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Black Mirror "Bandersnatch" : peut-on réellement choisir ? Black Mirror "Bandersnatch" : peut-on réellement choisir ?

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Black Mirror « Bandersnatch » : peut-on réellement choisir ?

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Envisagé depuis quelques années déjà, la plateforme Netflix est enfin parvenue à proposer son premier véritable programme interactif. À travers Bandersnatch, le spectateur peut décider de ce qu’il adviendra des personnages du film. Une véritable expérience permise par l’équipe de la série Black Mirror.

Cet article contient des spoilers.

Après avoir dévoilé au compte-gouttes une flopée d’informations sur l’épisode, Netflix a accouché de son nouveau bébé vendredi à 9h01. Un peu plus d’un jour après sa sortie, je suis enfin parvenue à mettre des mots sur l’expérience que j’avais vécue en jouant avec les scénarios proposés par Charlie Brooker et Annabel Jones, créateurs et producteurs de la série. Directement plongée en 1984, dans une vie Londonienne qui n’est pas la mienne, j’ai pris des décisions pour un autre pendant près de cinq heures. Et il semblerait que ce dernier s’en soit rendu compte. Quel aurait été le véritable destin de Stefan Butler si je ne l’avais pas influencé ? Ce film tend-il à me donner une clé de lecture quant au libre arbitre ? S’impose t-il comme une nouvelle façon de consommer le cinéma ? Peut-il au moins être toutes ces choses ? Explication.

Une révolution numérique

Interaction influencée

Pour ceux qui n’aurait pas suivi, le principe même de l’épisode est d’impliquer le consommateur dans l’émission qu’il regarde et de le déposséder de son état passif en le rendant plus disponible au scénario qu’il découvre. Du moins, en apparence, car comme Stefan, nos choix sont influencés. Influencés par le passage de film qui vient de se dérouler sous nos yeux et donc par l’avancée de l’intrigue, influencés par des propositions pensées par les créateurs de la série, mais aussi par les discussions décisives des personnages sur l’expression du libre arbitre et de leur capacité à choisir.

Si le show se veut en effet à l’image des livres Fantasy des années 1980 dans lesquels il était possible de « chose-your-own-adventure », la réalité en est néanmoins bien autre puisque malgré différentes fins possibles, celles-ci demeurent toutes imaginées par un autre. Stefan Butler pense rapidement être victime d’un complot et que son entourage contrôle sa vie. On aura vite tendance à le prendre pour un fou et pourtant : la vérité reste que nous aussi, au moins le temps d’un épisode (si ce n’est pas la même chose dans un tas d’autres situations), nous nous laissons contrôler par Black Mirror, ce qui ne peut que nous interroger sur notre propre existence, puisque le film guide nos choix selon son bon vouloir.

Expérience oppressante

Cela reste néanmoins une expérience impressionnante, bien que presque angoissante, faisant réagir sur le poids qu’une simple décision peut avoir et à quel point nous préférerions peut-être redevenir passif et laisser quelqu’un d’autre choisir à notre place. Car bien que nous ne voulons pas que certains évènements se produisent, la série contourne nos prétendus choix et nous impose une suite se rapprochant étrangement de ce que nous souhaitions pourtant éviter.

Sur ce point-là, qui devait pourtant représenter la pièce maîtresse du film, la série Black Mirror se perd encore un peu puisque l’objectif interactif qu’elle cherche à atteindre n’est qu’utopique et seulement superficiel. En effet, l’interaction est limitée par la nécessité d’une intrigue qui régit la suite de l’histoire, qu’importe ce que décidera celui qui la regarde. Le caractère faussement interactif du film permet toutefois à ce scénario, qui en suit la logique notamment avec le jeu vidéo à choix multiples de Stefan ou encore ses doutes quant à ses libertés, de suivre un paradoxe bien plus profond et intéressant. Je doute malgré tout que l’interactivité fonctionne dans d’autres scénarios qui n’en reprennent pas les thématiques même comme c’est le cas dans le film. Ici cela coïncide avec l’intrigue, d’où l’honorable succès des dilemmes proposés par Bandersnatch.

Stefan : théorie du complot et génie

Colin, l’allégorie d’un retour à la réalité

Un des premiers passages qui impose une terrible réflexion est un de ceux qu’on ne peut éviter : le monologue de Colin dans lequel il explique sa théorie du complot et donne par la même occasion sa propre vision du libre arbitre.

Colin commence par dire que « Pac Man n’est pas un jeu heureux ; que c’est plutôt un labyrinthe cauchemardesque dans lequel Pac semble à première vue libre de se diriger vers sa droite ou sa gauche. Seulement, à chaque fois qu’il tourne à droite, il finit à un moment ou à un autre par se retrouver à gauche, et inversement. » Tout ce qu’il essaie d’éviter se produit nécessairement. Pas de place au hasard, seul un destin immuable. « Le personnage ne pourra donc jamais gagner à proprement parler, puisqu’il n’a aucun contrôle sur ses mouvements ». S’en suit une explication avec laquelle certains ne s’accorderont pas : pour Colin, ce n’est pas la fin qui importe, mais les décisions que nous avons prises pour nous diriger vers cette fin qui ont réellement de l’influence.

À lire aussi : On en sait un peu plus sur “Bandersnatch”, le film “Black Mirror”

Existence mécanique

Cette explication va pousser Stefan Butler dans une véritable introspection et le convaincra plus tard qu’un complot s’organise autour de lui. Même si dans le principe Colin a tord, puisque comme l’explique le film Scott Pilgrim vs. the World, le nom de Pac Man ne signifie pas Program and Control ; cela n’empêche pas que sa théorie puisse permettre une remise en question, loin d’être dépourvue de sens. Du reste, un peu comme le lapin dans Alice aux Pays des Merveilles, c’est Colin qui permettra à Stefan de voir le monde « tel qu’il est » et d’en découvrir les ficelles grâce à la consommation de drogues, tout comme Alice avait elle aussi consommé de drôles d’élixirs à cause du Lapin Blanc.

Prendre conscience de nos influences mène à la folie

Enfin, ce qui va renforcer la conviction d’être victime d’une conspiration dans l’imaginaire de Butler, c’est ce reportage sur l’auteur de Bandersnatch, le livre qui l’a inspiré dans la réalisation de son propre jeu vidéo. Étrangement, la situation de l’écrivain colle parfaitement avec le quotidien de Stefan, qui est lui aussi convaincu que son destin n’est plus entre ses mains mais entre celles de son père et du docteur Haynes. À un certain moment, le personnage se demandera lui-même à haute voix si quelqu’un choisit à sa place.

C’est à ce moment-là que le spectateur pourra choisir de lui conter l’existence même de Netflix : « je te regarde sur Netflix. Je prends les décisions à ta place », à la suite de quoi l’histoire tentera d’expliquer au personnage principal que sa misérable vie divertit des individus aux quatre coins de la planète. À l’inverse, il est possible de le laisser croire que son père le contrôle depuis son plus jeune âge, jusqu’à écouter les conversations avec son psy. Dans tous les cas, cela n’attisera que davantage les doutes du personnage et ne le mènera qu’à une fin morbide.

Un jeu sans fin

Boucle temporelle

Finalement l’expérience (comme cet article) n’a pas véritablement de fin. Chaque boucle est indispensable à la compréhension de Bandersnatch et le film propose aux internautes de retourner en arrière indéfiniment. Ainsi, au fil de la lecture, on ne sait plus nous non plus, ce qui est vrai et ce qui est faux. Ceux qui auront visionné tous les scénarios ne sauront pas déterminer lequel est le bon puisqu’il n’y a pas de mauvaise réponse. Et cela peut-être frustrant pour celui qui a l’habitude, à l’image de tout bon cinéphile qui se respecte, qu’on lui donne tous les éléments de réponse afin de lui faciliter la tâche.

Illusion de réalité & manque de discernement

L’illusion de libre arbitre dans lequel Stefan s’est enfermé l’a privé lui-même de la moindre once de discernement. Tourmenté par ce monde idéal qu’il s’est créé seul dans sa chambre, il n’est alors que l’unique responsable de ses déceptions et de l’échec de son jeu vidéo presque toujours mal noté, aussi dur pour lui que cela puisse être. Mais s’il est alors le responsable de ses tourments, cela veut donc bien dire que le personnage a bel et bien le choix. Celui-ci ne s’en rendra toujours compte que trop tard, lorsqu’il « perdra le contrôle ».

Ce film interactif est donc l’épisode le plus philosophique que Black Mirror ait sorti à ce jour. Les spectateurs, sujets à une véritable remise en question de leur propre existence en viennent à perdre le fil d’une histoire vicieuse et sphérique, qui ne connaît de fin que dans la volonté. Il faudra décider d’arrêter le film pour que celui se termine, autrement, l’inévitable boucle se répétera indéfiniment.

Est-ce Stefan ou le spectateur qui devient fou ? Puisque c’est bien le spectateur qu’il lui ordonnera de tuer son père, de détruire son ordinateur ou d’assommer son idole. Stefan est-il victime de ses spectateurs ou est-il un bourreau qu’on prend plaisir à regarder ? Sommes-nous ceux qui contrôlons le film, comme Netflix a voulu nous le faire croire, ou est-ce plutôt le programme qui nous oriente ?

 

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