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Musique

Livaï : «Pour moi, il n’y a pas de zone de confort»

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À l’occasion de son nouveau projet Une belle mort, Livaï s’est intimement confié sur sa musique, étroitement liée à son rapport à la mort et à son vécu. 

Sur la cover, on peine à percevoir un visage. En plissant les yeux, on semble distinguer des yeux, abstraitement. Mais pour sûr, l’accoutrement noir qui recouvre la silhouette visible sur la pochette d’Une belle mort de Livaï ne parvient pas à masquer les cicatrices qui parsèment son projet. Cet album, à l’intitulé sombre, fataliste, malgré un soupçon de poésie, découvre d’autant plus les fragments d’histoire d’un artiste qui voit sa plume gagner en maturité au rythme de son rapport à son propre vécu. Sans guérir ses blessures, Livaï les panse tendrement, et incorpore dans Une belle mort une sincérité palpable, sensible. Intimement, il a évoqué cette nouvelle pièce, son évolution musicale et la thématique du décès, qui explore au fil de son oeuvre. Rencontre.

Qu’est-ce qui a changé entre VOSS et cette année ?

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Il y a un truc que je ne ressentais pas à l’époque de VOSS c’est le sentiment d’avoir une communauté. Là, je le ressens. Je sais que comparé au premier projet, là il y a des gens qui l’attendent… Et y’a un truc que j’ai aussi remarqué, c’est que je reçois des : « Je t’aime ». C’est fou comme truc. Depuis que j’ai sorti l’album. Il y a aussi de plus en plus de gens qui viennent me voir, et qui ne me demandent pas de photos, ils viennent juste me voir et ils me disent : « Frerot, merci ».

Par exemple, j’étais au concert de Luidji à La Cigale, il y a une fille qui est venu me voir dans la salle et elle m’a dit « Ton son « Rupture, il m’a trop aidé, vraiment merci ». Et ça m’a touché. J’ai l’impression que ma musique compte de plus en plus pour une partie des humains sur la terre. Et je pense que c’est parce que dans mon premier projet, comme celui qui sort là d’ailleurs, même si c’est deux sujets complètements différents, je parle de choses vraiment introspectives. Les morceaux comme ça, à partir du moment où c’est un humain qui l’écrit, il vit une situation que toi-même tu peux vivre et que n’importe qui peut vivre… VOSS, c’est un projet où je parle d’une rupture et d’une reconstruction après, c’est une étape qu’énormément de gens vivent, surtout à mon âge.

«Moi au départ, je suis loin d’être un musicien»

Avec le recul, est-ce que t’as fait le bilan de VOSS ?

C’est marrant que tu me parles de ça parce qu’à partir du moment où VOSS est sorti, je ne l’écoutais plus du tout. Je fais toujours ça quand je sors des sons : quand je sors un truc j’ai un rejet, je l’écoute plus. Pourtant avant de le sortir je le saigne, je réécoute, réécoute, réécoute, tout le temps. Je me mets dans le mood du truc, pour que ça reste dans ma tête. Dernièrement là, je réécoute VOSS depuis que j’ai fini mon album, et je suis content parce que je sens que j’ai step-up. Selon moi hein, je sais que c’est très subjectif, mais je le sens…

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Et donc pour le bilan : je sais que VOSS c’est une partie de ma vie, et quand je le réécoute je me souviens exactement des états dans lesquels j’étais quand j’ai écrit mes sons. Et le fait que ça ait bien marché, c’est trop cool. C’est comme une part de ma vie que je range dans un casier. Là, il y a le prochain projet, je suis à fond là-dedans… et c’est cool aussi.

Tu pensais avoir trouvé ta zone de confort à cette époque ? Et aujourd’hui ?

Moi au départ, je suis loin d’être un musicien. Je ne me suis jamais considéré comme un génie de la musique. Tu sais y’a des artistes pour qui c’est naturel. Ils ont la musique dans le sang. J’ai toujours écouté du rap, j’ai toujours kiffé ça, mais j’ai toujours été en quête d’atteindre un niveau supérieur par rapport à mon niveau actuel. Encore et surtout aujourd’hui. J’ai des objectifs, c’est encore très flou dans ma tête, je ne pourrais pas mettre de mots dessus, mais je sais que j’ai encore énormément de choses à assimiler dans la musique. Il y a énormément de choses à explorer, et je suis encore très, très loin de ce que je veux atteindre, même si pour l’instant je suis fier de ce que j’ai fait. Je sais que je suis pas du tout là où je veux être. Pour moi, il n’y a pas de zone de confort. Jamais.

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On va parler d’UBM maintenant. Pourquoi t’as choisi de sortir « Nous deux c’est mieux » en premier extrait ?

J’avais envie d’apporter une bonne vibe pour l’été. Ce son, je le voyais trop en mode : t’es posé à la plage et tu l’écoutes sur une enceinte. Donc je me suis dit : je vais le sortir l’été. Et puis t’as écouté l’album, t’as pu remarquer qu’il y a des sons qui sont un peu déprimants, assez sombres, je ne me voyais pas sortir ça l’été. J’ai pensé aux gens qui me suivent, j’ai eu envie de leur donner ça : un peu de bonne vibe, sans trop dévoiler le mood du projet. De la même manière que toute l’année qui est passée, je n’ai pas arrêté de dire sur Instagram que le projet s’appelait UBM, mais je n’ai jamais dit que ça voulait dire « Une belle mort ». Je disais aux gens « C’est à vous de trouver ce que signifie l’acronyme ». Je ne voulais pas tout de suite dévoiler le truc.

L’album est très très musical et il y a beaucoup de fois les mêmes compositeurs sur les morceaux – comment t’as travaillé ça ?

Je l’ai travaillé d’une façon totalement différente de VOSS. Déjà, je n’avais pas la même configuration, avant j’étais en label, maintenant j’ai mon label, j’ai mon truc. La majorité de l’album, on l’a fait pendant le deuxième confinement. J’étais chez mon gars Chaffinch qui a les 3/4 des prods du projets, c’est un de mes meilleurs pote, avec Neeco aussi, deux potos avec qui je fais du son depuis longtemps. Ils sont de ma ville, je les connais bien. Avec aussi toute l’équipe du studio Grand Paris.

En fait, on se posait, et je leur ai tellement cassé le crâne. Je n’étais pas trop ouvert musicalement, j’écoutais que du rap français, et j’ai compris que cette année le rap américain. J’étais le genre de vieux mec, qui disait : « Ouais le rap cainri, les gens ils bandent dessus blablabla » alors qu’en vrai frère, honnêtement, il n’y a pas photo. C’est marrant, ça me fait penser à une chose que Sboy m’a dit : « J’ai l’impression que dans le rap français, il n’y a que deux couleurs : le rouge et le bleu. Alors que dans le rap américain y’a du bleu, du rouge, du vert, du jaune et tout… »

C’est très imagé comme truc, mais je trouve que c’est vrai. Il y a des choses qui sont grave poussées et même pas que dans le rap. Je me suis mis a écouté pleins d’artistes, du Joji, toute cette vibe-là, et je suis arrivé à un point ou je me suis dit : « Il y a tellement de choses dans la musique, tellement de bons artistes. Je veux essayer de créer quelque chose de nouveau. » Par exemple, la prod avec Cosmo sur le projet, je te jure qu’on s’est posé et qu’on a mis 15 heures à faire le morceau. Et quand je te dis 15 heures je n’exagère pas. On arrive à 18h et on repart à 8 heures du matin, le lendemain. Donc ça me fait plaisir que tu me dises ça parce que c’est vraiment ce que j’ai recherché.

Il y a une symbolique aux majuscules / minuscules sur la tracklist ?

Oui ! Merci d’avoir remarqué. J’ai fait exprès. En fait j’ai voulu accorder plus d’importance à certains mots. Par exemple dans « LÀ où ça fait mal », le LÀ il est en majuscule. C’est en mode : « Sur ce son je vais dans la profondeur, LÀ ou vraiment ça fait mal ». C’est peut-être con comme truc, mais j’accorde plus d’importance à certains mots. Et même pour les titres des morceaux, je n’ai pas voulu faire comme je faisais avant. Souvent, tu fais un son, tu prends un mot que t’as dit dans le son et tu l’appelles comme ça. Si dans un son tu dis « Je suis dans ma nébuleuse », le son tu l’appelles « Nébuleuse ». J’ai voulu un peu plus pousser.

On comprend dans ce projet que Livaï c’est quelqu’un qui ne donne pas sa confiance facilement mais quand tu l’as tu peux dormir sur tes deux oreilles. Que ce soit en amour comme en amitié. C’est compliqué de trouver ça en retour ?

Je ne pense pas que c’est compliqué de trouver ça en retour, ça se fait tout seul, tu le ressens. Mais c’est vrai que c’est quelque chose qui est important pour moi. Moi, si tu m’as aidé dans ma vie, que tu me donnes de la force, je me dois d’être loyal avec toi. Quand je commençais le son, j’avais envie de prouver certaines choses, de rencontrer des gens, ça me faisait un peu kiffer tout ce milieu de la musique. Chaque fois qu’il y avait un événement, un truc, je voulais trop y aller pour rencontrer des gens, mais depuis ce projet, et en vrai depuis que je grandis, je me rends compte qu’il y a certains aspects de la musique, des gens, des humains, que je n’aime pas du tout. Et ça me dessèche, du coup, je ne veux plus m’approcher d’eux.

Les seules personnes que j’invite aux studios ou à mes releases party c’est que des gens que je connais. Les gens avec qui je vais faire des feats, c’est soit que je kiffe leur musique et que je leur envoie un message, soit c’est des potos à moi. Et aujourd’hui, la totalité de mon projet et de mon équipe ce sont des gens que je connais. Je te parlais de Cosmo tout à l’heure : c’est le premier mec qui m’a enregistré en studio il y a plus de cinq ans ; aujourd’hui, c’est mon DJ. On est ensemble pour de vrai, j’étais encore au studio avec lui il y a juste une semaine. Chaffinch, Neeco, c’est la même chose. Luxe, Gibs, les ingé sons de mes stud qui font aussi mes prods. J’avance en équipe mais si t’es un bon, je t’accueille, je t’accorde ma confiance. Et si t’as la volonté qu’on avance ensemble, tu es le bienvenu.

«J’ai pris conscience de la mort très jeune»

Le thème de la mort est évidement très présent dans le projet, mais c’est super bien raconter. C’est même très touchant. Ça été difficile ?

Je vais te dire ce qui m’a poussé à écrire ce projet. Je le raconte dans mon album, mais j’ai perdu des gens très tôt dans ma vie, des gens très proches. Mon père, ma grand-mère, quand j’avais 5 ans, sur une courte période. Et toute ma vie j’ai toujours renié cette douleur, parce que je me suis toujours dit : « Il y a pire ». Et c’est vrai qu’il y a pire. Il y a des gens qui ont perdu toute leur famille, certains qui sont orphelins depuis qu’ils sont nés. Des gens qui perdent des bras, des jambes, des yeux. Il y a pire.

Aussi vis-à-vis de ma daronne, je n’ai jamais voulu me poser devant elle et lui dire : « Ce qu’il s’est passé, ça me fait du mal ». Parce que ma mère, c’est une femme qui a très rarement été heureuse dans sa vie, et qu’à partir du moment où elle a rencontré mon père, ils ont eu dix ans de relation et elle m’a dit que ce sont les seuls bons souvenirs qu’elle a de sa vie. La vie lui a enlevé ça. J’ai toujours renié cette douleur et je pense aussi que mon cerveau a fait carapace là-dessus.

Avant l’interview on parlait de pétanque, moi je viens d’une famille Corse. Dans ma famille la pétanque c’est sacré. Et dans ma ville à Velizy, il y a un terrain de pétanque, c’est là où mon daron il a grandi et là où lui et ses frères jouaient. Aujourd’hui, c’est un de mes oncles qui a repris le terrain de pétanque, et je me suis mis a traîné la-bas avec mes cousins que je voyais plus du tout parce que toutes ces histoires de familles nous ont éloigné. J’ai deux côtés de ma famille qui ne se parlent plus aujourd’hui depuis l’enterrement de ma grand-mère. Ça nous a fait beaucoup de mal. J’me suis remis à traîner là-bas avec tous les vieux qui ont passé leur vie avec mon daron, et qui font que de me dire : « Putain, qu’est-ce que tu lui ressembles ».

Ça a réveillé des trucs en moi. Je me suis retrouvé à 19 ans à voir mes cousins jouer avec leur daron, et moi je n’ai pas eu cette chance. » Ça m’a pas mal travaillé, et ça faisait des années que je n’avais pas pleuré et je me suis retrouvé un soir à pleurer pendant 3 heures à cause de ça. Et donc je suis grave rentré là-dedans. Forcément quand j’ai mal je ressens le besoin d’en parler, et en fait c’est ça tout le concept de « Une belle mort ». J’ai pris conscience de la mort très jeune. Je faisais des crises d’angoisse quand j’étais petit où je disais à ma mère que j’avais peur de mourir. Ce n’est pas un âge où t’es censé avoir conscience de ça. Quelque part, c’est triste, mais c’est beau aussi parce que ça m’a donné conscience que ça peut s’arrêter à n’importe quel moment, et c’est aussi ce que ma mère m’a toujours dit. Elle m’a dit « Kiffe ta vie ».

C’est pour ça que ça m’a donné envie de faire de la musique. Ça a toujours été mon rêve. Mon plus grand rêve c’est de faire la tournée des festivals avec tous mes potos dans le tour bus… Le mood du projet c’est vraiment : « Il y a des choses qui sont dures, j’ai eu conscience de la mort très jeune, donc je veux tout faire pour kiffer ma vie au maximum même tous les moments qui sont durs ». Le dernier son « Une belle mort », à la base, c’était un autre morceau où dans la dernière phrase je dis : « On vit pour une belle mort ». On vit pour qu’à la fin de notre vie on est inspiré d’autres gens, à kiffer la leur.

Est-ce que tu penses que ce thème accompagnera ta musique pour toujours ?

Sûrement. Sous différents aspects parce que peut être qu’en grandissant je rentrerai encore plus dans le sujet. Je sais que j’ai encore énormément de pudeur là-dessus et que je n’arrive pas encore à tout exprimer. Je ne suis peut-être pas encore assez mature, assez grand, mais je ferai un son sur ma maman un jour. Je vais grandir et je sais qu’un jour je le ferai. Mais pas pour l’instant.

Il est minuit, ton album vient de sortir, dans quelles conditions t’aimerais qu’on l’écoute.

Je dirais dans un mood où tu es propice à réfléchir, à bien écouter le truc, mais aussi à t’enjailler… En fait, il faudrait être le soir avec tes potes, posé, mais que personne ne parle. Je vois bien des mecs comme ça sur un canapé, adossés, qui bougent la tête et qui à la fin se disent : : « Ah ouais ».

Une belle mort de Livaï. 

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