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TK : «En l’appelant Avant la fête, on s’est promis que pour le prochain, on pètera les feux d’artifice»

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TK

À l’occasion de la sortie d’Avant la fête, on a pu rencontrer TK. L’importance de Jul, son masque, sa vie à Marseille, on a discuté de plusieurs choses.

À travers son masque se dessine un regard perçant. Véritable étoile montante, TK gravite depuis quelques années dans la gigantesque galaxie du rap marseillais. Repéré par Jul à ses débuts, le jeune homme du Panier est peu à peu devenu une figure reconnu de cette scène biberonnée aux type beats du sud-est. Un an et demi après Pas Ouehda, TK a dévoilé son deuxième album : Avant la fête. Sa collaboration avec Lujipeka, ses nouvelles responsabilités et sa manière de travailler, on a discuté avec lui de son début de carrière et de ce nouvel album.

TK, comment tu vas ? Comment se passe ton séjour parisien ?

Ça va super. Super cool. On passe du bon temps la journée, pareil le soir avec les amis et les artistes. Franchement, on se régale de ouf. Je kiffe Paris, on fait de belles rencontres, on est super bien accueilli à chaque fois. Paris, c’est validé.

Comment tu te sens en ce moment avec la sortie d’Avant La Fête ?

Franchement je suis bien. Je suis content. J’appréhendais un peu les réactions et comment les gens allaient prendre ce retour. Je savais pas si ils voulaient que je revienne en mode TK, ambiance, fête foraine, ou si ils préféraient découvrir de la nouveauté. On est dans la continuité, mais on a un peu élargi la couleur de la musique qu’on propose habituellement. Et là, je pense que les gens devraient kiffer parce qu’on est parti chercher de nouvelles choses sans vraiment s’égarer de ce qu’ils appréciaient, de la musique qu’on proposait.

On va parler un peu du projets mais on voulait aussi retourner un peu en arrière. Quels sont tes premiers souvenirs liés au rap ? Comment tu tombes dedans?

Quand on était petits, le rap, c’était la musique des grands. Et nous les petits, on ne la connaissait pas forcément. Parce qu’avant il n’y avait pas les réseaux sociaux, les téléphones… Donc on ne pouvait pas chercher des choses ou trouver des choses de nous même. Du coup, on se référait à ce que les grands écoutaient, on voulait faire comme eux donc on suivait un peu leurs goûts. C’est comme ça que j’ai découvert le rap. Il y avait la FF, Le Rat Lucanio plus précisément, qu’on écoutait beaucoup. LIM, Kamelancien Alpha 5.20, le GFG, Alibi Montana… Cette période était pleine de connexions entre Alibi Montana, Alkpote. C’était fou.

C’est pas seulement du rap marseillais en tout cas

Non pas seulement. On a beaucoup écouté du marseillais bien sûr. Que ce soit la FF, la Psy 4, et Alonzo, Soprano… Vraiment tout le monde. Mais on était aussi ouverts sur Paris. Notamment Booba aussi. 113, Rohff… Tout le monde, vraiment tout le monde.

Et à quel moment tu te dis que c’est ton truc aussi et que c’est ce que tu veux faire?

En vrai, je ne tombe pas directement dedans. Quand on était petits, au quartier, il y avait des ateliers d’écriture proposés par la maison pour tous. Et quand tes potes ils rappent, tu fais comme tout le monde : tu prends un stylo, une feuille et t’écris des phrases. La maison pour tous nous emmenait au studio. On avait rec un son, mais c’était drôle. C’était juste une activité pour les jeunes.

Et après, plus tard… En 2017 ou 2018, pour rigoler on faisait un freestyle et on avait kiffé. Et ça c’est fini en session studio. On sort un son, puis un deuxième son. Après, quand on voit qu’il y a vraiment des gens qui commencent à apprécier, qui ne sont pas de l’entourage proche, tu vois, on s’est dit que c’était réel.

Donc c’était limite pour s’amuser plus que dans une démarche sérieuse au début ?

En vrai on est allé au studio parce qu’on trouvait que les freestyle étaient marrant, mais il y avait aussi un truc. C’était pas ridicule. On a fait un son, un deuxième, un troisième. Parce qu’en même temps il y a aussi le kiff du rap. On est quand même des amoureux du rap depuis longtemps. Avant d’être même rappeurs, on est quand même des amoureux de la musique, du rap, des gros consommateurs.

Et le masque, tu le mets dès le début ? C’est dans le même esprit de s’amuser ou il y a de réelles intentions de se cacher ?

Dès le premier visuel. Je mets le masque direct. C’est pour se cacher en vrai. Tu veux pas trop te montrer. DE base on est des gars très portés sur la vie réelle. Moi, mon entourage au quartier, on n’est pas trop des gens des réseaux. On veut notre petite vie tranquille. En plus de ça, c’est le premier clip frérot. Si on fait 1000 vues, c’est le bout du monde, mais on ne va pas commencer à s’afficher. On va passer pour des guignols aussi (rires). Mais c’est surtout pour la tranquillité. C’était pas un accessoire pour aller chercher un buzz. Ça a vraiment été quelque chose pour se préserver dès le départ.

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Les choses s’enchaînent assez rapidement et très vite il y a les premiers contacts avec Jul. Comment se passe ta première rencontre avec lui ? 

La première fois que je le rencontre je crois que c’était dans un snack. Je passe, le voir et on discute un peu. On lui avait donné une clé USB avec des exclus. Parce qu’à l’époque, on faisait plein de son mais on n’en sortait pas beaucoup. J’avais donc beaucoup d’exclus. Donc on lui fait passer cette clé USB. Et il me dit : « C’est grave lourd ce que j’ai écouté. Il y a un truc à faire. Il ne faut pas lâcher, faut être sérieux. Pour ma part, je kiffe ce que tu fais et naturellement je vais te donner de la ce-for et t’inquiète pas, on va se brancher« .

À l’époque, toi, tu vis ça comment ? C’est quand même pas n’importe qui Jul, c’est une énorme star à Marseille, déjà à l’époque.

Une star en France même ! Pas que Marseille, ça reste le numéro un en France. C’est l’équivalent de Cristiano dans le rap français. Moi, je prenais pas vraiment la musique au sérieux à ce moment là. Je sais que je sais qu’on me dit que je suis bon. Je sais qu’on kiffe ce que je fais et qu’on me dit qu’il ne faut pas lâcher, qu’il y a un truc à faire. Et, je sens aussi qu’il y a un truc à faire, mais à ce moment là, t’es dans le full indé.

Tu sais pas ce que c’est une major. Rien que le mot major, je le connaissais même pas. Je connaissais le terme maison de disques et c’est tout. On était vraiment loin de l’industrie et de ce que la musique, ça peut être. Le rapport avec les rémunérations dans la musique. Comment ça se passe ? Qu’est ce qu’il faut faire pour avoir de l’argent ?

Donc en vrai je le prends en mode c’est lourd. Le poto, on l’écoute au quartier, tout le monde le connaît,  c’est une référence dans toute la France. Et il est en train de me dire que ce que je fais, c’est lourd et qu’on reste branché. Mais c’est une dinguerie. Mais moi je suis dans mon coin, je faisais ma musique avec des gars de ma zone. Et là, je suis en train de parler avec le boss. Je m’en rends peut être pas forcément compte directement.

C’est quand il t’invite sur son projet que tu prends conscience de ce qui se passe ?

Même pas. Avant ça quand même il me partage sur ces réseaux. J’avais sorti « Reste Cool » et il avait apprécié le son. Il le partage et là, je recevais une tonne de messages : « Jul il a partagé c’est comment ?« . Et la valeur d’un partage de Jul à ce moment là c’est quelque chose. À ce moment là, Jul il partage rien à part ses projets, ceux de son artiste Moubarak. Et là il me partage. La valeur de ce partage, ce jour là, elle était énorme, elle avait un énorme poids. Puis ça a été concrétisé par une invitation sur l’album.  Après l’album, tous les jeunes qu’il avait invité, il nous ré-invite à Skyrock. Ce qui concrétise l’invitation de l’album.

Et c’est après Skyrock que je me rends compte. Je sortais des clips qui faisaient 1000, 2000 vues en 24h. Après Skyrock, on parle de 50 000 vues en 24h (Rires). Puis 24h de plus, on refait 30 000 vues. C’était pas un hasard ! Et après, on va sur une constante de 10 ou 15k vues par jour sur le même clip. Puis on accroche les 1 million de vues en un mois. Il se passe un truc pour de vrai. Et là, je me rends compte de où j’avais les pieds.

Au delà des chiffres, comment tu vis ce changement de statut ? Certaines choses changent ?

Les chiffres, l’engouement, la sollicitation des gens, le respect. Tout l’amour que je reçois d’un coup de la part des gens. Parce qu’au delà de la musique, je fais beaucoup de stories spontanées ou même des live Instagram. Tu vois des trucs que j’ai toujours, kiffé faire. J’ai jamais passé le cap de me dire : « On va améliorer visuellement tout ça. On va rendre des trucs propres, beaux et agréables à voir pour tout le monde« . Je n’ai pas passé le cap du tout.

On mettait du fromage dans le hamburger, pour rigoler je le snappais bêtement. On était au quartier, il avait une bagarre, je la snappais bêtement. Je peux avoir une dinguerie : « Ouais, les gars, je ne fais pas le live de ce soir. Il est annulé parce que j’ai plus de crédits, j’ai plus de 4G » (Rires). Ce cap là, je ne l’ai pas encore passé. Me dire qu’il faut faire gaffe. Et au final, les gens ont accroché à ça, ils sont rentrés dans l’univers.

Arrive ensuite la sortie de Pas Ouehda. C’est ton premier projet et il sort à un moment très spécial…

Ça sort en plein deuxième confinement. Au départ je le décale de deux semaines à cause de ça. Au final je le sors. Et la chance que j’ai c’est que Macron réouvre l’accès à la culture. Donc les rayons Fnac se ré-ouvrent. Ce qui n’a servi à rien parce qu’au final je n’ai même pas été mis dans les bacs à temps. On avait peur du COVID et finalement on s’est foirés au niveau de la livraison des CD. On a eu peur de la pluie mais on s’est mouillé les baskets sur la flaque d’eau (Rires). C’était vraiment n’importe quoi. Bref, l’album sort juste après le COVID.

Comment tu le vis à ce moment là ? Ta musique est quand même festive, c’est pas les meilleures conditions pour sortir.
Je le vis bien parce que j’avais besoin de sortir de la musique. J’avais besoin de mettre du contenu sur les réseaux. J’avais besoin de nourrir un peu tous ces gens qui attendaient de la musique de moi. Bien sûr que c’est dommage parce que j’ai pas pu exploiter cette musique. À ce moment la, je faisais beaucoup de show, je tournais beaucoup. J’avais beaucoup de sons adaptés pour les clubs. Au final, on n’a pas eu la chance d’exploiter l’album comme il fallait en le défendant sur le terrain et en live.
Donc content de pouvoir sortir l’album, mais il y a quand même une petite frustration.
C’est ça. Mais après, au final, la frustration elle disparaît. Parce qu’il y a un succès de ouf sur l’album. Quand je dis de ouf, c’est à mon échelle. Les gens le prennent vraiment hyper bien, ils valident les collabs et tout. Et au final, j’oublie la frustration du fait que je ne pourrais pas défendre mon album en live.
Ce premier album te fait passer un certain cap de popularité. Comment tu vis cette exposition naissante et les premiers succès ? Quel impact ça a sur ta vie ? 
Je pense que l’album a contribué à un succès artistique, mais pas en notoriété. C’est vrai que le premier album, ça rentre dans le CV, c’est carré. Tu as des physiques dans les bacs et des affichages. Mais en vrai, il y avait eu une telle montée, de buzz un an avant la sortie de l’album que je n’ai pas eu une véritable explosion. Je l’avais déjà eu un an avant. Entretemps j’ai pas sorti de musique pendant un an. J’avais déjà tout cet engouement qui était là avant l’album. On a juste concrétisé l’engouement. Même avec un an et demi de retard, mais il a fini par sortir.
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Aujourd’hui il y a Avant la fête qui a vu le jour. Combien de temps t’as passé à travailler ce projet ? T’es dessus depuis la sortie de Pas Ouehda ?
Depuis la sortie de Pas Ouehda, j’ai fait cinq albums, mais on en sort qu’un. La productivité elle est là, mais l’actu ne suit pas. On bosse beaucoup, on fait énormément de sons, on produit à fond. Mais entretemps, il faut régler des paperasses, faire ci, faire ça. Et des fois, indirectement et sans le vouloir, tu ne vois pas le temps passer. T’es concentré à t’occuper des choses qui ne sont pas du domaine l’artistique. Au final, il s’est passé un an et demi entre Pas Ouehda et Avant la fête.

Si t’avais enregistré l’équivalent de cinq albums durant ce laps de temps, j’imagine que la sélection finale a dû être compliquée ?

Ça a été très compliqué. Mais vu qu’au final l’album Avant la fête qui devait sortir en décembre, il sort seulement le premier juillet. Il s’est passé six mois. Il y a eu l’hiver et le printemps et on rentre dans l’été. Donc finalement, tous les sons qu’on a fait pendant cette période là, on pensait les sortir en hiver. On avait mis de la mélancolie du ciel gris et de la pluie. Finalement on est reparti en studio et on a refait de la musique avec le mindset de juillet. On a recommencé à zéro, on est reparti en studio. Un mois et demi de séminaires. Par exemple, on est monté chez Tefa à Paris. On a bossé chez Guilty à Toulouse, on est parti bosser à Amneville en Belgique, à Marseille bien sûr, et à Lille aussi. On a fait du son en mettant dans nos têtes qu’on sortait cet été. Et on a produit la musique la mieux adaptée pour la période sans négliger aucun autre son qu’on a fait avant et qui vont sûrement sortir. Ils sont à la banque. Quand t’en as besoin, tu retires (Rires). Dans le compte en banque, dans le compte épargne.
Pourquoi l’appeler Avant la fête cet album ? Qu’est ce qu’il signifie ce nom d’album ?
Le premier projet, Pas Ouehda, il ne sort pas dans les conditions dans lesquelles il devait sortir. Il y a le COVID, il y a plein d’autres facteurs autour qui font que. Même moi, dans ma vie privée. Donc on n’arrive pas à le célébrer comme on voulait le célébrer, même si on a kiffé de ouf et et on a vécu le truc à fond et ça a été une sortie incroyable. On s’est dit que le prochain c’était le bon. Mais pareil, plein de galères, pleins de soucis, plein de trucs qui font que ce n’était pas encore la fête cet album là, tu vois. Donc, en l’appelant comme ça, on s’est promis à nous que le prochain, ce sera la fête. C’est une promesse qu’on s’est faite. Vous inquiétez pas le prochain, on va péter les feux d’artifice.
Du coup, sur celui là, il y a la collaboration avec avec Lujipeka, avec qui t’as connecté avant pour « HSBC ». Comment elle se fait la connexion au départ ?
Par le manager a Lujipeka et mon gars Raouf, qui s’occupe de tout ce qui concerne TK. C’est des potes. Et le manager de Luji il en parle à Raouf. Raouf m’en parle. J’aime beaucoup ce que fait Luji, j’avais déjà entendu plusieurs fois. Je connaissais Columbine et après j’étais tombé sur deux, trois sons solos lourds. Je savais qu’il était fort. On s’est branché on a fait du son. On a fait aussi de l’humain, on a mangé ensemble, on a fait du studio. Il m’a invité sur ses concerts, à l’Olympia. Je suis venu faire la date avec lui à Marseille. On a clippé, il est venu, tu vois.
Et pour le coup, même si HSBC c’était déjà ensoleillé et un petit hit, votre nouvelle collaboration est carrément dans l’esthétique du rap marseillais. Tu le voyais venir sur ce terrain ?
Il m’a toujours dit qu’il était fan à fond de rap marseillais. Tu vois, il kiffe le rap marseillais, depuis des années. Donc si c’est ce qu’il kiffe, j’ai direct pensé que sur la collab, c’est le truc qu’il va le mieux faire. Si un gars, tu l’amènes dans un endroit qu’il aime, il va être heureux, il va s’épanouir. Et un jour j’étais chez moi, je tombe sur cette prod de ouf. J’écris uniquement un petit truc et je m’enregistre en note vocal. J’envoie ça à Raouf qui l’envoie à Luji. Il valide de ouf. Je vais en studio, j’enregistre et je lui envoie. Le lendemain, il m’envoie direct les voix et ça donne « BB BB BB ». Il est grave ouvert d’esprit, quand j’ai une idée, il l’écoute donc ça s’est super bien passé. Et même humainement, c’est passé. C’est facile et c’est agréable de faire de la musique avec Luji. Dès que t’atteins ce truc là dans les collaborations, tu peux même en faire 10,20 dans l’année.
C’était après HSBC ?
Ouais. Et entre temps, on a même fait d’autres sons, d’autres formats de musique. Je ne sais pas s’ils sont à la banque. Ils sont pas dans mon compte à moi (Rires). Ils sont dans les comptes à Luji. Mais je crois qu’on va faire un compte commun (Rires). Au moins, on a tous les deux une carte bleue et si on veut, on retire chacun un son.
Il y a un morceau en particulier dont on voulait parler : « Mat riskich ». C’est un storytelling un peu spécial. Est-ce que tu peux nous parler un peu du son, raconter comment tu l’as créé ?
Je l’ai fait à 7h du matin pendant le ramadan. Donc à 5 h 55, je ne peux plus boire. Et François, le compo, il compose la prod. Une dinguerie. Obligé d’enregistrer avec la pâteuse (Rires). L’instru m’inspire direct le mal être et le mal de vivre. Elle m’inspire un peu cette asphyxie interne qu’on montre pas. Elle m’évoque tous mes problèmes que j’ai au fond de moi, mais que je veux dire à personne. Toutes mes frustrations, tous mes complexes, tous mes trucs.
À Marseille, on a beaucoup de gens dans notre entourage qui sont devenu des amis, des frères. On a grandi avec eux, ils sont là depuis plusieurs années. Ils viennent du bled, ils viennent illégalement. Ils n’ont pas les papiers, ils ont rien. Et ils viennent par la mer comme ils peuvent, ils se débrouillent. Et depuis petit, en grandissant avec eux, je me suis rendu compte que c’est pas du tout ce qu’ils imaginaient. Ils pensaient avoir des sous en France, être bien, avec les papiers et sans galères. Ils vivent tous les jours dans le stress, l’angoisse de se dire qu’ils vont être renvoyer. Ce qui serait un échec parce que ça a coûté cher et ils ont risqué leur vie pour venir. Ils doivent rester ici pour assumer leur famille d’en bas, et des responsabilités qu’on ne connaît pas forcément. Ils ont aussi leur vie de jeunes parce qu’ils arrivent entre 14 et 20 ans. Ça veut dire qu’ils arrivent ici et ils sont jeunes, ils sont comme nous, ils veulent acheter de la sape, ils veulent vivre leur vie, ils veulent manger dans des bons endroits. Ils ont toutes ces responsabilités là et toute cette charge qui leur tombe sur le dos.
Mais en fait, tout ça, ça part du moment ou ils ont décidé de venir en France. Et limite ces gens là, ils sont presque dans un regret d’être venus en France. Le son s’appelle « Mat riskich », ce qui veut dire « Ne risque pas ». Parce que tu risques ta vie, tu risques de tout perdre. Par exemple, on a un frérot à nous, il est venu ici. Mais il a son père qui est mort en Algérie. Il peut même pas aller enterrer son père parce qu’il n’a même pas les papiers. C’est une vie de fou. En fait, on ne s’en rend pas compte.
Récemment il y a aussi Zamdane qui en a parlé avec « Flouka ». C’est des sujets dont on entend de plus en plus parler comparé à avant dans le rap…
Alors que c’est une vraie réalité, surtout chez nous, dans le Sud, à Marseille. Ici à Paris aussi car il y a beaucoup de gens qui, après Marseille, montent à Paris ou. Mais nous, dans le Sud, dans notre quartier, on est moitié-moitié. Et c’est nos frérots. On a grandi avec eux, ils ont été éduqués avec nous. Ils pensent comme nous, ils vivent comme nous, ils s’habillent comme nous, ils parlent comme nous. C’est juste que leur famille est là bas et ils sont ici.
Mais c’est vrai qu’on n’en parle pas beaucoup, mais chez nous, c’est vraiment un quotidien. Et je me suis rendu compte, une fois que j’ai fait le son. En fait, c’est quelque chose qui est hardcore. Mais c’est tellement devenu quotidien chez nous qu’on en a fait une banalité. Alors que ces gars là, ils vivent un truc de ouf. Le passage, il coûte entre 4 000 et 10 000 €. Selon le contact, selon par où tu passes avec qui, quel jour, quelle période. Il risque huit ans de travail en Algérie en terme de coût financier. Et le gars, il arrive ici, il n’a rien, il ne connaît personne, il n’a pas de famille, il ne sait pas ce qui se passe, il n’a pas d’argent. Il a rien, il n’a pas d’habits, il a rien. Et au final, est ce que ça en vaut la peine ? Est ce que ça vaut la peine de venir ici ?
Et tous ces gens de mon entourage, qui nous donnent leurs impressions et leur vécu, des fois ils sont dans le doute. Oui, ça fait huit piges qu’ils sont là, ça fait huit piges qu’ils ont pas vu leur mère et leur père. Huit piges et ils ont toujours pas un rond de côté. Ils sont toujours en train de se demander à quel moment ça va finir. Ils ne peuvent pas aller travailler légalement comme tout le monde. Pas de cartes bleues, ils vivent toujours sous pression. Dès qu’ils voient la police, ils sont inquiets. Ils vivent mal.
C’est pour ça que tu l’as rappé en arabe aussi ? Pour qu’il s’exporte là bas ? ?
Peut être pas pour qu’il s’exporte là bas. J’aimerais beaucoup. L’Algérie, c’est mon pays, c’est les origines, c’est mes parents, c’est mes racines. On va être enterrés là bas. C’est dans le coeur. Mais musicalement, je ne cherche pas encore vraiment à être exporté là bas. Ce n’était pas le but de ce son, en tout cas.
Exporté n’était peut-être pas le bon terme mais, mais pour qu’ils entendent ce que t’as à dire si ils ont envie de venir ?
Voilà exactement. Je l’ai fait avec des mots en arabe pour ceux d’ici, pour commencer. Parce que mettre ce côté arabe, ces petits mots. ces références, ces expressions du bled c’est plus pour eux et toucher directement ces personne. Indirectement quand tu parles l’arabe, tu reviens direct à la racine. Et le gars, tu le touches en plein cœur. Et en plus de ça, c’est aussi si le son il prend le bateau retour, ça sera une façon de dire : « Peut être qu’ils ont honte de vous le dire. Peut être qu’ils n’osent pas parce que ça serait un échec ou un truc d’ego et de fierté. Mais ce n’est pas si beau« . La France, c’est magnifique. C’est l’un des plus beaux pays du monde. On a le plus de droits d’accès, que ce soit à la médecine, à la scolarité, aux hôpitaux, aux aides, aux charges sociales… Mais est ce que ça vaut la peine de tout quitter ? De tout laisser là bas et de venir ici pour rester en irrégularité et dans la pression constante tous les jours sans savoir ce qui va se passer le lendemain à chaque fois. Est-ce que ça vaut le coup ?
Tu sors de deux albums hyper rapprochés et deux années très productives. Après la sortie d’Avant la fête est ce que l’envie de lever le pied se fait sentir ?
Tant que je suis en studio c’est que j’en ai envie. Je me forcerai jamais à aller en studio. Je sais pas encore dans quel état d’esprit je serai dans une ou deux semaines. Mais là j’ai envie d’aller en studio, j’ai encore des choses à dire, j’ai envie de continuer de découvrir, de proposer. Je vis des choses, je rencontre des gens au quotidien, j’ai l’esprit qui s’ouvre constamment, je muris, je voyage… Plus je fais ça, plus j’aurais de l’inspi et plus j’aurais envie de faire de la musique.
TK – Avant la fête
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