Culture
Comment S.pri Noir est devenu une icône mode
En modèle photo, en égérie de marque, en créateur, ou en observateur en passe de devenir « expert », S.pri Noir est respecté dans le milieu très fermé de la mode. Très vite, le rappeur a imposé sa définition du luxe : il ne s’agit pas d’argent, mais d’allure.
Il porte Gucci en bandoulière, Givenchy en trois pièces ou Off-White en bomber. Le rappeur du XX e arrondissement parisien s’interesse aussi aux nouvelles marques haut de gamme, des jeunes créateurs de sa ville, comme North Hill Paris ou Icosae qu’il revêt en fin connaisseur. Pas de « chemise ouverte, chaîne en or qui brille » pour S.pri Noir, mais des vestes en jean vertes ou brodées de fleurs, des manteaux en peau retournée, en plastique néon ou en cuir argenté, des ensembles à pois, total look bleu jean ou à carreaux écossais…
« S.pri Noir maîtrise l’audace. »
Un temps, un styliste s’occupait de son look. Ce n’est plus d’actualité. Pas besoin de styliste attitré quand on est soi même « expert en sapologie » (Skywalker) et qu’on sait faire mixer et matcher les imprimés et les tissus. Il rappe sur fond d’égotrip son excellent goût vestimentaire… et Stromae confirme. Lorsque Konbini lui demande quel est le « rappeur le mieux sapé ? », le chanteur et créateur de la marque de vêtements Mosaert répond sans trop réfléchir « S.pri Noir », sous le regard approbateur de sa femme styliste.
Cover boy
S.pri Noir n’est peut être pas le plus connu des rappeurs mais il est celui qu’on veut en Une. La presse papier indépendante mode et lifestyle, la presse « bel objet » qui était sublimée sous-verre comme des fashion-bibles sacrées au temps de Colette a fait de lui un « cover boy ».
« S.pri Noir maîtrise l’audace » titrait cet été le magazine Shoes Up qui l’affichait en couverture. Dans une longue interview, le rappeur est interrogé sur sa définition du style, sur les collaborations entre deux griffes qui l’ont marqué, il est invité à comparer les codes vestimentaires du rap français à ceux du rap US, à commenter la citation d’Oxmo Puccino : « On ne porte pas des vêtements, on porte un état d’esprit« … tel un véritable spécialiste de la sociologie et de l’histoire du textile. L’entretien nous apprend que le prince du son et de la sape pense à fonder sa marque, qu’il se forme actuellement au travail des matières et apprend le temps nécessaire à la création. Il a d’ailleurs créé lui même le manteau qu’il porte dans le clip de Skywalker.
En mars dernier, le bimestriel « 50% mode 50% musique » Modzik a shooté le rappeur pour la couverture et plusieurs pages de leur numéro. La série de photographies mode disait une seule chose : il faut beaucoup d’allure pour être aussi crédible en doudoune blanche qu’en long manteau de fourrure, et S.pri Noir en a.
« Il savait ce qu’il faisait. Il avait besoin de zéro conseil pour trouver les bonnes poses. Je ne dirais pas qu’il posait comme un mannequin, mais véritablement comme une icône en devenir. Ce qu’il est aujourd’hui. »
S.pri Noir a également été choisi pour incarner la série mode du magazine Trends réalisée par le photographe parisien Kopeto il y a presque un an. Contacté pour ce portrait, le photographe raconte les coulisses du shooting : « Il savait ce qu’il faisait. Il avait besoin de zéro conseil pour trouver les bonnes poses. Je ne dirais pas qu’il posait comme un mannequin, mais véritablement comme une « icône en devenir ». Ce qu’il est aujourd’hui. » Pendant la séance, Kopeto a aussi remarqué qu’S.pri Noir a fait « très attention à ce que le vêtement soit mis en valeur« .
« S.pri Noir est une personne très cool. Il est ce genre de personnage public qui te fait oublier qu’il en est un » ajoute le photographe. La simplicité de l’homme, remarquée par Kopeto, n’est pas antinomique avec l’amour du luxe du trend-setter. Au contraire, S.pri Noir peut se vanter d’être une des rares personnalités « terre-à-terre » du milieu de la mode. Quand il rentre dans une boutique de luxe, il se souvient qu’ « à la rentrée [sa] maman, ne lui a pas pris [sa] paire » (« Juste pour voir ») et refuse alors de « claquer 1500 euros dans une pièce » (comme il l’assurait dans une interview filmée d’OKLM). Il aime se rendre dans les boutiques de grandes marques de luxe, non pas pour dépenser, mais pour s’ « inspirer, voir les matières des textiles, les couleurs, la façon dont les pièces sont assemblées« .
Égérie adidas
S.pri Noir a multiplié les featurings avec ses amis rappeurs. Il aime collaborer. Son partenariat avec adidas est-il le plus gros feat de sa carrière ? Il est en tout cas le plus inattendu, même pour l’intéressé, qui a reçu un jour un appel de la marque aux trois bandes lui demandant s’il accepterait de représenter un nouveau modèle de sneakers.
S.pri Noir devient l’ambassadeur de la EQT en 2017, soit, le premier rappeur français à collaborer avec adidas, plus d’un an avant Fianso, qui a annoncé le 24 août dernier une collaboration imminente entre son label Affranchis et la marque mythique.
En même temps que la sortie du premier clip de l’album (celui du titre Middle Finger, en mars 2018), la marque a révélé une adidas I-5923, une paire en nylon bleu qui rappelle l’univers rétro futuriste du clip. La chaussure a spécialement été imaginée pour l’événement. Quand S.pri Noir présente fièrement sa basket, il la compare à ses chaussons. Pas question pour lui de sacrifier le confort sur l’autel du style et de proposer un produit importable plus de trois minutes. Là encore, S.pri Noir tient à rester terre-à-terre, souhaite respecter le client, et refuse de s’élever au dessus de la réalité d’une classe sociale dont il est issu.
Dopé à la culture américaine
Avant d’être « influenceur mode », avant même d’être rappeur, S.pri Noir a été footballeur américain. Et voilà que l’ancien joueur professionnel représente aujourd’hui adidas dans une campagne Courir en binôme avec Benjamin Mendy, champion du monde. « Un rêve de gosse concrétisé » selon ses mots.
L’Amérique « chill » dans laquelle il se ballade aux côtés de Nekfeu dans leur clip coloré, c’est exactement ça, « sa dope ». S.pri Noir est un fou de culture américaine : du football américain au hip-hop. Et c’est justement parce qu’il a été bercé par cette Amérique où les adeptes du hip-hop ont aussi leur code et leur culture mode qu’il a pensé, avant même de se lancer dans la musique : « Je ne peux pas arriver dans le rap avec des vêtements dépareillés. »
« Je ne peux pas arriver dans le rap avec des vêtements dépareillés. »
L’interprète de Fusée Ariane a souvent dit être inspiré par des Travis Scott (son featuring rêvé) et des Kanye West, deux rappeurs à la pointe des tendances. Et souvent même, lanceurs de tendances. Sans doute que Kanye et sa révolution Yeezy l’ont inspiré pour ses collaborations françaises avec la même marque.
Une identité visuelle, des clips aux vêtements
L’esthétisme de son univers musical – les clips, les pochettes, les décors et lumières sur scène – va de pair avec ses choix vestimentaires. S.pri Noir apporte à chaque élément le même soin pour créer un seul et même univers, une seule image, qu’il souhaite unique et identifiable pour le public. « Quand la personne assise à côté de toi est habillée pareil que toi, c’est que tu as raté un truc » résume-t-il dans une interview accordée à OKLM.
Dans ses clips, le rappeur joue de l’obscurité et de la lumière. Dans son style, même jeu de contraste : parfois en costume noir mais les cheveux blancs, d’autre fois en costume blanc mais sur les cheveux, un fouloir noir. S.pri Noir porte aussi un bomber damier Off white ou des ensembles adidas noir aux trois bandes légendaires blanches. Qu’importe la marque, le noir d’Spri NOIR et le blanc de « Masque BLANC » se répondent toujours. Ce choix de couleurs opposées qui représentent désormais son univers et sa dualité est inspiré -là encore- de ses influences américaines, de Skywalker et de James Bond, « des personnages à la fois très noirs mais aussi archi blancs dans leurs actions. James Bond possède le permis de tuer. Son métier, c’est éliminer des gens en masse mais en même temps, il œuvre pour le bien. Pareil pour Anakin, il passe du clair à l’obscur puis il revient à la clarté. Pour moi, c’est la même chose. Il y a des trucs que j’ai faits dans ma vie et que je regrette aujourd’hui. »
Quand S.pri Noir choisit de porter un vêtement, c’est comme s’il choisissait ses mots. Il raconte, autant que dans ses textes, un bout de son histoire.