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William contre Damso, le combat des âmes tourmentées du « Lithopédion »
Après avoir cherché à atteindre son Ipséité, Damso s’est heurté aux douloureuses conséquences de la notoriété. Dévoré par sa souffrance et ses vices, il s’écroule, seul, au bon milieu d’une sombre rue de Bruxelles.
« Reposez-vous et à toute à l’heure ».
Sur ces derniers mots, le médecin, inquiet, laisse son patient se reposer dans sa chambre. Il dépose son stéthoscope, enlève sa blouse et s’installe devant son bureau en relisant ses analyses. « L’expérience de walk-in est un transfert d’âmes, a-t-il noté. C’est en quelque sorte une entente entre deux âmes. L’âme qui est dans le corps décide qu’elle ne veut plus continuer de vivre et au lieu de faire mourir son corps, une autre âme va continuer de vivre sa vie à sa place ».
Il pose sa feuille, prend sa tête entre ses mains, se rendant compte qu’il est confronté à la plus incroyable thérapie de sa modeste carrière. Lui, verrouillé du matin au soir dans un petit cabinet d’une vingtaine de mètres carrés, perdu dans les rues de Bruxelles, se retrouve à devoir théoriser un complexe changement d’âmes. Soupirant, il se retourne vers son patient, avachi sur une table d’opération, masque d’oxygène sur le visage. Il dort depuis de longues heures.
Soudainement, il s’agite brusquement. Le médecin se précipite vers lui, son pouls s’emballe, il s’inquiète : « Monsieur Dems, vous m’entendez ? ». Ses deux yeux s’ouvrent, sa main s’agrippe fermement au bras du docteur, son masque s’arrache dans la panique. Au milieu de l’obscurité, son regard brutal, ses sourcils froncés et sa pupille d’un blanc profond embrasent la pièce. « Y’a rien de bien méchant » s’écrit-il. Sa voix est rauque, ferme, inhabituelle. Le médecin tente de récupérer son bras, il a peur : en face de lui, son patient semble différent, brusque, abrupt. Celui-ci, se présentant comme un certain William, inonde le cabinet de paroles lourdes et incisives. Sa petite crise ne dure que deux minutes, avant qu’il ne referme ses yeux, s’envolant dans un « Festival de rêves », profond et sincère. Les premières minutes sont chargées d’émotion, effrénées.
Le médecin reste figé, débout, son coeur battant à mille à l’heure. Tourmenté, il en est désormais persuadé : celui qui dort en face de lui abrite bien deux âmes, deux entités qui s’entrechoquent. Le Walk-In a fonctionné.
De rêves et de tortures
« La vie qu’t’as choisie n’est p’t-être pas la bonne » semble murmurer le patient dans le silence assourdissant du cabinet. S’il parle à la seconde personne du singulier, il semble s’adresser à lui-même. Mi-conscient, mi-endolori, William balbutie dans son sommeil. Pour mieux comprendre les troubles de son patient, le médecin se saisit de son calepin, son stylo, et s’installe à côté de lui, décryptant ses pensées. Il semble parler de quelqu’un, d’un profiteur, qui souhaiterait lui causer du tort. « Baltringue, baltringue » répète-t-il avec entêtement, dans une douceur presque déconcertante. Impossible de savoir de qui il parle, mais ses propos semblent sincères, presque haineux lorsqu’on les analyse avec intention.
Puis dans une alchimie suave et rythmée, il en vient à parler de pédophilie. Le médecin relève la tête, comme s’il ne comprenait pas. Tout au long de son étrange monologue, il évoque un certain « Julien ». Ce « Julien » est fictif, il n’existe pas, mais prend les traits d’un Monsieur/Madame Tout-le-monde impossible à discerner. Parler de la pédophilie est quelque chose de sensible, délicat, mais la finesse des propos qu’il emploie adoucie le fond du message. Cherchant dans la noirceur la plus profonde de l’humanité, William chantonne le prénom de celui que tout le monde déteste. Car oui, cette fois-ci, c’est William qui parle, et non pas son alter-égo tantôt brutal, tantôt déconcertant. Suit cette tirade aussi brillante que gênante, un long « Silence ».
Coincé entre ce « Silence » et ses précédentes « Baltringue », les mots de « Julien » résonnent avec une rare consonance subliminale. Il entreprend une construction très rationnelle dans ses pensées, et le médecin s’en étonne. Après ce « Silence » de deux petites minutes où l’écho de la douce voix d’une femme semble envahir la pièce, William parle de ce qu’il sait faire de mieux : la désillusion amoureuse. Avec une technique soudaine et un schéma de rimes rares, il évoque un certain « Feu de bois », faisant référence à son ex, à son coeur brisé. Le médecin comprend mieux pourquoi il est là, pourquoi cette tentative de Walk-In, pourquoi cette tristesse aussi prononcée. Quand il parle ensuite de son destin et du destin des siens, en marmonnant des mots dans sa langue natale – Yahwé Yahwé sanjolama – il semble se confier par l’intermédiaire de son esprit. « C’est la même issue » fredonne-t-il avec une voix enrouée dans sa même tristesse et noirceur.
William parle comme s’il était mort, et que son corps n’était qu’une enveloppe. Comme s’il était détruit, dans la chaire de quelqu’un d’autre. Comme s’il était, un Lithopédion.
De la glace dans les veines
L’oscillogramme accélère de nouveau. Les yeux fermés, William secoue sa tête, comme s’il luttait contre son entité adverse, cherchant à prendre le contrôle sur lui. Il est nerveux. Le médecin pose délicatement sa main sur la peau de son patient, se rendant compte de l’incroyable chaleur qui se dégage de son corps. Il s’inquiète. « Ah ouais, ouais, ouais » lance William, les paupières à peine ouvertes. « Pas de direction je ne connais que la flèche de mon oinj’ » lâche-t-il. L’ambiance de la pièce devient pesante, brumeuse. L’alter-ego reprend peu à peu le contrôle pendant trois minutes. Ses punchlines sont puissantes, le débit de ses lignes martèlent les murs de la pièce dans un fracas assourdissant. William tente de se sauver du lit auquel il est attaché. Le médecin, apeuré, prend des notes au coin de la pièce, ne constatant que la puissante déferlante qui inonde son cabinet. « C’est toujours Dems ». Le calme revient.
Le temps que William parle de la mort et de ses péripéties, qu’il envisage un voyage « Aux paradis » et qu’il évoque son expérience de « Dix leurres », le docteur se convainc qu’il va devoir agir. Dans ses paroles introspectifs saupoudrées de trois univers complètement différents, le patient se confiait, sur lui, sur sa vie, sur la Vie. Mais tous les chemins mènent à sa douleur. Et alors que sa tension se cristallise à nouveau lorsqu’il parle de ses « NMI », le médecin tente de résoudre une impossible équation, une craie blanche dans la main, un tableau noirci au chevet de William.
Après la rivalité et ses revers, il en revient à la déchéance amoureuse, expliquant qu’une femme l’a rendu « Perplexe ». Ses cinq derniers thèmes sont fascinants et dessinent avec une précision chirurgicale à quel point l’âme de William combat contre toutes les forces fictives qui secouent la vie d’un humain. Les femmes, la trahison, la conquête sociale. La musicalité de ses mots ne résonnent jamais de la même manière, se chevauchent thématique après thématique. Parfois offrent même une ambiance ironiquement paradoxale où là drogue, chantée et fredonnée, devient un sujet dansant.
Le médecin s’active sous les puissantes rimes de son patient. Et après une dernière phase étouffante, il écrase la craie sur le tableau, la brisant en mille petits morceaux. Un sourire se dessine sur ses lèvres, ses poings se resserrent fermement. Il a la solution, il en est persuadé.
Dans la peau d’un mort
Il se précipite dans pièce adjacente et bidouille ses fioles et ses tubes à essai. Comme Nostradamus tentant de prédire la fin du monde, il enchaîne les recettes jusqu’à trouver précisément la bonne. Il est tard, la nuit noire plonge Bruxelles dans un profond sommeil. Mais l’aube est proche et le médecin est conscient que les Walk-In, aussi soudain qu’il soit, doivent se heurter à une solution quasi immédiate. Le docteur est persuadé d’avoir le bon dosage. Avant d’insérer son étrange mixture dans une seringue, il s’empare d’un produit et en rajoute abondamment. Sur la petite fiole est inscrit « Lior*« . C’est un condensé d’amour. Le vrai amour, la passion la plus puissante qui puisse exister. L’élément secret capable de donner de la valeur à l’existence de qui que ce soit. Il mélange le tout, l’intégre à sa seringue. Il court vers son patient et lui plonge son sédatif dans la peau.
Un profond silence parcourt immédiatement la pièce. William est immobile, les deux yeux fermés. Le médecin s’inquiète tandis que la pulsation de son patient descend. Elle descend. Elle descend encore. Puis l’oscillogramme ne détecte plus le moindre pouls. Une ligne droite et étouffante traverse l’écran de contrôle à droite du patient. Le médecin ne la quitte pas des yeux, les sourcils froncés, attendant patiemment un signe de vie. Dans sa tête se bousculent de nombreuses questions : et si ses dosages n’étaient pas les bons ? Et s’il s’était précipité ? Et si l’équation était en fait impossible à résoudre ? Les minutes défilent et la ligne vert fluo de l’écran ne bouge pas. William est mort.
Brusquement, le patient se redresse et hurle un énorme crie de douleur. Le docteur recule de plusieurs mètres et s’adosse contre le mur, au sol. Dans son cri, William expulse une entité fantomatique de lui-même. C’est lui, son buste tel un spectre sombre recouvert d’une immense fumée noire.
La pièce est envahie de cette épaisse brume tandis que l’esprit surnaturelle fixe William d’un regard profond. Il se présente comme étant un certain Damso, ayant pris le contrôle d’un homme mort une sombre nuit d’hiver. William ne prononce pas le moindre mot, se contentant de se plonger dans les deux yeux de son alter-égo. C’était son âme, désormais répulsée, il le sait. Essoufflé, le corps meurtri, il puise au fond de lui la force de faire un ultime point sur sa vie, sur les raisons de cette étrange expérience. Sur sa mort. Sa tirade ne dure qu’une petite minute, avant de conclure sobrement : « J’crois qu’c’est à cause de tout ça que je dis tout ça ». Baissant la tête, savourant la victoire d’avoir réussi à prendre le dessus sur une entité dangereuse et coupable, il s’allonge et s’endort profondément.
La brume s’évapore, l’âme tout juste expulsée se fond dans la nuit. Le médecin retrouve ses esprits et se redresse à nouveau. Il vérifie une dernière fois le pouls de son patient, conscient qu’il vient de réussir l’une des plus formidables opération de sa vie. Recouvrant d’un plaid poussiéreux et blanchâtre William, il lui demande de se reposer. Il se dirige vers la sortie, agitant les bras dans l’obscurité pour écarter les derniers faisceaux de fumées. C’est terminé, il a réussi. Fixant l’homme qu’il venait de sauver, il dépose une petite carte sur le buste de son patient endormi. Il le détache du lit pour que, une fois réveillé, il puisse se libérer. Le médecin passe sa main sur le visage de William une dernière fois puis quitte la pièce.
William sommeille désormais seul au milieu d’un obscur petit cabinet. Seule la blancheur de la carte laissée par le médecin semble illuminer la pièce. Sur celle-ci est inscrit :
« Dernière thérapie ou peut-être pas, l’avenir nous le dira »
Signé : le Rap
*Lior est le fils de Damso.
Illustrations : Joker745 (sa boutique à retrouver ici-même)
Écrit par : Justin Noto