Suivez-nous

Interviews

Tuerie : «On arrive à parler de tout quand on a envie de guérir»

Publié

le

Tuerie : "On arrive à parler de tout quand on a envie de guérir"

À l’occasion de la sortie du magnifique Bleu Gospel, on a discuté de la carrière musicale et du parcours personnel unique de Tuerie.

Le 8 juillet 2021 est sorti Bleu Gospel de Tuerie. Et cette sortie, qui intervient après une absence remarquable, a su faire sens. Alors qu’il aurait été commun de s’attendre à une musique lumineuse tournée vers une autodérision mêlée à ses qualités de kickeur, ce membre de Foufoune Palace a choisi le contre-pied. Car Tuerie a décidé de raconter une histoire, celle de son « Bouquet de peur ». Une histoire qui se décline sous des nuances azurs, parfois sombres, mais aussi claires et lumineuses lorsqu’il utilise sa tristesse comme une force d’impulsion. C’est alors dans cet océan de couleurs et d’émotions que Tuerie nous a ouvert les portes de son Bleu Gospel. Rencontre.

Tuerie, on se retrouve pour la sortie de Bleu Gospel après une longue absence, comment tu te sens ?

Écoute, je me sens bien. Après la sortie de Bleu gospel c’est la première fois que je sens un tel engouement, un tel intérêt de par les médias, mes pairs ou d’un public du roi qui est un peu désarçonné, mais qui me fait confiance et qui se livre. Je reçois beaucoup de messages qui sont eux aussi poignants. Mon histoire a fait un peu écho ou a su raisonner avec l’âme de certaines personnes et je ne m’attendais pas à ça. Avec Francky et Kedyi qui m’ont aidé à réaliser le projet, je savais qu’on avait de la qualité, mais ce n’était pas sûr que les gens allaient nous comprendre. Mais ils ont bel et bien compris, et si tu veux savoir exactement comment je me sens : je me sens soulagé.

Il faut savoir que depuis que j’ai commencé les freestyles il y a à peu près deux ans maintenant, et avec Steven Norel, on a tout simplement voulu éduqué les gens d’une certaine manière à notre musique et on a voulu qu’ils gens ne s’attendent à rien. C’est pour ça qu’on a fait des trucs à chaque fois à contre-pied, on était en train d’acheter notre liberté. On voulait pas que les gens soient trop dérouter une fois qu’on propose un format plus long, il fallait montrer qu’on avait encore le côté bête et méchant, le coté introspectif, le coté chanté. On aurait dû sortir le projet il y a presque un an déjà, mais il y a eu le confinement. Si tu me suis depuis longtemps, c’est le projet qu’on attend depuis, celui où j’inverse la vapeur, un peu moins loufoque. D’habitude je mettais 80% de décalage, d’humour et 20% d’introspection, là j’ai juste inversé la vapeur.

Alors vous avez délibérément choisi de prendre deux ans pour revenir avec un projet solide, en attendant il y a eu les freestyles « Aliyah », « Adèle », « Angèle », « Jorja ». Était-ce une manière de reconstruire ton identité ?

On a choisi justement ces chanteuses-là parce que ça représentait un petit peu tous les moods que je pouvais avoir. Adèle pour le côté un petit peu triste sur les chansons, Jorja pour le côté rythmé, Angèle pour le côté décalé et loufoque et Aliyah parce que j’ai aussi cette vibe attaché à mes classiques. Si j’ai envie de faire du boom-bap ou du R’n’B old school je n’hésite pas.

Après, reconstruire mon identité, oui et non, parce que tous les projets avant c’était un petit peu fouillis. Quand tu as cette couleur un petit peu éclectique, c’est très difficile de faire comprendre aux gens que tu vas tout utiliser et que tu ne peux pas te laisser mettre en cage. Parce que ça va être plus fort que toi et j’ai envoyé un peu dans tous les sens avant. Une fois que j’ai maîtrisé mon petit kung-fu, il fallait que je dise aux gens : « C’est cool, il y a une nouvelle aventure, il y a les copains, Foufoune Palace ».

«Il y a deux trucs qui s’amènent à moi : soit je vais faire des burgers dans un fast-food, soit je deviens définitivement courageux et fort et je fais le grand saut sans rappel»

On le rappelle, ta carrière n’a pas démarré récemment. Qu’est ce qui a valu une si longue absence entre ton dernier projet Bleu Gospel et Suicide mixtape ?

Après Suicide Mixtape, j’ai arrêté pour travailler dans le social. J’ai toujours eu cette fibre d’aider son prochain, qui doit être lié à mon histoire. À ce moment-là, je me pose plein de questions : « Est-ce que c’est fait pour moi ? », « Est-ce que je préfère pas le coté de l’ombre ? ». Je ne savais plus vraiment où était ma place. En plus, quelques fois, tu vois des trucs dans cette industrie, qui est assez carnassière, qui te repousse un peu. J’ai fait du social jusqu’à ce que je comprenne qu’on aidait des jeunes, mais que le fond c’était juste de faire des statistiques pour le boug qui a envie de se présenter l’année d’après. C’est l’aspect politique qui m’a dégoûté du social. Alors je me suis dit qu’il fallait que je fasse ce que je fais de mieux : le son.

Tu parles d’ailleurs un peu de cette absence dans « Low », quand tu dis que tu avais perdu ton job et que t’as décidé de tout plaquer pour réaliser tes rêves. Peux-tu nous expliquer plus précisément ce qui t’as poussé à revenir dans la musique ?

Ce qui m’a poussé concrètement à réaliser mes rêves, c’est cette espèce de divorce un peu houleux avec mon ancien job. Je me retrouve au pied du mur, j’apprends que je vais avoir un fils, il faut vraiment faire des thunes très vite. Il y a deux trucs qui s’amènent à moi : soit je vais faire des burgers dans un fast-food, soit je deviens définitivement courageux et fort et je fais le grand saut sans rappel. Je prends le pari de faire des morceaux très forts et de faire le tour des maisons de disque, comme à l’ancienne, avec mon projet sous le coude. Mon manager m’a aidé à trouver un petit deal et c’est parti : je commence à construire mon projet. Je me suis dit : « Tu as un gosse qui arrive et si un jour il a envie de baisser les bras au niveau de son rêve, je serais qui pour lui dire de ne pas abandonner, si moi-même j’ai abandonné mon truc ? ». Tu sais, j’ai toujours été plus fort en situation d’urgence, c’est toujours dos au mur que j’arrive à me transcender.

Ton EP s’appelle Bleu Gospel, peux-tu nous expliquer le choix de ce titre ?

Ma musique a toujours été teinté de bleu, de blues, de cette petite tristesse, mais c’est juste qu’avant j’avais plus de pudeur. Mais j’ai compris que j’aidais beaucoup plus de gens en étant entier, en étant moi-même. C’est comme le social, tu as des outils à disposition, mais tu ne peux pas te donner entièrement par l’exemplarité, parce que tu dois garder une certaine distance avec les gosses, alors que là j’ai cassé un mur, il se disent que c’est possible. « Ça c’est son histoire, on ne savait pas ça avant de lui ».

«Les cainris vont te parler de marathon, moi je vais te parler de « Pole Emploi Musique»

Là ou le public considère souvent plus les artistes comme des entités en dehors du réelle, et plus du tout comme des humains lambda, tu viens rappeler qu’un rappeur reste une personne comme une autre avec des problèmes du quotidien.

Exactement, au même titre qu’on a eu de superbes exemples avec Nipsey Hussle qui est un des modèles du Foufoune Palace, ça a toujours été naturel pour nous de nous exposer. Dans Foufoune Palace, on fait la musique qu’on aime, on se livre et on n’a pas peur de le faire. On ne le fait pas tout le temps, parce que c’est difficile à faire, c’est usant : un morceau comme « Tiroir Bleu » m’a paralysé pendant une semaine. Les cainris vont te parler de marathon, moi je vais te parler de « Pole Emploi Musique », parce qu’il fallait jongler entre les aides et ce que j’aimais faire. J’aime dépeindre cette réalité, parce que c’est difficile, c’est dur. Et on ne dit pas assez au gens que c’est dur, on vend toujours du rêve ! On ne parle vraiment pas assez du cœur, de la manière dont on souffre, on n’est pas des robots, on a des parents.

Bleu Gospel, c’est un EP très personnel où tu te mets à nu. Quand on écoute ce projet, on se dit que c’est le projet de quelqu’un qui n’a plus rien à perdre et tout à gagner. Est-ce que tu penses que le terme de « projet d’une vie » pourrait lui correspondre ?

Pour l’instant, oui. Je dis bien pour l’instant, parce que jusqu’à preuve du contraire, c’est le projet qui me rend le plus service, par le coté thérapeutique et les objectifs que j’ai toujours voulu atteindre en termes d’impact. Je ne me suis jamais vu en Soprano, en faisant une musique qui touche le grand public, mais par contre j’ai toujours voulu que ma musique résonne et aide les gens à se surpasser et à relever la tête. Pour moi c’est « le projet au-dessus », « le projet déclic ». Peut-être que dans un projet, deux ou trois, on dira que Bleu Gospel était juste la fondation de son chef d’œuvre. Mais pour l’instant, c’est carrément le projet de toute une vie. Il faut savoir que c’est des choses que je voulais raconter depuis l’âge de 13 ans.

Du coup, qu’est-ce que tu attendais pour raconter ces choses ?

Tu sais, il y a un fantasme quand t’es petit et que tu penses qu’un jour tu vas faire un super album dans lequel tu vas pouvoir raconter tout ça. Et là, je n’avais plus le temps d’attendre ce super album. J’aurais encore des trucs à raconter, je me suis aussi dit qu’une fois que j’aurais raconté certaines choses, je pourrais aussi raconter l’histoire de personnes qui sont proches de moi, d’où ma facilité à passer dans le corps d’autres personnage dans ce projet.

En émane, le saisissant « Tiroir Bleu », comment on fait pour raconter l’histoire d’un père violent et alcoolique sur une prod trap ?

On arrive à parler de tout quand on a envie de guérir, quand on a vraiment envie d’apaiser son cœur. J’ai voulu que ce soit fait de cette manière-là, car je ne voulais pas que les gens me prennent en pitié. Le commentaire qui revenait souvent c’est : « Tu racontes un truc deep, je m’en veux de bouger la tête ». Je pense que c’est ce qui rend cette histoire digeste. Il ne faut pas oublier que je vole le temps des gens, les distraire, leur faire oublier leur quotidien de m*rde, le métro, boulot, dodo. Si je raconte ça normalement, comme tout le monde, je suis totalement un imposteur, il faut que ça reste du divertissement, il faut que ça reste attractif avant tout.

Je savais pas si j’allais pouvoir clipper cette histoire, heureusement que j’ai Steven Norel, il fallait avant tout que les gens aient des images plein la tête. Les changements de rythmes s’y prêtent, c’est Ryan Koffi qui m’envoie des prods après avoir écouté un freestyle au Planète Rap de Dinos. Et moi, dans ma mentalité revancharde, je lui prends trois prods pour faire un seul morceau. J’ai imbriqué les trois prods et ça a matché avec mon envie première, qui est d’avoir des changements d’ambiance et qu’on ait l’impression de passer d’une pièce à une autre. Tu sais, je reste quand même un artiste boulognais, et c’est la capitale de la métagore. Quand tu vois les anciennes légendes d’ici, ça a toujours été hardcore.

C’est une histoire en trois parties, on pourrait croire que tu parles de trois types de peur, la peur quotidienne de ton père, celle entraînée par la survie et celle de la solitude sans ta mère.

Sur tout le projet il y a plusieurs teintes de peur et de bleu. Le mot bleu n’est pas anodin, il y a vraiment énormément de teintes de cette couleur, et pour moi il y a une palette bleue dans tout ce projet. « Tiroir Bleu » est déjà un petit bouquet de peur.

«Dès que l’ingé a mis play, ça a changé le mood, je pense que tout le monde a désaoulé d’un coup, il y a des filles qui était en larme et mes potes étaient pâles»

Peux-tu nous expliquer le processus créatif de ce son, après avoir reçu le pack de Ryan Koffi.

Quand je vais au studio je préviens mes potes, je leur dis que ça ne va pas être la fête : « Ramenez pas de meuf pendant la session ». Je voulais faire un morceau dur à poser. Quand j’arrive au studio il y a des meufs, mes gars parlent super fort. J’essaie de poser le premier couplet et à chaque fois que j’ai le retour cabine avec l’ingé, je les entends tous autour. Alors, je décide de mettre tout le monde dehors. Je recommence à poser le son, mais directement avec l’imitation dans le premier couplet. Je l’écris très rapidement, parce que c’est quelque chose auquel je pensais depuis longtemps, les idées étaient claires. Pour la deuxième partie je décide de mettre une autre prod et l’ingé pète un plomb ! J’avais déjà cette partie écrite sans prod, donc je pose direct et pour la troisième partie je lui dis de rouvrir un nouveau projet.

Je voulais que les gens sentent le coté spontané, alors elle a été faite en impro, l’ingé mettait juste des boucles et j’enchaînais les mélodies, le chant et mon récit. Je connais ma vie par cœur, c’est ce qui a rendu le truc facile, il fallait que ça reste spontané, instinctif, il fallait que les gens comprennent l’urgence par ma spontanéité. Ma manière de construire est totalement désarticulée : je n’ai pas de processus créatif fixe et ce morceau en est la preuve. Une fois que j’ai fini le morceau, j’ai rappelé mes gars et les meufs qui avaient un peu fait la fête et je leur ai fait écouter « Tiroir bleu ». Dès que l’ingé a mis play, ça a changé le mood, je pense que tout le monde a désaoulé d’un coup, il y a des filles qui était en larme et mes potes étaient pâles.

Est-ce que tu pourrais nous expliquer la signification de la pochette de Bleu Gospel ?

J’aime offrir plusieurs leviers de lecture. Si tu regardes mes clips, « Low » ou « Tiroir bleu », ce n’est pas un copier/coller de ce que je raconte. J’aime toujours laisser aux gens le choix, j’ai eu de la chance d’emprunter le bon chemin. En général, les protagonistes de mes clips ont eu les mêmes choix que moi, mais choisissent le mauvais chemin. À chaque fois qu’ils choisissent le mauvais chemin ou qu’ils entrent dans l’engrenage apparaît une espèce de peinture bleue sur eux. Sur ma pochette, tu vois partiellement la peinture bleue, parce qu’ils sont à mon contact et c’est un petit peu un clin d’œil au fait que j’ai beaucoup de petits frères. Quand ils ont été à mon contact, ça les a empêché de passer du mauvais côté.

D’ailleurs, avec l’utilisation du terme « engrenage », je ne peux pas m’empêcher de te rapprocher du rappeur Ol Kainry, qui lui aussi avec la même autodérision et introspection.

L’un des premiers morceaux qui m’introduit au rap français c’est « Frédéric », c’est vraiment le truc qui fait que mon oreille commence à s’éduquer. Surtout qu’il racontait des choses. Ol Kainry c’est vraiment l’un des rappeurs qui me donnent réellement l’envie de raconter ma vie. Il y a lui, mais pendant la période dont je parle dans « Tiroir Bleu », il y a aussi du Sniper avec « Sans repère » qui m’accompagne quand je vais au bahut, alors que j’ai le seum.

Tout au long du projet on suit ton histoire de ton enfance jusqu’à aujourd’hui, est ce que le choix de l’introspection était prémédité ou il s’est imposé naturellement en studio ?

Ça s’est presque imposé naturellement. Une fois que je pose « Tiroir Bleu », je me dis qu’on devrait coudre autour de ce morceau et qu’on devrait raconter mon histoire. Ça a été un des morceaux déclic, après ça tout a été plus facile, je savais ce que j’avais envie de faire.

Bien que tu abordes une histoire qui est généralement triste, avec ton père alcoolique, la clandestinité, la vie de rue, la solitude et tes différentes remises en question, tu ne te morfonds pas, on peut même trouver de l’autodérision dans « Le givre et le vent » et « Puff ». Comment as-tu réussi à prendre du recul sur ton passé sans être trop sombre ?

Dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un de solaire, de souriant, j’ai été éduqué par une battante qui m’a toujours fait comprendre que c’est pas parce qu’on vivait des trucs difficiles qu’on devait faire des conneries ou faire vivre nos mauvaises humeurs aux gens. C’est peut-être aussi grâce à certains modèles que j’ai eus. Par exemple l’histoire de Eminem m’a bouleversée, parce que je me sentais proche de sa situation d’urgence, et de son autodérision. Son histoire était tellement triste, mais il a quand même eu ce décalage, cette manière de rentrer dans les personnages, de faire sourire les gens sur des sujets graves. Et je suis pas le seul à être touché de cette manière, j’entends beaucoup d’Eminem dans Kendrick. On dit souvent que tout passe mieux avec un sourire.

«J’ai toujours voulu donner de la force aux gens, à l’image d’un clown triste j’ai toujours porté mon masque»

Cet œil à la limite du naturalisme, quand il s’agit de retranscrire des sentiments et une réalité de manière cru, en apportant une touche d’originalité on la retrouve beaucoup chez Childish Gambino et Kendrick Lamar.

Ce sont des gens qui dépeignent une réalité grave avec un certains décalage. Dans ma musique, je transpire mes influences et je ne m’en suis jamais caché. Mes différentes teintes sont aussi liées à la musique alternative, je suis un très grand fan de James Blake, de Kendrick, de Drake, je suis un fan de bonne musique. J’étudie un petit peu les techniques avec ma voix qui a toute la singularité du monde, j’ai pas de mal à m’accaparer certaines techniques.

D’ailleurs, la couleur générale du projet m’a fait penser à Picasso dans ses périodes « Bleu Rose », mais plus particulièrement sur la période « Bleu » qui entremêlait mélancolie, contemplation de l’existence humaine et description de la réalité des milieux populaires, tout ça sous les couleurs hivernales. En pensant à ça je me suis demandé ce qui t’inspirait de manière générale et quelle identité tu souhaitais donner à ta musique ?

Je pense que je suis un grand curieux, j’aime apprendre à travers l’histoire des gens, j’aime le cinéma des années 90, c’est d’ailleurs un truc que je partage avec mon réalisateur Steven Norel. On glisse souvent des références de films qui nous ont bousillé quand on était gosse, par exemple dans le clip de « Silence », notre figurante, Manon, on l’a choisi parce qu’elle ressemble un peu à Edward Furlong qui jouait le rôle de John Connor dans « Terminator », c’est pour ça qu’elle est un peu coiffée comme lui dans le clip et qu’elle a un t-shirt Terminator 2.

Dans « Low », t’as un petit peu ce truc Menace II Society et un truc très froid qu’on peut retrouver chez des britanniques, comme dans Top Boy, mais c’est mélangé à du Tim Burton. Toutes les références qu’on a de la pop-culture des années 90 on aime bien les mettre visuellement. Au niveau du son, j’aime beaucoup la mélancolie, j’aime les artistes un peu fous, incompris, névrosés. J’aime les artistes tristes.

picasso bleu et rose

« Bleu et rose » de Picasso

Il y a d’ailleurs une notion assez vulgarisée qui pourrait se prêter à ton projet, c’est celle du clown triste.

C’est totalement vrai. Quand tu enlèves la peinture d’un clown, ce sont des gens très marqués, ils fonctionnent avec des masques et j’ai aussi toujours fonctionné avec des masques quand ça n’allait pas. Quand ça va ou quand ça ne va pas, j’ai toujours voulu sourire, je n’ai jamais voulu que les gens me prennent en pitié, j’ai toujours voulu donner de la force aux gens, à l’image d’un clown triste j’ai toujours porté mon masque. Maintenant que je retire mon masque, j’ai des amis d’enfance qui me disent : « Je ne te connaissais pas aussi bien que ça ». À part mes meilleurs potes, il n’y avait personne qui était au courant de tout ce que je dis sur l’EP.

La thématique globale du projet est d’ailleurs le gospel, qu’est ce qui t’inspire dans ce style ?

On a utilisé le mot « gospel », parce que c’est une musique qui est lumineuse et dans laquelle on ne peut pas mentir. Je savais que j’allais vraiment me livrer et que j’allais devoir être très sincère avec les gens. La touche gospel c’est ce piano que tu retrouves tout au long du projet, mais ce qui est paradoxal, c’est qu’on retrouve le même piano à l’intro et dans « Le givre et le vent » où la thématique est hyper sombre.

«Quelques fois, tu t’entêtes à vouloir recoller les morceaux d’une amitié consommée»

Bien que dans « Le givre et le vent » tu dises que tu t’éloignes de la foi, ton EP très aérien évoque quand même implicitement la spiritualité, qui est le thème majeur du gospel. Au début de ce son on t’entend d’ailleurs parler avec ta conscience.

Dans ma musique, il y a toujours cette espèce de duel manichéen entre le bien et le mal. C’est un combat qu’on a tous en nous, on n’est jamais tout blanc ou tout noir. Je reste entier, on ne le dit presque jamais mais il y a des moments où t’as tellement la poisse, où il y a tellement de galères que tu ne peux pas t’empêcher de douter. « Le givre et le vent », ça parle de ces périodes de doutes et, en réalité, ça parle aussi d’amitié. Quelques fois tu t’entêtes à vouloir recoller les morceaux d’une amitié consommée. Les gens me disent souvent que j’ai le syndrome de l’imposteur : « Tu veux jamais dire que t’es doué » ou « Tu pourrais kicker tout le temps tu pourrais montrer que tu peux être écrasant ». « Le givre et le vent », c’est un condensé de toute cette histoire-là.

Sur la première partie, on retrouve un côté bête et méchant, kickeur ; et la deuxième partie vient contrebalancer la première. J’aime beaucoup de choses, la variété française, Nougaro, Brel, Gainsbourg. Après plusieurs lectures, tu te rends compte que je raconte exactement la même chose dans la deuxième partie variété que dans la première partie. C’est un peu un turn-over dans le projet, parce que c’est la partie la plus sombre, mais c’est avant d’entrer dans la partie où on respire, la partie un peu plus éclairée avec « Puff » ou « Bouquet de peur ».

Tu as collaboré avec Greg’Z un artiste RnB/Soul sur « Bouquet de peur », ce qui prouve que tu es susceptible d’inviter tout type d’artiste sur tes projets. Avec qui tu aimerais créer à l’avenir ?

Je me voyais collaborer avec personne sur ce projet, parce que c’était trop personnel, mais j’ai fait une exception, je me suis fait un kiff, j’ai appelé un héros de mon enfance. Greg’Z, je l’écoutais quand j’étais plus jeune et il fait partie du groupe Trait d’union, il a fait le refrain de « Au bout de mes rêves » avec Booba. Un soir, alors qu’on bosse sur ce son, je dis à Kedyi, qui m’a aidé à réaliser ce projet, que ce serait cool d’avoir Greg’Z, parce qu’il a fait des refrains légendaires. Donc, je l’ai appelé sur Insta, il m’a répondu et il est venu trente minutes après mon appel.

On lui a dit ce qu’on voulait et il a commencé à coudre, il nous a fait beaucoup de propositions, ça a été difficile de choisir entre toutes les voix qu’il proposait. À l’avenir, je me vois collaborer avec les mecs de mon équipe, parce qu’on ne feat pas souvent avec eux. J’aimerais bien Luidji et Pee Magnum, son projet et le miens se sont construits au même moment, on a écouté nos projets respectifs au stade embryonnaire. J’aime bien les combinaisons un peu folles, après Luidji et Pee j’aime bien les artistes qui exposent leurs flancs comme moi, comme Disiz.

«Il y a un milliard d’histoires à raconter»

Le succès de Luidji est sûrement ce qui a révélé votre label au grand public, est-ce que ça t’a mis une nouvelle pression à toi et aux autres membres de l’équipe, peut-être celle de saisir et de concrétiser cette nouvelle chance d’être sur le devant de la scène ?

On avait conscience qu’après Tristesse Business, on avait un sigle appellation contrôlée « Foufoune Palace », que les gens nous voyaient comme un label qui sort de la musique qualitative. Donc on était juste très contents et flattés que les gens commencent à nous voir comme ça. Ce n’était pas plus simple de passer après Luidji, mais au moins les gens étaient préparés.

Comme on l’a dit toute à l’heure, ton projet est extrêmement introspectif, il nous révèle une grande partie de ton parcours de vie, n’as-tu pas peur d’en avoir trop dit, au point de ne pas avoir laissé assez pour la suite ?

En réalité, j’ai toujours été entier et j’ai toujours fait comprendre par ma musique : « Ne vous attendez à rien ». Si j’ai envie de faire des trucs beaucoup plus détachés de mon histoire, je le ferais sans hésitation et sans avoir peur de l’avis des gens. Le plus important, c’est de faire de la musique qualitative qui va résonner chez les gens, que ce soit de la musique club ou de la variété, je ne suis veux rien m’interdire. Je refuse de me mettre la pression alors que je viens de sortir un premier EP, même s’il y a des gens qui l’appellent sans mon autorisation un album. Mais je les comprends, c’est là ou l’appellation de « projet d’une vie » est à double tranchant, les gens peuvent penser que j’ai tout raconter. Mais je pense que j’ai d’autres choses à raconter, il y a un milliard d’histoires à raconter. Je suis un grand curieux et j’aime échanger avec les gens, j’aime me dire qu’il y a des choses qui méritent d’être au-devant de la scène, il y a des sujets qui devraient être mis sur la table.

Découvrez Bleu Gospel de Tuerie. 

Commentaires

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *