Musique
Trois trucs qui inquiètent après la nouvelle révolution du streaming
Dès le début de l’année, la Snep a souhaité resserrer une nouvelle fois l’étau autour de la prise en compte du streaming dans ses certifications. Un point s’impose.
L’annonce date de plusieurs semaines, mais les premières conséquences se font tout juste ressentir. Vexé de devoir balancer des certifications à tout-va, et surtout asphyxié par la part étouffante du streaming dans les chiffres de ventes des albums, le SNEP a décidé de (re)changer les règles. Pour obtenir une vente, il ne faut plus 1000 écoutes streaming, mais 1500, soit 50% d’écoutes en plus. Cette nouvelle donnée, jusque-là dérisoire, prend une proportion plus importante avec les derniers chiffres de ventes, notamment la première semaine de Kaaris, qui subit de plein fouet ce nouveau virage. En fait, la révolution inquiète le rap sur trois points différents.
Un volume en grosse diminution
Prenons l’exemple de Kaaris qui enregistre, en première semaine, 13 000 ventes avec son album Or Noir 3. Sans la révolution, l’opus aurait cumulé environ 18 000 ventes. L’écart se fait ressentir à près de 5 000 ventes. C’est énorme. L’artiste de Sevran, malheureusement, est la première grosse victime collatérale de cette révolution, engendrée sans vraiment prévenir. Le premier à s’y frotter, certes, mais sûrement pas le dernier puisque le rap, comme le reste de la sphère musicale, va désormais devoir évoluer avec. Cependant, force est de constater que les chiffres occupent une place bien particulière dans le monde du rap, et que les éléments de comparaison, album après album et entre artistes s’avèrent extrêmement importants.
Dans un simple esprit de mesure d’abord. Le rap game se chiffre et la science de la « première semaine » permet de jauger la progression des artistes. Les ventes soignent également les egos, « les hommes mentent mais pas les chiffres ». Au-delà du simple art, elles sont, peut-être tristement, devenues une compétition, un sport. Les révolutions, légitimes car adaptées à l’augmentation croissante du streaming, fausse les différents chiffres, parfois à une semaine d’intervalle même. L’industrie musicale est en perpétuelle évolution et les interventions externes, quelles qu’elles soient enrayent les différentes comparaisons. Peut-on réellement comparer les chiffres de vente de Or Noir, premier du nom publié en octobre 2013, et Or Noir 3. L’un est sorti aux prémices du streaming avec 18 000 ventes (le streaming n’était pas comptabilisé à cette époque), quand l’autre se heurte à une limitation notable et se bloque à 13 000 ventes au compteur. Bref, comparaison, sentiments de progression ou non, le streaming et sa limitation enrayent les statistiques, pourtant grandement nécessaires au rap jeu. De toute manière, comme les rappeurs l’indiquent eux-mêmes, les ventes ont été largement dépassées par les tournées et les taux de remplissage pour jauger la popularité des artistes.
Une guerre contre les gros, subie par les petits
On évoquait l’exemple de Kaaris, premier cette semaine dans la sphère hip-hop. Cependant, derrière lui, les artistes moins influents souffrent d’autant plus de cette nouvelle manière d’entrevoir les ventes. Seth Gueko par exemple, bien qu’il ait un statut particulier dans le rap, n’enregistre que 4 300 ventes. Il est sûrement celui qui a le plus perdu cette semaine. Encore une fois, cette nouvelle révolution ne peut pas justifier les chiffres parfois faibles d’artistes en première semaine. Or, elle secoue d’autant plus ceux qui ont beaucoup plus à jouer avec des premières mixtapes, des premiers albums, et qui cherchent à doser leur fanbase. Souvent, les vues enregistrées sur YouTube ne sont qu’une chimère qui masque réellement le potentiel commercial d’un artiste. Aujourd’hui, le contraste entre vues et ventes risque de se prononcer.
De manière très rap-centrée, les analyses se concentrent souvent sur la scène hip-hop, mais les autres styles musicaux subissent les choix du SNEP de la même manière. Peut-être même plus, puisque le rap a cette chance d’avoir une surexposition redoutable. Rien qu’à voir les dernières têtes d’affiche, DA Uzi ou Heuss L’Enfoiré, qui compilent de bons chiffres malgré une explosion récente. De manière évidente, le SNEP cherche à limiter les certifications qui, il est vrai, deviennent abusives. Mais en s’attaquant au haut du tableau, elle pénalise de la même manière les autres.
Une guerre évidente contre le rap
On en vient enfin au point le plus important : le rap est clairement la cible de ces nouvelles directions. Parce qu’il est le genre le plus certifié et que son caractère jeune profite des nouveaux modes de consommation pour gonfler ses chiffres. Sauf que là encore, les secousses se font ressentir à l’échelle intégrale de l’industrie musicale, bien au-delà du rap. Le SNEP avait déjà pris des résolutions l’année passée pour limiter la progression du genre. Insuffisantes. Cette fois-ci, l’initiative s’avère plus appuyée et devrait, à court et moyen terme, peut-être modifier les modes de communication du hip-hop. Par exemple rendre la sortie d’un album d’autant plus exceptionnelle. Les artistes qui accumulent les projets voient de manière proportionnelle leurs ventes se réduire. Ainsi, assistera-t-on peut-être à une diminution du nombre de projets par an, au profit de projets plus travaillés à caractères plus exceptionnel, avec une communication plus millimétrée ? Réponse très bientôt.
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