Interviews
MadeInParis : « Mon but c’est de faire de la musique intemporelle »
Il revient avec un single onctueux et un clip plein de douceur. Recette, inspirations, langue(s), ambitions… Interlude a interviewé le rappeur le plus « serein » de tout l’Hexagone : MadeInParis.
Il s’assied sur un canapé blanc, et des yeux rieurs se dessinent derrière ses lunettes de soleils dorées. Cet après-midi, Dave Wayne, aka MadeInParis est venu nous parler de son art. Photographe, ingénieur du son, réalisateur… le Saint-Martinois anglophone débarqué à Paris à l’âge de dix ans a touché a tout. Mais depuis bientôt trois, il a choisi de mettre ses talents au service de l’artiste dans lequel il mise le plus : lui-même. Et il le dit fièrement : il a ses ingrédients, et sa recette touche au but. Alors pour mieux comprendre sa musique, très enracinée de l’autre-côté de l’Atlantique, on a échangé avec lui. Ses inspirations, sa formule, son rapport avec la langue française, son passé, son futur… Rencontre avec un artiste pétri d’ambitions.
Ton dernier single avec Roshi a dépassé le million de streams sur Spotify, YSL s’en rapproche… L’année dernière tu disais « chercher ta formule« , est-ce que tu l’as finalement trouvée ?
MadeInParis : A cette époque-là, je disais plutôt que je cherchais « la recette », « les ingrédients ». Depuis, je pense que j’ai trouvé les ingrédients, mais je suis toujours en train d’essayer plusieurs recettes. Le style, L’exécution, les meilleurs choix pour l’avenir… Je me rapproche de plus en plus. L’année dernière j’étais vers les 50 %, maintenant ça commence à être un 80%. Si je devais décrire cette musique, je dirais avant tout qu’elle dégage beaucoup de raffinement.
Tu disais aussi : « Il n’y a personne qui fait ce que je fais en France« . Est-ce que c’est ce que t’essayes de créer ? Quelque chose d’unique ?
J’essaye de faire comme les personnes qui m’ont inspiré : les Drake, PartyNextDoor, ou The Weeknd, et de faire de MadeInParis un genre, un style. Si tu fais du Drake, c’est pas que tu rappes comme Drake. C’est le style Drake. Il a réussi à imposer un style musical. Alors, dans quelques années, c’est l’objectif. Quand tu voudras faire du son, tu ne diras pas : « je fais de la musique comme telle personne », mais » je vais faire du MadeInParis ».
Donc tu continues à puiser tes inspirations surtout auprès d’artistes américains ?
Plutôt américaines, mais surtout dans la recherche d’une musique très poussée, avec beaucoup de musicalité. Ca ne repose pas uniquement sur les paroles, une bonne prod’… Les artistes que j’ai cités sont aussi impliqué que les ingénieurs, les producteurs… On ne leur prépare pas tout pour qu’ils viennent simplement au studio et qu’on traite leur voix. Ils sont impliqués. PartyNextDoor fait ses prods, il est ingénieur du son, il traite ses voix… The Weeknd aussi est vraiment impliqué avec les musiciens.
Ingénieur du son, réalisateur, producteur… Tu as touché à tout, avant d’en arriver-là. Est-ce que ça constituait des étapes pour toi ? Tu avais déjà le schéma tracé dans ta tête ?
Je ne savais pas clairement où j’allais, mais je voulais être prêt pour plus tard. Alors je me suis dit autant apprendre à tout faire, comme ça plus tard j’aurais le choix. Pour moi qui n’ai jamais été fan de l’école, j’ai quand même comparé ça à des études. Aujourd’hui, je peux choisir entre photographe, ingé’, réalisateur, artiste… Artiste c’est plus intéressant, alors on prend artiste.
Pour apprendre à faire tout ça, c’était très autodidacte ?
Dès le plus jeune âge, j’ai compris que la meilleure solution si tu veux apprendre des choses c’est Google et YouTube. J’étais pas si bien entouré pour m’apprendre des choses, alors quand j’avais une question, quand j’avais des doutes… Google et YouTube. Pour raconter une des anecdotes sur comment j’ai appris à être ingé’ son : j’accompagnais un pote en studio, et j’avais demandé à l’ingé’ : « Montre-moi comment ça se passe si je veux faire un son ». Il m’a pris pour un petit : « ça va coûter telle somme, 300-500 balles ». Alors je suis resté assis derrière lui, et en 20 minutes je me suis rendu compte que ce n’était que des clics. Bien sûr il connait les machines, mais pour faire la session tu as juste à cliquer quelques fois. Donc pendant 6 mois, je suis resté sur YouTube, et j’ai pu enchaîner avec Aya Nakamura et les autres.
Petit retour en arrière. Tu arrives à Paris de Saint-Martin il y a une quinzaine d’années, à l’âge de 10 ans. La transition n’a pas été trop difficile à l’époque ? Tu parlais uniquement anglais ?
C’était compliqué, mais c’était nouveau pour moi. Nouveau pays, nouveau monde… Dès que je suis intéressé par un truc, j’apprends très vite. En moins d’un an j’ai appris la langue. Mais ce qui m’intéressait c’était de bien le parler, avec l’accent. Parce que je n’aimais pas me sentir différent. J’aime bien me mélanger, ne pas sortir du lot. Je suis dans un pays, je sais que je vais y vivre, donc autant que je me sente comme un Français. Pour que quand je parle avec un autre Français, il ait l’impression que je suis aussi français, pas un étranger…
C’est en France que tu tombes dans la musique ? Comment ça s’est passé ?
J’écoutais les même sons que tout le monde, les Rick Ross, Lil Wayne… Puis d’un coup, en 2011, The Weeknd a sorti sa première mixtape sur SoundCloud. Et là, j’ai eu une réaction : « Qu’est-ce que c’est que cette musicalité ? C’est possible ?! » C’est à ce moment-là que je suis tombé dedans. J’ai arrêté tout ce qui était trap basique, vouloir rapper comme Lil Wayne… Pour m’intéresser à quelque chose de plus technique, avec plus de créativité. Et j’ai laissé la vie m’apprendre. Ca m’intéressait de comprendre comment eux ont réussi à trouver ça, quels étaient leur ingrédients… Donc j’ai essayé de les trouver moi-même, sans copier les leurs.
Qu’est-ce qui t’as choqué chez The Weeknd ?
Ce n’était même pas juste le personnage, c’est tout ce qu’il proposait. C’était du jamais-vu. Et le tout maintenu par une seule personne… C’est très fort. Après y a eu PartyNextDoor, et toute l’équipe OVO [October’s Very Own, label fondé par Drake]. J’étais choqué. D’autres artistes m’inspirent beaucoup, comme Travis Scott. Mais qui m’inspire vraiment chez lui, ce sont ses réglages. L’artiste en lui-même, ce n’est pas trop mon truc. Mais quand j’écoute, musicalement, tous les détails dans les sons… C’est pas tous les jours qu’on entend ça ! Si on me demandait avec qui je veux me retrouver en studio, est-ce que ce serait avec Travis Scott ? Non. Mais son producteur, Mike Dean, j’aimerais beaucoup travailler avec lui. Rien que le rencontrer. Rencontrer un mec qui a changé la musique ? Je serais choqué.
Comment et quand as-tu eu le déclic de passer de l’autre côté, et de faire naître MadeInParis ?
Je n’en avais pas réellement envie depuis le début. Mais comme dit un des artistes que j’écoute en ce moment, un artiste britannique qui s’appelle Dutchavelli : « Tous les jours il faut prendre des risques« . Et j’ai pris ça en compte depuis le plus jeune âge. Si je ne pense qu’aux côtés positifs, le côté négatif ne va pas me faire peur. J’essaye, et je vois ce que ca va me donner. En ouvrant bien les yeux.
Pour ce qui est des collaborations, tu te dis « contre les featurings« , et c’est vrai, tu n’en as fait que deux pour le moment. Pour quelle(s) raisons(s) ?
A l’époque, c’était parce que je voulais faire mon développement vraiment seul. Aujourd’hui je tiens toujours cet avis-là, mais je suis plus sélectif. Si maintenant on me propose un featuring et que c’est le même délire… Tout simplement, avant de mélanger avec quelqu’un, de travailler avec lui, je préfère m’intéresser à la personne humainement.
Comment ça s’est passé avec Roshi ? Tu as envie que d’autres suivent ?
Roshi c’est la même équipe de managing, et donc ça s’est fait tout seul. J’entendais son nom parce que c’est un mec de Paris. On s’est rencontré, on a discuté, et c’est parti tout seul. C’était pas “vient on fait un son parce qu’on se connait”, l’alchimie était naturelle. Je préfère quand c’est comme ça, plutôt qu’on ne se connaisse pas et qu’on fasse le featuring uniquement histoire d’avoir le nom… Ca ne m’intéresse pas. Alors pour le futur, il y a des possibilités.
Sur ton premier projet « Dopamine Effect » en 2019, tu rappais en anglais. Puis depuis tu es passé au français. C’était pour te donner plus de chances face au public français ?
Tout le monde me disait pendant des années : « Chante en français, ca va le faire ». J’étais assez têtu, je m’écoute moi avant les autres. Mais c’est un comportement que j’ai pu changer. Et les chiffres mentent pas. J’ai sorti le premier projet, et en six mois, j’ai fait 20 000. J’ai sorti un projet français sans changer rien du tout, en indépendant, et en quatre semaines j’ai fait 20 000. Donc la suite c’est en français. J’ai juste changé la langue, j’ai vu la différence. Pour certains sons, j’ai même repris les mêmes paroles et j’ai traduit. Ce sont mes droits, alors je peux le faire [rires].
Tu penses que si t’avais persévéré en anglais, ça n’aurait pas pu marcher comme ca marche maintenant ?
Ca aurait mis du temps, mais ça n’aurait jamais marché comme aujourd’hui. Je pense que le public français aime juste entendre sa langue. Quelques mots dans une autre langue, pas de soucis. Mais ils veulent au moins comprendre la chanson. Surtout le français : c’est une langue très explicite, très forte. C’est difficile de bien s’exprimer en bon français. Dans ce que j’écris c’est simple, mais j’essaye d’être ouvert pour tout le monde, assez pour plusieurs générations. Une écriture tendance, mais un bon champ lexical assez jeune, sans grands mots du dictionnaire. Les mots que j’utilise dans mes sons sont le miens, je ne vais jamais en sortir que je connais pas. En anglais je faisais ça, je sortais des mots super techniques [rires], et quand j’écoutais, je me disais : “Attends, ca veut dire quoi ?”. En français j’écris exactement comme je parle. C’est plus vrai, plus naturel.
Pas de frustration de ne plus pouvoir rapper dans ta langue maternelle ?
Ca ne me dérange pas. Je trouve ça encore plus drôle, parce que quand je fais de la musique, je fais beaucoup de toplines, donc j’en profite de faire comme si je posais en anglais. Et maintenant, j’essaye de relever le défi de traduire ce que j’essaye de dire en français. Vu qu’en anglais les mots sont super simples, au lieu de tout traduire en francisant, j’essaye de créer une façon de parler assez simple, qui se rapproche de la façon dont les Américain s’expriment. Et à force de faire ça, si je réussis (et je pense que je vais réussir), les gens vont commencer à se dire : « c’est son style à lui, c’est sa façon de s’exprimer, sa façon de faire de la musique »… C’est juste que l’inspiration vient des Etats-Unis. Il y a des allers-retours à chaque fois.
Il y a quand même des artistes qui t’inspirent en France ?
Je commence à en écouter un certain nombre, mais il n’y a personne qui m’inspire musicalement. Pourtant j’apprécie beaucoup d’artistes français. Quand j’étais ingé’ son, j’écoutais davantage les artiste indépendants. Parce que c’était plus cru, moins formaté. Mais maintenant que je suis dans la musique, je m’intéresse plus à ceux qui sont « commercial« . J’écoute les grosses têtes : les SCH, les Ninho, les Hamza, les Laylow, etc. Des mecs que j’écoutais depuis 2015 quand ils ont commencé, et pour qui j’ai suivi l’évolution. Alors je suis content, j’ai cette opportunité-là : bientôt je vais être à leur table.
Et c’est bon, les gens ont arrêté de te comparer avec Hamza ?
Chaque sortie, ils me comparent encore, il essayent de trouver un truc. Mais je vois que même eux commencent à remarquer : « Ce disque-là, ce n’’est pas Hamza ». Et ça me fait plaisir. Vous me comparez quand même à quelqu’un qui a réussi à imposer un truc dans l’Europe, pour qui au début c’était super dur. Si tu me compares à ça, continue ! Je suis assez flatté quand même.
Est-ce que tu puises aussi dans tes racines antillaises pour tes morceaux ?
Dès que j’ai vu la grande ville [Paris], les gratte-ciels, je me suis dit : « C’est fini les Antilles », c’est ça la vie que je veux, c’est ici que ça va se passer. J’ai grandi en regardant des dessins animés, ça reste mon divertissement préféré jusqu’à aujourd’hui. Et j’ai toujours aimé quand ils regardent vers les bâtiments, leur yeux vers le haut. Quand je suis arrivé dans un grand pays où je ne vois que des gratte-ciels, je me suis dis : « Je vais vraiment tout faire, apprendre pour réussir à être au sommet de quelque chose ». Un de mes buts c’est d’être comme PNL, aller sur la Tour Eiffel. Il n’y a pas beaucoup d’artiste qui ont réussi à faire ce qu’ils ont fait. Même pas forcément le clip : simplement marcher sur la Tour, avec fierté, et personne pour te dire quoi que soit. Tu descends et c’est pas la nationale qui t’attend, c’est ton garde du corps.
Si on ne devait retenir qu’une seule thématique de ta musique, ce serait laquelle ? L’amour ? Le sexe ? Ou c’est un peu plus profond que ça ?
C’est plus profond que ça. Je dirais plus : confiance en soi, ne pas avoir peur de faire ce qui te plait le plus. En prenant des risques, mais aussi avec beaucoup de réflexion. Amusez-vous, mais ne soyez pas bête. Je me suis beaucoup amusé, mais j’ai jamais été bête. Et c’est sûrement pour ça que j’ai ma chance aujourd’hui.
Chanel, YSL, Dior, Prada… La haute couture revient aussi régulièrement. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Tout va avec le thème de Paris. J’aime bien ce côté-là de la capitale, le luxe. Ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse vraiment, mais j’aime bien l’image, le côté raffinement. Et tout simplement quand j’écris un son, je n’ai pas de titre. Alors le premier truc que je vois… YSL je n’avais pas de titre, j’étais sur Internet. J’ai vu une pub pour YSL, allez hop YSL ! Je ne vais même pas me prendre la tête. J’essaye et je prends plusieurs idées, puis celle qui sonne le mieux en prenant du recul. Ca te fait juste rêver, autour de ces marques-là, mais il y a cette vie-là qui pourrait suivre. Tu as vécu pour mériter tout ce luxe-là.
Tu en es à ton 4e single en un peu plus de six mois… Qu’est-ce que le futur te réserve ? Nous réserve ?
J’ai envie de remplir plus de salles, de faire plus de concerts. J’ai pu faire ma première sur Paris il y a quelques semaines, tout s’est bien passé je suis très content. Je suis assez confiant comme personne, mais il faut le voir pour y croire. Là j’ai vu, et je pense que la suite est très prometteuse. Puis il y aura beaucoup plus de choix, de proposition dans ma musique. Ca ne sera pas le même style, ça sera plus ouvert. J’ai essayé d’attacher plusieurs styles, plusieurs genres, pour vraiment proposer un grand plateau au public. Pas uniquement les styles qu’ils ont connu avec Chanel, YSL… Il y en aura vraiment pour tout le monde. Maintenant qu’il y a plusieurs ingrédients, je peux proposer plusieurs parts de gâteaux.
Qu’est-ce que tu aurais envie de dire à ces nouveaux fans que tu n’as encore que peu rencontré dans la vraie vie ?
Je ne sais pas encore quels genres de personnes m’écoutent, mais je sais que ce sont des jeunes. Alors je vais leur proposer une musique pour avoir une meilleure jeunesse possible. Et parce que les générations passent, et les gens changent d’avis facilement, moi mon but c’est de faire de la musique intemporelle. Pas comme un artiste du moment, mais plutôt un artiste de cette époque, qui a toujours su suivre les nouvelles générations. Comme le mec qui m’inspire : Drake. Il a suivi plusieurs générations, et jusqu’à aujourd’hui il est encore n°1. Puis je me dis que si maintenant j’arrive à imposer ma musique en France, ce serait bien d’arriver à imposer un personnage, pour inspirer d’autres gens, et être entre guillemet une icône. Qu’on se rappelle que MadeInParis n’était pas juste un artiste, que c’était quelqu’un, celui qui a imposé ça le genre « MadeInParis ». Il faut avoir de l’ambition pour rester en vie.