Suivez-nous
Alltta : "il y a une véritable alchimie entre nous, sinon ça ne fonctionnerait pas" Alltta : "il y a une véritable alchimie entre nous, sinon ça ne fonctionnerait pas"

Interviews

AllttA : « Il y a une véritable alchimie entre nous, sinon ça ne fonctionnerait pas »

Publié

le

Juste avant leur performance au festival Marsatac le 23 juin dernier, nous avons rencontré AllttA, le duo électrique composé du nantais 20 Syl et du californien Mr. J. Medeiros.

D’un côté, le Nantais 20syl, DJ bien connu du collectif C2C, mais aussi MC et compositeur du groupe Hocus Pocus. De l’autre le Californien membre-fondateur du groupe The Procussions, Mr. J. Meideros. Productions Future Beat de 20syl d’une part, et rimes affûtées de Jay d’autre part, les deux hommes forment ensemble le duo AllttA. Proches collaborateurs depuis plus de quinze ans, et après plusieurs apparitions sur leurs projets respectifs, le duo franchit enfin le cap du projet commun. Après un premier EP de présentation, c’est le 17 février dernier que sort leur album éponyme. Un projet qu’ils défendent actuellement en live partout en France.

Dans ce cadre, AllttA était de passage à Marseille le 23 juin dernier, sur la scène du Festival Marsatac. C’est tout juste quelques heures avant le début de leur show, que nous les avons rencontré. L’occasion pour nous d’ouvrir une riche, mais courte conversation pour en savoir plus sur leur projet, leur manière de travailler ensemble à distance, mais aussi et entre autre, leur paternité nouvelle.

2HIF : Bonjour les gars ! Depuis la sortie de votre album, on connaît désormais le sens d’AllttA, « A Little Lower Than The Angels » un peu plus bas que les anges”, ça vient des Hébreux 2:7. Outre le sens esthétique et graphique de ce nom, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur son sens spirituel ?

Mr. J. Meideros : Bien sûr, j’envisage ce disque est comme un compte-rendu de la lutte contre ma dualité et celle que partagent beaucoup de personnes. Plus particulièrement aux Etats-Unis, il y a une nature qui se développe de cette dualité entre ce qu’est la science, le spirituel, le religieux… Ou est-ce que cela se situe? La logique, la raison, la psychologie, la philosophie ? J’ai été très religieux pendant une période de ma vie, c’est pourquoi j’ai toujours été inspiré par les textes Hébreux, Grecs, l’Ancien er le Nouveau Testament. Je voulais être honnête avec moi-même. C’est personnel, je voulais partir de ce point et m’ouvrir sur l’extérieur. Donc je pense que de choisir ce nom donne bien le ton pour les textes.

En cela, qui seraient vos anges à vous? Pas ceux qui sont évidents, mais comme il y a toujours des doubles ou triples sens…

Mr. J. Medeiros : Ouais… Je pense que Michael [Jackson] serait pas trop mal ! Mais si on parle d’anges Hip-Hop je mettrai Black Thought sur une épaule.

Ça serait qui, le diabolique ou le sympa?

Eminem à gauche et Black Thought à droite, voilà mes anges !

Et Michael Jackson qui se taperait des Moonwalks d’une épaule à l’autre !

Ouais, j’aime l’idée, ça serait sympa.

Tu peux répondre aussi, est-ce que tu as des anges ? Est-ce que t’es dans cette mouvance spirituelle aussi ?

20syl : Non pas vraiment. C’est vrai que moi, je n’ai pas ce même truc de foi et de religiosité. Pour moi, AllttA, c’était vraiment un marqueur visuel, un signe un point de départ. C’est même cool qu’on ait pu chacun à notre façon et dans notre domaine respectif, trouver une inspiration dans ce nom. La signification spirituelle, c’est plus son truc à lui.

Pour enchaîner avec ça, Jay, dans le titre « Kinsmen », tu te considères comme un Alternative Christian.

Mr. J. Medeiros : Dans le couplet ça dit :

Guess I’m an alternative christian
Cus I ain’t tryna alter natives to be christian
Offering no ultimatum to be christened
I’m saying we’re all AllttA mate are you listening 

Traduction : Je suis un Chrétien alternatif, car je ne veux pas altérer les natifs pour qu’ils soient chrétiens, ne proposant aucun ultimatum pour les baptiser. Nous c’est AlltA mon pote.

Donc rien à voir avec le Alternative Christian Rock ou le Gospel Hip-Hop?

Mr. J. Medeiros : Absolument pas. En fait j’étais dans cette branche alors que je ne voulais pas y être. Et la première étape pour en sortir a été d’en faire partie, pour comprendre de quoi il s’agissait et personnellement, sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, j’ai ressenti que ça n’était vraiment pas ma place. Donc je suis passé à autre chose et je ne dirais pas que je suis un alternative christian. Je me débattrais déjà probablement avec le mot Chrétien tout court. Peut-être un chrétien existentiel, ça m’irait. Comme un genre de Søren Kierkegaard en moins fou… ou peut-être un peu fou quand même ! Peut-être un peu plus Sartre qui intégrerait quelques concepts religieux. C’est peut-être là que je me situe !

Sur quelle épaule tu mets Sartre?

Je ne sais pas, peut-être plus par ici. Je ne le veux pas vraiment dans mon cœur, car ça pourrait être dangereux, on verra !

Il y a une véritable alchimie entre vous et ça se ressent en écoutant vos sons, à tel point que c’est difficile d’imaginer que 9000 kms vous séparent quand vous taffez. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur le processus créatif ?

20syl : On a travaillé en trois temps en fait. D’abord, c’était un échange à distance comme tu le dis. On s’est envoyé de nombreuses choses. A la fois des idées farfelues de vidéos, de textes, de musiques ou encore de visuels. Je lui envoyais des instru et lui m’envoyait des maquettes qu’il enregistrait chez lui… On a commencé comme ça à l’arrache et au fil du temps, on a réuni de la matière, d’abord un EP, puis un album. Après quoi, on a calé deux semaines d’enregistrement chez moi à Nantes. C’est vraiment de là qu’est sortie cette vraie fusion entre nous. On s’est retrouvé puis la matière qui était initialement brute a commencé à prendre une forme un peu plus complète. La troisième étape, c’est quand moi j’ai repris tous ce qu’on avait fait quand on était ensemble. Avec cette matière déjà « avancée », le but pour moi était d’aller chercher l’essence de tout ce qu’il y avait pour le faire coller à ses différents flows. Parfois, je suis aussi intervenu sur ses voix pour en faire quelque chose de différent. Je lui ai aussi demandé de m’envoyer de nouvelles choses en complément. Le but était d’arriver au résultat qu’on souhaitait.

Pour résumer, ce sont des allers-retours chacun de son côté, mais il y a quand même une période super importante, une période où on a besoin d’être ensemble pour enregistrer. Oui, il y a une véritable alchimie entre nous, sinon je pense que cela ne fonctionnerait pas.

Et vos sets aussi, parce qu’il n’y a pas que vos lyrics, l’aspect visuel de vos live est tout aussi époustouflant. Comment vous le travaillez ça?

20syl : C’est moi qui ai développé toute la partie visuelle / animation sur les lives. Pas la totalité du set bien sûr. On a aussi une partie qui est en lumière traditionnelle pour laquelle on travaille avec un technicien lumière qui a fait un super taf sur le spectacle. Il y a une partie que j’ai voulu inspirer du logo, cette symétrie, cette dualité dont Jay parlait tout à l’heure. L’idée est de développer un univers noir et blanc très contrasté tout en lumières finalement.

Ensuite, il y a aussi toute la partie que J. assure, une partie qui fait plus de la moitié du show. Toute la partie où il est devant à tenir le public en haleine et à envoyer une performance qui pour moi est impressionnante. En tant que public pour moi Jay est l’un des meilleurs en terme d’énergie, de prestance, de flow. C’est aussi pour ça que je voulais partager la scène avec lui.

On a de la chance tous les deux d’avoir l’expérience de la scène et du live au travers de nos projets passés. C’est ça qui nous permet de pas avoir besoin de répéter énormément pour le live. Pour Marsatac par exemple, on a répété quelques jours seulement, mais bien sûr en ayant bien bossé en avance chacun de notre côté. On a juste bossé quelques jours ensemble avant la première date et ça l’a fait. C’est vraiment nos 15 ans d’expérience d’albums et de lives sur différents projets qui font qu’on est plus à l’aise ensemble.

On le ressent oui. Et dans un autre registre, comment la paternité a influencé votre travail, car vous tous deux devenus papas pendant que vous donniez naissance à cet album également ?

Mr. J. Meideros : A posteriori, je pense que ça a eu un impact sur la façon dont je questionne mes pensées, mes croyances. Peut-être que ça vient du fait d’être père. Je me suis interrogé, comme je peux encore le faire, sur ce que je suis pour moi-même et en tant que papa. Quand est-ce que ça se rencontre, quand est-ce que ça ne devrait pas se rencontrer ? Quand dois-je être la figure paternelle et montrer assez de confiance en moi en face de mon enfant ? Donc dans tout ça, il y a un peu de stress, mais aussi du soulagement, car j’étais un papa au foyer et quand je pouvais avoir une heure de calme puisqu’il dormait, je savais que j’avais une heure, j’avais laissé monter toute cette anxiété et ce qu’il y avait dans mon esprit et je pouvais vraiment me concentrer pour la première fois. J’avais un nouveau beat qu’il m’avait envoyé et je devenais fou…

C’est pour ça qu’il t’envoyait des couplets de 64 mesures !

Mr. J. Medeiros : (Rires) Ouais, je lui envoyais entre 60 et 100 mesures pour une chanson, il devrait recouper oui.

Je me souviens que je promenais mon enfant, je regardais mon téléphone et je me disais “merde, y’a une nouvelle instru… on doit y aller ! Va au lit ! Tout va bien? Parfait !” Et je pouvais retourner sur le portable écouter le beat… Non, je prenais plus soin de mon enfant que ça… Mais quand il se passe tellement de choses dans ta vie, tes moments de calme, tes instants à toi sont vraiment concentrés je pense. Et ça m’a aidé.

20 Syl : C’est exactement ça ! C’est-à-dire que d’un seul coup, tu te demandes ce que tu faisais de ton temps libre avant. Du coup, chaque moment de temps libre ou de travail, tu dois en tirer le maximum. Tu réfléchis comme ça parce que tu as forcément moins de temps. Si tu as envie de passer du temps avec ton enfant, tu dois forcément faire des choix. Personnellement et forcément, je travaille beaucoup moins qu’avant, mais quand je travaille, je suis plus concentré et bien moins dispersé. Je vais moins traîner sur Facebook et Youtube pour me mettre au maximum dans le son.

Revenons à toi Jay. Tes paroles sont tellement profondes, tellement denses, que tu les annotes presque toutes sur Genius.

Mr. J. Medeiros : Ouais, c’est terrible n’est-ce pas ? Ça aurait peut-être été mieux si je ne l’avais pas fait… C’est plus cool quand t’en as rien à foutre. Mais je n’y arrive pas.

Non, je suis loin de penser qu’il faut en avoir rien à foutre. Mais pourquoi cette initiative ? Tu ne veux rien laisser de cryptique dans tes paroles ?

Ouais, je me fais violence. En fait, j’ai laissé près de la moitié de l’album non annoté. Et vous ne le saviez probablement pas, mais en réalité, avant AllttA, j’étais l’artiste le plus annoté sur Genius.

Par la communauté?

Non, par moi. Et j’ai tout effacé.

Pourquoi ?!

Parce que je ne sais vraiment pas si c’est quelque chose à faire. C’est une autre de mes ambitions, quand j’annote mes paroles, c’est une façon de faire son examen de conscience. Je suis pris au piège de l’instant quand j’écris puis j’enregistre et je reviens dessus quand je les annote. C’est une autre forme d’art pour moi, car j’essaie d’expliquer et pendant que j’explique je vois des choses que je n’ai pas vues auparavant et je peux clarifier. Donc si je devais écrire un livre un jour, j’exploiterais tout ça comme une forme d’entraînement.

Mais sincèrement, je vois toute une génération de grands rappeurs et je vois une génération de fans qui n’a pas grandi avec le rap. Qui n’a pas grandi avec les mêmes règles que nous.

C’était vraiment strict, tu étais hip-hop alors tu l’étais à 100%, il n’y avait pas d’alternative, tu écoutais ça, tu connaissais ça, tu savais ce que tu faisais. Tu ne portais pas de graf, ni ne parlais de 5 Percent Nation of Islam si tu ne savais ce que c’étais. Sinon tu pouvais même morfler. Et aujourd’hui, on a cette génération qui analyse beaucoup ce qu’est le bon rap, qui sont les bons rappeurs, mais ils n’ont pas les mêmes connaissances. Et ne dis pas qu’il faut étudier pour apprécier le hip-hop, je dis juste que pour ceux qui aiment les paroles et qui se voient un peu hypnotisés par les rappeurs qui te laissent tout prendre comme argent comptant, ce qui est un art en soi, j’apprécie, mais rendre accessibles les doubles ou triples sens, c’est s’adonner au parolisme et c’est quelque chose que j’aime faire, si je peux. Je ne veux pas passer pour quelqu’un d’arrogant, c’est de manière tout à fait humble puisque je ne suis pas toujours ou je voudrais être.

Pour comprendre pourquoi quelqu’un comme Hellsy est un grand rappeur, il faut lire ses textes, il n’explique rien, mais il fait des trucs incroyables : des schémas de 4 ou 5 rimes, des trucs de dingue.

Black Thought n’a pas simplement maîtrisé le flow de Cool J, il faut comprendre ce que font ses artistes si tu veux étudier l’art. Ou peut-être pas, peut-être qu’il faut y aller simplement… bref, ça fait une longue explication tout ça…

Oui, mais ça pourrait définir ce qu’est le Rappeur Cubiste (Ce terme par lequel J. Medeiros définit son propre style).

J’espère, on verra.

Bon, il ne nous reste que très peu de temps apparemment.

Hey, c’est une bonne interview c’est ça le problème.

Il me reste plein de questions, mais on va en choisir une dernière. Elle est pour 20syl alors ne m’en veux pas, je vais la poser en Français. Rappelle toi en 2007, ton morceau « Petit Pays » (extrait de l’album Place 54 d’Hocus Pocus NDLR). Dis ans après, ça en est où ? Comment tu expliques que ce texte soit toujours aussi actuel ?

20 Syl : Ouai, c’est vrai que finalement, on aurait pu l’écrire au lendemain du premier tour des présidentielles. Je pense qu’on peut dire ça de pas mal de textes de nombreux rappeurs français, type IAM, NTM et tous ceux qui ont écrit des textes qui sont malheureusement, totalement intemporels. Malheureusement encore, je pense que des textes comme « Petit Pays » resteront intacts et ne changeront pas beaucoup.

Plutôt pessimiste alors ? 

Non, non, du tout, c’est plutôt le fait que le texte manque peut-être de précisions, de profondeur. Peut-être justement parce que je fais des généralités dedans. C’est une qualité quelque part, mais je pointe aussi en disant ça, les faiblesses de ce genre de textes qui vont finalement, pas chercher si loin que ça. On fait des constats de généralité, des constats de situations. Il y a beaucoup de rappeurs qui le font et c’est pour ça que les textes restent intemporels. C’est aussi ça qui fait une bonne chanson finalement.

Découvrez ou redécouvrez le premier album éponyme d’AllttA ci-dessous.

Propos recueillis par Cédric Calas
Commentaires

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *