mes origines, à la manière dont je m’affirme, à mon manque de concessions dans ma musique, chacun choisit les attraits qui lui correspondent pour s’identifier. Mais généralement dans ce que je reçois, l’authenticité et la force de caractère que je mets en avant reviennent beaucoup.
Pourquoi décider de rester dans l’appellation mixtape sur ce projet, et pas partir sur un album ?
Dans mon imaginaire, un album c’est un artiste super confirmé, qui arrive avec un projet qui est déjà beaucoup plus ouvert, qui a une direction. Je suis encore au stade mixtape, même dans la démarche et dans la préparation, c’est une réflexion différente. Et j’ai grandi avec la culture hip-hop donc c’est quelque chose de très symbolique la mixtape, c’est un terme auquel je suis attachée. Et j’aime bien taper fort donc le jour où je sortirai un album, il faut absolument qu’il y ait Gucci Mane dessus.
T’es arrivée en assumant clairement une culture trap dans ta musique. C’est beaucoup moins prédominant aujourd’hui. C’était volontaire de diluer la trap dans d’autres styles ? Et c’était difficile ?
Non, c’était pas difficile. Au début, je mettais au début en avant l’image « Trap Mama » mais j’ai toujours tenté pleins de styles, parce que j’adore le RnB, la soul, donc c’était logique que sur ce projet je m’ouvre à d’autres genres. Même au niveau des pochettes, avant c’était la trap pour de vrai, alors que maintenant on essaie d’aller sur une esthétique différente. Et musicalement, mon beatmaker Draco est hyper varié dans ses productions donc il me propose pleins de choses différentes, comme le violon asiatique sur l’intro. C’est une alchimie qui fonctionne parce que j’accroche bien à ce qu’il me propose.
Il y a aussi la drill qui donne un second souffle dans le projet, parce que tu l’utilises à la fois sur des titres intenses comme « Jusqu’à la mort » et en même sur des drill RnB comme « Parle moi français ». Qu’est ce qui te plaît dans la drill ?
J’ai un petit coup de cœur sur la drill RnB. Je trouve la drill française trop identique, sans trop de recherche alors qu’on peut la décliner sur pleins de choses. Comme sur « Parle moi français » par exemple, qui est mon morceau préféré. On retrouve des codes drill, mais avec des flows RnB et je trouve que l’association se fait trop bien. Même « Louis Bag », il y a beaucoup de recherche sur la prod, on tombe pas dans quelque chose de prévisible.
“Louis Bag” justement, je trouve la construction du morceau incroyable avec le changement d’instru. Comment il s’est fait ce morceau ?
Ca c’est un morceau que j’avais posé sur une autre prod de base. Et Draco avait repris mes a capella posés sur une autre prod, et j’aimais pas du tout le côté électro au début. Et un mois plus tard, j’ai réécouté le track chez moi et j’ai trouvé ça trop lourd. C’est une question de mood aussi parce qu’il est tellement particulier ce morceau, on peut ne pas accrocher au début, et se le prendre dans un autre contexte.
Je trouve aussi qu’il y a eu une grosse évolution dans la recherche de nouveaux flows, les changements de rythme et de mélodies. Comment t’as bossé ces patterns de flows ?
Je bosse pas trop mes flows ni mon écriture pour être honnête, ça reste très instinctif. Et mon envie de varier les flows, c’est surtout que je me lasse rapidement et donc au bout de 8 mesures maximum, j’ai envie de changer de flow. A part sur certains morceaux comme « Iconique » où c’était volontaire de garder un seul flow, mais sinon j’ai besoin de variation.
Le Juiice : « Je ne me considère pas comme une artiste »
Sur ton rapport à la Côte d’Ivoire : il très présent visuellement dans tes clips, mais quasiment pas musicalement. Comment ça t’inspire l’afro ?
Actuellement, je ressens pas le besoin de faire de l’afro. J’ai essayé d’en faire les premières années au studio, mais je n’y arrivais pas. Peut-être avec le temps. J’y fais toujours référence dans mes lyrics, dans certains flows, ou via certains instruments, mais pas encore de manière explicite.
Via la particularité de ton parcours et la manière tu parles du business, tu dirais que t’es dans l’art ou dans le business ?
Dans le business, clairement. Je me considère pas comme une artiste. Avec mon parcours et tout ce qui va avec l’indépendance, j’ai touché dès le début à bien plus que l’artistique, donc je ne me suis jamais positionnée en tant qu’artiste pleinement. La position d’artiste, je commence à en profiter maintenant, mais je sais quand même tout ce qu’il y a derrière. C’est peut-être dur à comprendre pour certains, mais la musique a toujours fait partie de nous. J’exprime tout ce que je ressens dans des flows et des mélodies, mais je considère pas pour autant que je rentre dans cette case d’artiste et tant qu’elle est utilisée aujourd’hui. Je suis une jeune renoi qui veut s’en sortir.
Tu penses pas que ça peut bloquer la création, le fait d’être autant impliquée dans le business ?
Oui, ça peut forcément biaiser la créativité et limiter le temps que tu vas y accorder, mais je ne pense pas que ça bloque ton audace musicale. Ca, c’est quelque chose qui requiert du caractère. Et puis pour veiller à ne pas se mettre de barrière artistique, il faut aussi être bien entouré. C’est le cas pour moi, et ça a donné par exemple le morceau « Louis Bag », c’est bien la preuve que je me suis pas bridée et que je suis pas restée dans ma zone de confort tout en ayant en tête le côté business.
Ce changement de carrière que t’as effectué, en quittant le monde de la finance pour aller vers la musique, ça t’a pas fait peur ? De perdre un certain filet de sécurité.
Non, tout est dur depuis le départ. On prend des risques, c’est comme ça. Se lancer dans le rap, pour moi c’était pas plus dur que quand je travaillais dans le milieu banquier, et qu’on ne me prenait pas au sérieux quand je donnais des conseils financiers à nos clients.
T’as participé au documentaire Reines de Canal, qui a donné lieu au morceau « AHOO » avec Chilla, Bianca Costa, Davinhor et Vicky R. T’as senti un changement après ce projet ?
Ouais, un autre regard s’est posé sur moi. il y a eu une sorte de confirmation, ça m’a apporté plus de crédibilité, parce que le morceau a bien marché. Ca m’a fait découvrir à d’autres personnes qui ne me connaissaient pas. Je pense aussi que, par mes prises de position et mes déclarations dans le documentaires, mon image a changé auprès de certaines personnes qui ne me connaissaient pas très bien. Le docu a dévoilé une autre facette de ma personnalité au grand public.
C’est quoi la suite pour toi après la sortie de la mixtape ?
La tournée, j’ai hâte ! J’adore la scène, c’est ce que je préfère. J’ai du mal avec le studio, je ne veux pas trop m’y habituer, je ne veux pas devenir une artiste studio. Dans tout le schéma de la musique, il n’y a rien de mieux que la scène. C’est la récompense de partager sa musique avec les gens qui te suivent. On va commencer pour la tournée aussi à bien bosser les morceaux spécialement pour la scène, ça va être lourd.