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BKH : «La question qu’on te pose avant d’avoir écouté ta musique c’est : “T’as placé pour qui ?”»

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Beatmaker talentueux, propulsé dans une cour concurrentielle qu’il a parfaitement captée, BKH nous a longuement raconté son parcours et sa vision du milieu. 

BKH, tu fais quoi de tes journées depuis le début du confinement ?

Bah déjà je taff un peu : je suis en cours à distance. Je fais un BTS communication et en même temps je suis en alternance. Sinon, il y a des jours où je fais pas mal de prods, ça dépend de mon humeur en vrai. Mais sans te mentir, je passe beaucoup de temps à jouer. En ce moment, tous les soirs avec des potes on se tue à Among Us. On s’embrouille pour trouver les imposteurs, c’est le bordel de ouf. Faut que tout le monde joue à ce jeu. Sinon, FIFA, tu connais.

Est-ce que tu te rappelles de ton premier placement (non officiel, ou officiel, d’ailleurs) ? Tu peux nous dire lequel est ton tout dernier?

Il y a trois moments clés. La première fois que quelqu’un a rappé sur une de mes prods, ça devait être au lycée. On s’était posé dans une voiture avec quelques potes. J’utilisais FL studio depuis peu, ils mettaient mes prods et s’amusaient à rapper dessus. Mon premier placement officiel, c’était Luidji. J’ai co-produit le son « Basquiat » du projet Tristesse Business saison 1. Je m’en souviens très bien parce que ça m’avait procuré un plaisir de fou. Tu te dis : “là, il y a un son que j’ai composé pour un artiste que j’écoute beaucoup, qui sort”. Et avec du recul l’album est vraiment bien, donc c’est très flatteur. Mon dernier en date, c’est un son de Smeels, qui s’appelle “Stop hating young black ceo”.

Je trouve ça dommage, mais il vaut mieux être dans la capitale pour exister et rayonner. Tout se passe ici : les artistes, les labels, les studios.

Qu’est ce qui a changé entre les deux ?

Je prends ça beaucoup plus au sérieux, maintenant. À l’époque, quand je faisais ça pour “m’amuser”, c’était ni pris au sérieux par les gens, ni par moi-même. Désormais, je pense que le truc qui a le plus changé, c’est le regard autour de moi. Les gens, dès qu’ils voient que tu commences à bosser un peu avec des artistes en place, ils s’intéressent à ton taff, ils le considèrent, alors que globalement ma musique reste la même. Sinon, entre les deux périodes je pense que je me suis trouvé musicalement. Je suis passé par tous les styles de prod, j’ai pris du niveau aussi. Maintenant, quand je suis sur FL Studio, je peux à peu près matérialiser mes idées.

Dans ta bio Instagram, tu as écrit Nîmes/Paris, pourquoi ?

Parce que j’ai vécu toute ma vie à Redessan, un village de même pas 5 000 habitants à côté de Nîmes et que ça fait deux mois que j’habite vers Paris, chez ma soeur, avec ma mère. Du coup, j’y passe la plupart de mon temps, et quand je peux, je rentre à Nîmes voir mon père. En tant que beatmaker, je vois une grande différence depuis que j’habite à Paris. Je trouve ça dommage, mais il vaut mieux être dans la capitale pour exister et rayonner. Tout se passe ici : les artistes, les labels, les studios. Si on m’appelle pour une session, je suis plus obligé de m’organiser pour prendre des billets de train, un logement, etc.

Les gens voient la signature comme une finalité mais, au contraire, c’est là où il faut commencer à travailler.

T’es actuellement en édition chez Maison Antares et SonyATV, ça veut dire quoi concrètement ? Ça se passe bien ?

L’édition représente les droits d’auteurs, du coup Maison Antares et SonyATV sont là pour me représenter. En gros, ils s’occupent de me placer soit sur leurs artistes, soit sur les artistes de leurs contacts. En échange, ils se rémunèrent avec un pourcentage de l’argent que génèrent ces placements. C’est un échange de bons procédés. Être en édition, pour moi, ça change pas mal de choses. Déjà tu galères plus à envoyer tes mails tout seul, tu as une certaine sécurité et surtout plus de crédibilité. Je m’occupe pas de l’administratif, dès que j’ai un problème on s’en occupe à ma place et donc ça me permet de me concentrer intégralement sur ma musique.

On pourrait croire qu’il y a plus de pression quand t’es signé, mais moi, de mon côté ça ne m’en rajoute pas vraiment. Ça se passe très bien où je suis. Les gens voient la signature comme une finalité mais, au contraire, c’est là où il faut commencer à travailler. Même si t’es signé, faut continuer à faire ta musique comme avant, parce que c’est pour ça qu’on est venu te chercher. Si je continue à taffer, ça devrait bien se passer. Je l’espère, en tout cas.

En parcourant ta discographie je me suis rendu compte que la plupart des tes compositions sont mélancoliques. Est-ce que t’es quelqu’un de triste dans la vie de tous les jours?

*rires* Non, je suis très heureux ! Pourtant, c’est vrai qu’on me dit souvent ça. Je sais pas, j’aime bien faire des sons tristes, c’est des sonorités qui me parlent. Ce qui est drôle, c’est que je peux me réveiller de très bonne humeur, mais quand je me mets sur mon logiciel, je vais avoir tendance à composer des prods mélancoliques. Même si je suis rarement triste, dieu merci, quand je le suis, ça rajoute un truc particulier à ces prods là *rire*.

Tu as co-produit le morceau “Maman m’aime” sur Stamina, le dernier album de Dinos. Tu peux nous expliquer comment la connexion s’est faite ?

Tout d’abord, je l’ai produit avec Benjay. Ça fait déjà un moment qu’on se connaissait mais on n’avait jamais eu l’occasion de collaborer. Le truc, c’est que pendant le premier confinement, il faisait des lives insta où il composait des prods avec des boucles que les gens lui envoyaient. J’me suis dis que c’était un bon prétexte pour qu’on taffe ensemble : je lui ai filé une de mes mélodies que je kiffais. Il l’a bossé en live et m’a renvoyé la prod. Presque en même temps, un contact qui travaille avec Dinos m’a proposé de lui envoyer des prods, alors, je lui ai fait un pack où j’ai inclus la composition avec Benjay.

Au départ, Dinos a retenu deux ou trois instrumentales et, au final, il a gardé celle-ci sur son album. Un jour j’ai croisé Dinos , je lui ai dis que j’étais sur son projet, du coup, très gentiment, il m’a invité à écouter le son et c’était lourd. C’est hyper flatteur d’avoir une place sur son album car il est entouré de son équipe et que dessus il n’y a pas beaucoup de beatmakers. En plus, mon grand frère apprécie particulièrement Dinos, donc c’est une fierté de me dire que, quand ça va sortir, on va pouvoir l’écouter ensemble.

C’est les plus motivés qui remporteront la course.

Stamina, signifie endurance. Est-ce que tu as l’impression qu’aujourd’hui les beatmakers s’affrontent dans une course ?

Oui, un peu. On est beaucoup, et tu sais que sur un album, il n’y a que 15 à 20 places grand maximum. Avoir son placement, c’est difficile. Quand tu n’as pas de placement, on te prend souvent pour un pitre mais, crois-moi, j’en connais beaucoup qui n’en ont pas et pourtant c’est loin d’être des pitres. Faut prendre tout le monde au sérieux. De plus, certains artistes aujourd’hui sont cadenassés, c’est-à-dire qu’ils ont leurs équipes habituelles de compositeurs. C’est dur de les atteindre. Donc, c’est vrai, je le vois comme une course, mais je ne suis pas du genre à penser qu’à moi. Je sais finalement qu’on galère tous et je souhaite aux autres beatmakers de placer le plus possible.

Après, il faut être malin. Ça passe par faire les bons choix : à qui t’envoie des prods ? À quels moments ? Et lesquelles ? Autrement, avant de courir, faut s’assurer de pas être maladroit dans le relationnel. C’est très important les contacts, je pense qu’ils font la moitié du taff. Pour le reste, il faut faire sa musique et être endurant. La persévérance, c’est la clé. Le problème c’est que tu peux avoir des périodes de six à sept mois sans rien, sans placement, t’as l’impression que ça stagne, mais c’est là qu’il ne faut pas lâcher. J’ai des potes qui me disent : “Ouais, ça y est la musique, on se bat pour rien”. D’un côté, je suis un peu d’accord avec eux, mais de l’autre, je me dis que ça commence un peu à payer aussi. Je pense qu’il faut être fort, certes, mais c’est les plus motivés qui remporteront la course.

On a l’impression que, malgré cette rivalité, tu es particulièrement attaché au processus créatif en groupe. Avec qui travailles-tu aujourd’hui ?

C’est tellement vrai. Les trois quarts des productions sur mon ordi, ce sont des collaborations. Je produis beaucoup avec Wunda, Kosei, Weaky et Finvy par exemple. Ça me fait plaisir de démarcher et être démarché par des gens : j’ai l’impression de créer une alchimie en mélangeant les styles. Travailler en groupe, ça élargit énormément les possibilités. Imaginons que je commence une instrumentale : en la partageant, un autre beatmaker va la transformer, lui donner un aspect unique et un résultat que j’aurais peut-être pas obtenu tout seul. C’est typiquement ce qu’il s’est passé avec “Maman m’aime”. Dans tous les cas, tu apprends tellement plus vite quand tu es entouré et tu as l’impression de franchir les étapes avec des gens. Par exemple Wunda, c’est mon gars depuis des années, à l’ancienne, quand on a commencé ensemble on était claqué *rires*. On écoutait beaucoup Laylow, et se dire que, seulement un an après, on l’a placé chacun de notre côté, c’est une belle histoire.

Mes objectifs, c’étaient Hamza et Laylow : j’ai réussi à avoir Laylow sur un featuring avec un peu de chance et maintenant je veux Hamza.

Si tu devais choisir une production, de toi ou quelqu’un d’autre, qu’on ferait écouter à tous les Français, ce serait laquelle ?

Wah c’est compliqué… Alors, pour mettre d’accord toute la France, là maintenant, je pense que je ferais écouter la prod du son “Check” de Young Thug composée par London On Da Track. Je pense que c’est réellement cette instrumentale qui m’a donné envie d’en faire. Quand j’ai découvert ce morceau, j’ai pété les plombs. Tu mets ça dans tes écouteurs, la prod tape fort, ça m’a matrixé. J’ai l’impression que la prod a bien vieilli aussi. Le son date de 2015, pourtant les sonorités sont assez actuelles. Il faut faire écouter cette prod aux français, comme ça, eux-aussi, ils vont se mettre à faire des prods *rires*.

Maintenant, c’est quoi la suite ?

L’objectif ce serait d’avoir une certification en single, c’est très clair. En parallèle j’aimerai bien aussi accompagner un artiste, dans le sens l’aider sur sa direction artistique, avoir la possibilité de faire un projet commun avec. Cependant, j’estime ne pas être encore assez satisfait de ma musique pour le faire. La suite, c’est donc aussi de continuer à bosser. Sinon il y a pleins d’artistes que j’aimerais placer, comme Hamza. Mes objectifs, c’étaient Hamza et Laylow : j’ai réussi à avoir Laylow sur un featuring avec un peu de chance, et maintenant, je veux Hamza. C’est un peu comme des Pokémon, on est tous des dresseurs, notre pokédex c’est les artistes et donc notre carte de visite *rires*. Souvent quand tu dis que tu es compositeur, la première question qu’on te pose avant même d’avoir écouté ta musique c’est : “T’as placé pour qui ?”.

Propos recueillis par Raphael Tokarski 

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