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SCH : bilan et décryptage de ses choix sur « JVLIVS II »
Sorti le 19 mars, JVLIVS II était de toute évidence l’un des albums les plus attendus de l’année. Quel bilan faire de ce carton commercial de SCH après quelques mois ?
Qu’on le veuille ou non, SCH est à un niveau stratosphérique depuis plus d’un an. Après une année 2020 où il a impressionné par ses performances fantastiques sur des featurings variés, et un couplet dans « Bande organisée » qui est déjà rentré dans les annales du rap français, le retour du S ne pouvait pas mieux tomber. Et toute l’émulation qu’il y a eu autour du tome II de JVLVIS est la conséquence directe du travail fourni par le rappeur de Marseille depuis un an et demi.
Alors, passée la hype de la première écoute, le choc de la première semaine, vient alors cette question inévitable. Quel bilan faire de JVLIVS II ? Ce tome a-t-il tenu ses promesses ? Rentre-t-il dans la lignée de la trilogie en faisant suite au merveilleux tome I sorti il y a maintenant plus de deux ans ?
Un SCH dans une autre dimension
Il a annoncé la couleur dès l’introduction avec « Marché noir » et tient rapologiquement parlant son rang durant tout le projet : SCH rappe comme pas deux. Toujours dans la même forme que sur cette année 2020, toutes les performances de SCH sont absolument remarquables. Entre ses placements sur « Crack », son rythme sur « Assoces », l’interprétation qu’il apporte au morceau « Zone à danger » : il n’y a aucun morceau de l’album où SCH laisse l’auditeur sur sa faim. De plus, il s’essaie à des prises de risques peu évidentes, et dans l’ensemble, très réussies. Le refrain en chopped and screwed sur « Euro » ; la prod de « Crack », l’ovni de l’année pour l’instant. De ce point de vue, on ne pouvait pas rêver mieux. SCH ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a donné le meilleur de ce qu’il pouvait donner pour faire honneur à ce tome II tant attendu.
Et lon peut dire que ça tombe à pic. On sait que la trilogie JVLIVS représente le projet le plus ambitieux de toute sa carrière. C’est donc avec joie que l’on retrouve un SCH au-dessus de tout le rap français dans le niveau de rap qu’il apporte. Une plume encore une fois sensationnelle, un renouvellement dans ses flows et ses placements : alors que le tome I était impressionnant par l’alchimie de SCH avec la musicalité des producteurs, c’est après plusieurs écoutes cette fois essentiellement le niveau de SCH qui ressort.
Une approche différente
Le tome I était un film. Une plongée d’une heure au sein de la mafia napolitaine, où l’on nous présentait le personnage mythique de Jvlivs, son affiliation à son père, mais où Jvlivs restait une figure iconique et encore peu accessible. Dans le tome II, SCH a fait le choix de démythifier le personnage, à plusieurs points de vue. Avec l’esthétique tout d’abord, où Jvlivs apparaît très terre à terre, bien plus ancré à Marseille. Il a abandonné la fourrure mystique et a laissé place aux costumes et joggings. Dans les textes ensuite, où SCH laisse beaucoup plus entrevoir les faiblesses de son personnage, qui se livre comme il ne l’avait jamais fait, sur des morceaux comme « Zone à danger », « Raisons » ou encore « Loup noir ». SCH a amené sa plume à un niveau encore plus fort qu’avant, et nous rend le personnage très humain. On sort de la vision de Jvlivs comme une icône, baron d’une des mafias méditerranéennes les plus dangereuses, et on retrouve un Jvlivs qui nous parle de sa relation avec sa mère, et toujours hanté par la mort de son père. La manière d’aborder le personnage était donc différente, et c’est tant mieux. Car on a une évolution logique et bienvenue dans son approche.
Dans la construction de l’album également, SCH a pris un parti différent du tome I. Ce dernier était intégralement produit par Katrina Squad (en particulier Guilty). Ici, on retrouve Katrina Squad sur 7 des 19 morceaux de l’album, dont 3 interludes. Seulement 4 des 16 « vrais » morceaux de l’album sont donc produits par Katrina Squad. SCH a fait appel à d’autres producteurs tels que BBP, Phazz, Sofiane Pamart, Meryl, Enigma, Geo on the Track… qui sont à créditer de très belles prods (comme « Fournaise » ou « Parano »). Seulement voilà, le fait que SCH ait fait appel à un panel large de producteurs entache la cohérence de l’album, l’enchaînement des morceaux, et la teinte musicale globale qui se dégage à l’écoute du projet.
JVLIVS II, une réalisation disparate ?
JVLIVS n’est pas un album comme un autre. On n’aborde pas un album de cette trilogie comme on aborde un Rooftop, un Deo Favente ou un Anarchie. Pourquoi ? Car c’est un album concept. SCH l’a répété maintes et maintes fois, cet album est fait pour s’écouter d’une traite, de A à Z. Ainsi, dans ce genre de situation, on s’attend à une immersion de la première à la dernière piste, pour plonger dans l’univers de l’artiste, comme cela avait été brillamment réalisé sur le tome I. Et c’est là que la frustration arrive. Car dans la réalisation musicale, il y a un déséquilibre : on ressent moins le côté cinématographique du tome I. Et ce n’est pas un choix de l’artiste : avec les interludes, SCH a essayé de garder l’ossature de la trilogie, mais on peine à retrouver le côté storytelling. Les morceaux s’enchaînent sans une logique particulière, sauf au moment des interludes et du morceau qui suit. Mais on ne retrouve pas d’enchaînements comme « Prêt à partir » / « Mort de rire », ou « Ivresse & Hennessy » / « J’t’en prie », qui ont une logique dans l’histoire et l’évolution de l’album.
JVLIVS I avait une identité musicale très forte dans les instruments utilisés, dans les enchaînements de morceaux, dans le couplage de voix de SCH avec les instrus. Dans le tome II, c’est moins évident. Alors, pourquoi cette cinématographie de l’album est-elle moins palpable ? Peut-être par la diversité des producteurs. De plus, l’esthétique du projet est parfois difficile à comprendre quant à l’évolution de l’histoire. Par exemple, la sortie du tome I était appuyée par un court-métrage de vingt minutes, qui aidait à comprendre l’histoire du personnage de Jvlivs. Sur le tome II, il y a une introduction de trois minutes avant le clip de « Marché noir » et un documentaire d’une quinzaine de minutes regroupant des témoignages de SCH et de ses proches quant à l’album. Mais il n’y pas d’apport cinématographique aussi fort que sur le tome I. Inévitablement, la cohérence du projet en pâtit.
Enfin, il y a des choix musicaux réalisés par SCH qui sont discutables. Par exemple, le choix de placer un morceau comme « Mode Akimbo » au cœur d’un album concept comme JVLIVS II paraît surprenant. Il est musicalement sur un rythme différent, lyricalement dans un registre beaucoup moins poussé et travaillé que les autres pistes. D’ailleurs, SCH en parle lui-même dans l’interview pour Mehdi Maïzi sur Le Code : «Malgré le fait que JVLIVS II soit un projet qui reste très cinématographique et très histoire, il faut que je prenne ne compte le fait qu’il y ait des gens qui attendent aussi cette part solaire et méditerranéenne qu’il y a sur le SCH de « Bande Organisée »».
On sait que les featurings dans les albums concepts sont des sujets délicats, qui doivent bien être amenés. Ninho et Freeze Corleone ont réalisé tous les deux des superbes performances qui s’intègrent à merveille dans la trilogie et dans l’atmosphère du projet. Mais la direction artistique du morceau avec Jul est en décalage avec l’univers de la trilogie, à l’inverse par exemple du morceau bonus « Fantôme » avec Jul et Le Rat Luciano, qui rentre bien plus dans le concept.
Quelles conséquences pour la trilogie ?
Les conséquences se retrouvent, après plusieurs semaines d’écoute, directement dans la manière d’écouter l’album. JVLIVS I est un album qui s’écoute facilement d’une traite, en ne passant aucun morceau. JVLIVS II s’écoute par parcimonie. Un morceau par-ci, un par-là, pas nécessairement dans l’ordre. On perd le label « album concept » qui a tant été placardé depuis la conception de la trilogie. On a la sensation parfois que l’on pourrait écouter certains tracks de l’albums comme on le fait avec un album comme Rooftop, alors que les dispositions d’écoutes sont censées être différentes.
Et c’est frustrant. C’est frustrant tant le contenu de l’album est qualitatif. Des morceaux individuellement exceptionnels. Un SCH en démonstration qui, dans la qualité de ses performances, atteint certainement un pic en carrière. Et le sentiment qui se dégage est celui d’être passé à côté de quelque chose. Si SCH avait pu raccourcir un peu le projet en enlevant certains titres qui ne collent pas à l’univers, resserrer le cercle de producteurs autour de lui pour donner un liant entre tous les morceaux et dans leurs enchaînements, on aurait pu avoir un chef-d’œuvre meilleur que le tome I. SCH fait partie des rappeurs qui ont la plus belle discographie des années 2010 et c’est pour cette raison qu’il faut bien hausser également notre niveau d’exigence.
Alors, peut-être qu’avec le dernier tome, une autre lecture de la trilogie sera possible. Pour l’instant, c’est celle-ci qui reste. Malgré tout, SCH a réussi à rassembler un énorme public autour de cet album, qui est une réussite commerciale incontestable. Peut-être est-ce la conséquence de ce nouveau public qui s’est tourné vers SCH depuis « Bande organisée », pour qui SCH a en quelque sorte proposé un format plus accessible que le tome I. Il semble tout de même que ceux qui se sont pleinement retrouvés dans le tome I ressentent ce goût d’inachevé cinématographique sur le tome II.
Dans le reste de l’actualité, on a analysé les références de J. Cole dans “The Off Season”