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[PORTRAIT] Orties, les jumelles hardcores du rap français

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Connaissez-vous Antha et Kincy AKA les Orties ? Trois ans après leur arrivée remarquée dans le rap game et leur mixtape explicite Sextape, les jumelles les plus hardcores du rap français s’apprêtent à revenir sur le devant de la scène cet automne avec un nouvel album. En attendant le jour J, 2HIF s’est penché sur le profil de ces artistes pour le moins piquantes. Que vous soyez fascinés ou indignés par leur art, vous n’en reviendrez pas.

Ne vous fiez pas à leur joli minois en couverture, les Orties n’ont jamais, ne font et ne feront jamais dans la dentelle.  Mi-gothique, mi-guetto, le duo formé par Antha & Kincy a déjà frappé le rap hexagonale d’un grand coup de pied dans les côtes (pour ne pas dire dans les couilles) avec sa mixtape, ou plutôt sa Sextape sortie le 20 février 2013. sur le label Nuun Records. Si elles plaisent à Michel Houellebecq, c’est une évidence qu’elles ne plairont pas à tout le monde. (comme dirait l’autre, on ne va pas pousser mémé dans les orties…) Déjà, leur nom annonce clairement que les demoiselles ne sont pas là pour vous caresser dans le sens du poil. Il n’empêche que celui-ci s’avère dans les faits, bien plus subtil que ça. Ce blaze piquant est effectivement une référence à l’oeuvre poétique de Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal. Un peu d’histoire pour commencer : Élevées à la musique depuis le berceau par un père jazzman, le duo prend naissance en 2006, alors que les deux sœurs n’ont que quinze ans. Loin du son des cuivres du paternel, à leurs débuts, les Orties ont plutôt choisi le rock gothique pour se lancer, influencées par des noms tels que Christian Death, Nirvana et de nombreux artistes de Black Métal. Entourées de plusieurs musiciens dans un premier temps, Antha chantait et Kincy jouait de la guitare. Mais au fil du temps, elles s’aperçoivent que cette musique ne leur correspond pas. C’est alors qu’elles se tournent naturellement et très rapidement vers le rap.

tirée de la page facebook Orties

crédit photo: William K

Les débuts dans le rap : quand l’interdit pousse à l’envie

Vous vous en doutez, nous sommes ici pour parler de rap. Et ça tombe bien puisque les deux jumelles se rendent bien compte que c’est ce style qui les définit le plus. D’une part, par leur amour des textes, d’autre part, par sa modernité et sa vision « tragique » du monde. Originaire du petit village de banlieue parisienne de Bures-sur-Yvette (91), les jeunes artistes grandissent avec cette musique en dépit de leurs premières influences gothiques et métal. Etant jeunes, elles en écoutent et le constat est clair. Aucune femme ne s’est encore imposée dans ce milieu quasi-intégralement masculin (hormis Diam’s également native de l’Essonne). C’est alors que le binôme décide de « braver l’interdit », à savoir être une femme et réussir à s’imposer dans le rap game.  Toutes deux étudiantes l’une aux beaux-art à Paris et l’autre en montage vidéo, les sœurs vivent alors ensemble. Un terrain propice pour faire fleurir les idées communes et ainsi affirmer leur identité artistique.

Plus en phase que jamais, elles lancent la machine et enregistrent leurs premières démos rap chez Mickey Mossman du légendaire groupe de rap français Démocrates D. S’ensuit en 2009 une première collaboration et une apparition vidéo sur le titre « Avale » du rappeur Alkpote. La concrétisation de tout ça surviendra en octobre 2010 avec la sortie de leur premier EP, La Boum, uniquement disponible en digital sur le label Believe. Mais à l’écoute, on se rend bien compte que leur style ne se limitent pas qu’au hip-hop. Si les flows sont au centre de leur expression, leur musicalité bien que viscérale, va bien au-delà. Les orties ont en effet trouvé la formule pour marier rap, electro et rock. Les fondations désormais posées, il est maintenant temps pour Antha & Kincy de voir plus loin. Chose faite puisqu’en juin 2011, elles signeront leur premier single officiel, « Plus Putes que Toutes Les Putes », un titre produit par Butter Bullets, dont le clip a été réalisé par Pascal Jaubert. Un morceau qui en fera jaser plus d’un. Viendra ensuite, deux ans plus tard, leur Sextape qui les placera enfin sous le feu des projecteurs.

Des textes hardcores : une triade comme fer de lance

« Première leçon de séduction, être une pute avec éducation, se moquer des garçons. Préférer l’équitation, s’amuser de la fellation, censurer l’appellation et assurer pendant l’action« . Dès les premières lignes, le ton est donné. Les Orties aiment transgresser les règles et aiment choquer. Si vous êtes surpris, sachez qu’elles n’en sont pas à leur coup d’essai : qu’elles soient rock, electro ou rap, ces gonzesses ont toujours été trash et sans tabou. Mais la crudité dans le rap français ne date pas d’hier. Sauf que si l’on oublie des noms comme Roll-K ou plus récemment Liza Monet, force est de constater que cette expression du hip-hop a toujours été à prédominance, pour ne pas dire intégralement masculine. Ainsi, les Orties sont de celles qui ont cherché à bouleverser les codes du genre en adaptant le rap hardcore à leur sauce. Résultat ? Antha et Kincy, c’est l’apologie de la violence poétique de l’autre côté des chromosomes. Pour exprimer cette parole rebelle, elles ont choisi d’adopter une triade non pas le célèbre pussy, money, weed, mais bien sexe, drogue et mort.

Le sexe

Avec ce premier morceau couplé au titre sans équivoque de leur première mixtape, Sextape, de laquelle il sera extrait, impossible de se tromper. On comprend vite qui le sexe reste l’un des piliers de leur musique. En première loge « Plus Putes Que Toutes Les Putes ». Le morceau est certes, racoleur et provoquant, mais surtout là pour dénoncer la misogynie ambiante du rap et plus largement de la société. Au-delà de la violence avec laquelle le thème est souvent illustré dans leurs sons, les Orties abordent aussi le sexe de manière plus émotionnelle. Prenez le titre « Soif De Toi », dans lequel elles livrent leur vision des rapports amoureux : une vision finalement assez tragique relatant l’histoire d’un amour jamais assouvi et inatteignable. Pensée gothique de jeunesse quand tu nous tiens. Par ailleurs, inspirées des textes langoureux de Doc Gynéco, les Orties par la voix de Kincy nous livrent dans ce registre le morceau « Bruno » qui reprend le célèbre titre érotique de ce dernier, « Vanessa », mais cette fois du point de vue de la fameuse Vanessa. Une collaboration avec le docteur, elles en rêvent et de notre côté, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’avec une telle connexion, le cocktail serait détonnant ! Si comme elles le disent « les mecs et nous ça fait zéro« , les Orties prouvent à contrario que le sexe n’a jamais cessé de les inspirer.

La drogue

Les Orties aiment la bière, mais aussi et surtout la drogue. Attention, je ne parle pas ici de la weed si chère à vos rappeurs préférés, mais bien de drogues dures. S’il ne faut pas perdre de vue le second degré de leurs propos, ces filles savent de quoi elles parlent.  Leur rapport à la drogue correspond sans doute à l’un des chapitres les plus sombres de leur vie. Une époque que nos deux protagonistes n’ont jamais eu peur d’aborder. Au contraire, elles l’assument entièrement et chantent régulièrement les joies de la cocaïne et du LSD dans la quasi-totalité de leurs chansons. L’exemple le plus probant n’est autre que »Paris Pourri », morceau inspiré du titre « P.A.R.I.S » du groupe Taxi Girl, qui évoque sans artifice et tout en le dénonçant, le glauque extrême de certaines soirées parisiennes. Dans le même registre, « La Boum« , vous invite dans l’une de leurs soirées plutôt malsaines, où les substances coulent à flot. Mais la drogue, c’est aussi et surtout dans leur village natale qu’elles y ont touché. Bures-sur-Yvette, ce « village dortoir », comme elles aiment à l’appeler, cette commune de près de 10 000 habitants, dans laquelle les deux jumelles alors adolescentes gothiques ne trouvaient rien de fantastique à y faire. C’est ainsi qu’avec leurs amis, elles tuaient le temps à tester toutes sortes de substances psychotropes. Des expériences avec la drogue en partie dues à une dépression adolescente qui s’est terminé pour Antha, par un aller-retour en hôpital psychiatrique. Si parler de drogues en musique s’apparente à une provocation évidente de la part des Orties, elles peuvent au moins se vanter d’avoir déjà vu des licornes et des arc-en-ciels dans la forêt de Bures-sur-Yvette.

La mort

Adolescence et style gothique oblige, sans doute que la mort est le thème le plus présent dans la discographie des jumelles Orties. S’il s’agit bien d’un thème récurrent dans le hip-hop (en 1994 aux US, Biggie se disait Ready To Die et Rohff écrivait son « Testament » près de 25 ans plus tard en France.), Antha & Kincy flirtent elles aussi sans cesse avec la faucheuse. Si bon nombre de rappeurs ont pu voir certains de leurs proches mourir prématurément, la mort façon Orties est bien différente. C’est dans leur patelin (encore lui) que les artistes en proie au doute dans leurs existences vide de sens, ont vu germer leurs idées noires. Non, Bures-sur-Yvette, ce n’est pas le Bronx ou Compton, mais c’est plutôt, selon les propos tenus dans diverses de leurs interviews, un lieu de déprime dans lequel on s’ennuie littéralement à mourir prêt à pactiser avec le diable. Ajoutez à cela que le fait de vivre à proximité d’un cimetière n’arrangeait rien à leurs affaires. Rassurez-vous, si elles semblent aujourd’hui épanouies à Paris, pour sûr qu’elles n’oublieront pas cette période gothique qui les ont façonnée et qui aura finalement laissé une empreinte noire et indélébile dans leur rap hardcore original. Ce qui n’est pas pour nous déplaire.

Les Orties et leur engagement féministe

Souvenez-vous lorsque les Orties faisaient leurs premiers pas dans le rap. Elles avaient à cœur de briser les codes en s’imposant dans un milieu majoritairement masculin. Conséquence directe de cette suprématie masculine, le rap, aussi second degré soit-il est un genre musical plutôt dégradant pour la femme. Car si les rappeurs défendent bec et ongles l’amour presque sacré de leur mère, pour ce qui est de la femme en général, c’est une autre paire de manches. Dans un rap game dirigé par la loi du plus fort et régit par une misogynie ambiante, les textes de rap français sont souvent brutaux c’est indéniable. (« Sale Pute » et « Saint-Valentin d’Orelsan, en sont d’excellents exemples , mais il n’est pas le seul. Souvenez-vous de Ma Benz d’NTM…). C’est donc envers ce cliché à la vie dure que les Orties ont voulu s’opposer, même carrément le retourner. Mais cette provocation permanente dans leur expression artistique affiche au-delà de sa vulgarité extrême, un engagement féministe et libertaire revendiqué. Pour s’en apercevoir, inutile de chercher bien loin : il suffit simplement d’observer la pochette de leur Sextape, sur laquelle les sœurs poses seins nus. Bien que la plupart de leurs photos les montrent dénudées, voire trashs, elles expriment toutes une prise de position évidente telles des FEMEN. Mais leur nudité n’est pas gratuite. Il s’agit juste d’un moyen pour elles d’affirmer leur liberté au travers leur art.

Cover de la Sextape des Orties

Cover de la Sextape des Orties

Les Orties soutiennent les Pussy Riot

Leurs prises de position parlons-en. Toujours dans cette volonté de lutter contre le fléau de la misogynie et surtout pour la liberté d’expression, les Orties ne font pas que débiter des textes et des clips qui dérangent. Preuve ultime que celles-ci ne sont pas qu’un simple groupe de musique, elles choisissent de défendre la cause des Pussy Riot. Pour rappel, alors qu’elles offraient des performances artistiques non autorisées pour promouvoir le droit des femmes, trois des membres du groupe punk rock russe sont arrêtées et condamnées le à deux ans d’emprisonnement en camp de travail pour vandalisme, exhibition profanatrice et incitation à la haine religieuse. C’est ainsi que Kincy et Antha joueront sur scène le 8 août 2012 lors de la manifestation de soutien aux artistes  à Paris Beaubourg place Stravinsky. Et comme le hasard fait souvent bien les choses, c’est à la suite de cette performance qu’elles se feront remarquer par Nuun Records qui signera quelques mois plus tard, leur fameuse Sextape. La suite, vous la connaissez…

C’est quoi la suite ?

Entre amour et haine, les Orties dérangent autant qu’elles fascinent. Que ce soit au travers de leurs photos, leurs textes ou leurs clips, elles n’ont jamais perdu de vue le côté artistique de leur musique. (merci les Beaux-Arts !) Les seules limites qu’elles s’imposent, c’est celles de leurs imaginations. Et pour montrer que la Sextape n’avait rien d’un coup de chance, les Orties ont déjà prévu d’écrire la suite de l’histoire : en décembre 2015, elles annoncent qu’un nouvel album est en préparation. Mais alors où étaient-elles donc passées pendant ces deux années ? Si Antha a fait une pause pour passer son diplôme aux Beaux-Arts, les Orties n’ont pas pour autant fait une croix sur la musique : dans une interview accordée à Noisey cet été Kincy explique :

On a repris tout à zéro. On a passé beaucoup de temps à ré-initialiser notre projet, je me suis mise à la production. J’ai produit tout l’album, chose qu’avant je ne faisais pas. On ne voulait plus travailler avec des mecs qui nous faisaient des beats, le but était de gagner en indépendance artistique, d’arriver à tout faire soi-même. En fait, on a passé ces deux dernières années en studio

Néanmoins, peu d’informations ont encore été dévoilées au sujet de ce nouvel opus. Initialement prévu pour mars 2016, celui-ci a malheureusement été repoussé à cet automne. Rassurez-vous, Antha & Kincy en ont tout de même livré un avant-gout afin que nous nous fassions une idée de leur nouvelle orientation artistique. Un titre évocateur puisque « SexeDrogueHorreur » reprend simplement leurs trois commandements évoqués plus haut. Pour les mettre en forme, les Orties ont plus que jamais joué la carte de l’electro avec un beat endiablé produit par Mirwais et illustré par un clip réalisé par Jean Bocheux. La vidéo plutôt sobre a été tourné Place de la République à Paris. Dans le texte, rassurez-vous elles sont toujours aussi délicieuses. On vous laisse apprécier :

Grâce à leur désir permanent d’emmener toujours plus loin l’art et la musique, les jumelles Orties ont su attirer le public avec leur univers singulier et toujours plus hardcore. Guidées par un grain de folie, une certaine misanthropie et une dose de schizophrénie, Antha & Kincy peuvent se féliciter d’avoir réussi à donner vie ensemble, à leur propre vision du monde. Faisant le choix de ne se tracer aucune frontière de genre, elles ont ainsi puisé dans leurs nombreuses influences pour affirmer progressivement leur identité artistique. Du rock gothique, en passant par l’electro et le rap, elles sont finalement insaisissables. Mais si vous tenez absolument à leur coller une étiquette, c’est elles qui choisiront naturellement de se ranger dans la catégorie « chanson française contemporaine » ou « nouvelle chanson française », comme elles le disaient si bien aux Inrocks. Il n’empêche qu’on vous avez prévenu : les Orties, qui s’y frotte s’y pique ! Et ce n’est que le début…

En attendant leur nouvel album, vous pouvez télécharger leur Sextape en cliquant ici.

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