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[Leçon de rap #4] Pourquoi faut-il bannir l’expression « le rap est mort » ?

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 Si le rap n'a jamais semblé tant considéré, son impopularité au sein même de sa communauté est devenue inquiétante, avec en première ligne, les portes paroles du "Rap est mort". 

 Si le rap n’a jamais semblé tant considéré, son impopularité au sein même de sa communauté est devenue inquiétante, avec en première ligne, les portes paroles du « Rap est mort ».

Même s’il commence à afficher ses premières rides, le rap reste un phénomène jeune, n’excédant pas la trentaine d’années. Néanmoins, cela suffit pour une traversée au cœur de plusieurs générations, hostiles les unes aux autres. En d’autres termes, la génération 2000 ne s’entend que sur de très rares points avec la génération 1990. Alors, imaginez le gouffre qui creuse les vingts années qui séparent le rap de 1990 et de 2010. Le hip-hop a changé, dans sa conception, dans ses fondamentaux, dans sa rigueur artistique. Certains l’ont mal vécu et ne l’acceptent pas, en témoigne cet emblème de quatre mots devenu la principale cause d’une fracture aussi populaire que dangereuse : « Le rap est mort ».

Non, le rap n’est pas mort

2017. La musique française respire rap. Ses basses et ses beats rythment le cœur de la variété francophone et nul autre genre musical n’ose prétendre à une telle omniprésence. Les ventes de disques et les records de streaming, sont domptés par des rappeurs. A chaque coin de rue, à chaque parcelle d’actualité Facebook, un artiste tente sa chance, conscient que le rap ne nécessite pas des moyens faramineux pour se mettre à l’oeuvre. Sur YouTube, toutes ses vues cumulées flirtent avec plusieurs milliards. Plus qu’un style, il est le miroir de toute une génération.

« Ça fait vingt piges ils disent qu’lerap est mort alors qu’en vrai il pète la forme. – Ladéa, « Dernier MC Remix »

Alors non, selon des critères de notoriété, le rap n’est pas mort. Au contraire, comme ironisait Ladea, à l’époque invitée par Kery James, il va très bien. D’un style linéaire, presque monotone, se sont émancipés d’innombrable nébuleuses se calquant sur le gospel, la soul, le rock, l’électro etc. Le rap est pluriel, il en existe autant de formes qu’il existe de variantes musicales. Peu à peu, il s’est même construit ses propres expériences, à l’image de la drill, de la trap. Aujourd’hui, chaque admirateur de rap peut s’y retrouver, en écoutant le style auquel il s’associe le plus. Mais au lieu de ça, ses fans, pourtant issus d’une même communauté, s’attaquent d’un style à un autre, muant ce qui aurait pu être un réel bouillonnement culturel, en une profonde fracture artistique.

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La popularité a t-elle tué le rap ?

Si le rap était réellement mort, son assassin serait sa popularité. Il n’a jamais été aussi divisé que depuis qu’il est top. Au fond, il est à l’image d’un des messages les plus récurrents des rappeurs : le succès attise la jalousie et la division. Ce ne sont pas les artistes qui ont « tué » le rap comme certains le laissent entendre, mais bel et bien les fans. Les rappeurs, eux, se sont toujours montrés soudés. Balayons tout de suite les clashs et ces quelques pics, plus issus de divergences idéologiques qu’artistiques. En somme, jamais Booba n’a clashé un Jul, au contraire, il reconnaît son empreinte et son succès. Cependant, un fan de Booba pourrait inlassablement insulter un autre de Jul, scandant qu’il ne s’agit pas de rap.

L’émancipation artistique du rap, étroitement lié à sa hausse de popularité, est elle aussi un vecteur pertinent d’une telle rupture. Il est devenu mainstream, populaire. Cette facette a supplanté l’identité culturelle forte du rap, allant même jusque renier ses origines. Parfois, les codes du rap sont détournés. Né dans des milieux modestes, dénonçant les inégalités, le rap est aujourd’hui une vitrine capitaliste, savamment arrondie à coup de voitures de luxe et de bijoux clinquants. Comme deux aimants se repoussant par leur polarité, l’ancienne et la nouvelle génération s’opposent, et ce, malgré un amour identique pour le même style. Sauf que ceux-ci n’en ont assurément pas la même définition : certains préfèrent se cloisonner à ses codes originels, alors que d’autres acceptent son évolution et son virage contemporain.

Check-up terminé : le rap est toujours vivant

Ainsi, dire que « le rap est mort » est une pure diffamation, l’humble vérité serait d’avouer qu’il a changé. Dire qu’il a mal changé serait là encore un mensonge, il s’agirait de renier les nombreux horizons empruntés depuis son expansion. En aucun cas, le rap n’a fermé des portes. Le rap qui existait dans les années 1990 perdure encore aujourd’hui dans l’âme de ceux qui se revendiquent old school, underground. Evidemment, leur exposition est limitée, puisque leur philosophie refuse de se fondre dans les exigences actuelles. Mais rien n’enlève leur talent, leur qualité. Au contraire, le rap s’applique, et ce depuis de nombreuses années désormais, à exploiter l’étendu de son potentiel. Qu’on le veuille ou non, Booba, Nekfeu, Kery James ou Jul, ont tous apporté une pierre à un immense édifice dénommé le rap.

Certes, parfois l’oscilloscope a vacillé. Certes, parfois, des morceaux peuvent faire grincer des dents. Mais il n’en reste pas moins inutile de comparer un genre de rap à un autre sous le simple prétexte qu’il s’agit de celui que l’on préfère. Donc non, le rap n’est pas mort, non il n’était pas mieux avant, il n’a juste jamais été aussi pluriel et prestigieux.

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