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Damso : ce qu’on a aimé, ou non, dans « QALF »
Avec QALF, Damso livre une oeuvre expérimentale, plongée dans un univers théorique qui fait inévitablement basculer sa critique.
À l’issue de l’album, difficile de penser musique. Le strident «nwaaar» de « Intro » conclut QALF là où sa promotion l’a initié : dans une caverne occulte, où les théories et autres conjectures fantasmatiques nous susurrent qu’avec Damso, rien ne se passe jamais comme prévu. Vient alors l’heure d’un exercice périlleux : juger un album sans savoir s’il est réellement terminé. Une expertise brièvement caressée à l’heure de Les étoiles vagabondes, un an plus tôt, bien que l’effet de surprise maintenu par Nekfeu et son équipe n’ont fait que conforter la sortie spectaculaire de Expansion. Là, l’intrigue pré-domine : se retrouve-t-on avec une pièce incomplète ? Si oui, peut-on alors la juger dès maintenant ? On a estimé que oui.
QALF, un prisme qui s’effrite
Car QALF est enfin nôtre. Fil rouge de la discographie de Damso, l’opus annoncé en 2015, a été livré, cette fois-ci en temps et en heure, ce 18 septembre. L’occasion de découvrir ces quatorze tracks, chargés de promouvoir un nouvel artiste, libéré de ses supposées chaînes du 92i et retrouvé musicalement. C’est avec force et charisme qu’il ouvre son opus avec « MEVTR ». Un symbole notable au début de sa carrière et son premier nom d’artiste, Meilleur d’entre vous tous réunis. Égo-trip, introspection, et quelques références d’actualité : Damso livre une introduction remarquable. Une plongée violente au coeur de son nouveau monde, qui fait surtout émerger sa soif de reprendre la couronne du rap francophone. En 2 minutes 25, l’artiste balaye les plateaux de jeux et de puzzles promus pendant des mois au profit d’un rap sobre et sans fioriture. Et après ça, on préférerait ne pas savoir qu’il s’agissait que d’une de ses trop rares expositions de son trait de personnalité brutal et agressif.
À l’issue de « MEVTR », et pendant la moitié de l’album, QALF prend le temps de dessiner son monde. On bascule d’un univers à un autre, en douceur, avec même des transitions enivrantes comme « TheVie Radio ». QALF prend son temps, raconte, narre, développe. On y parle d’amour dans « Sentimental » ou de son fils dans l’éblouissante fresque « Deux toiles de mer », peut-être l’une des pièces les plus réussies de sa discographie. Hamza et Lous and the Yakuza relayent l’artiste dans des balades tantôt frénétique, tantôt délicate et dépeignent, pendant toute une première partie, un album réjouissant. Moins nerveux qu’à l’habituel, plus expérimental, Damso se dévoile sous un nouveau jour, toujours enveloppé de sa cape obscurcie et de ses rimes imagées.
Mais après cette première partie, la direction artistique de QALF semble trébucher. La cohérence liée par transitions et thématiques appliquées cède sa place à un tout plus fouillis. Le milieu de l’album semble creux. Le message porté par « Pour l’argent » surpasse son rendu artistique, tandis que « BPM » et « D’ja roulé » perdent en pertinence. Si l’ambiance rétro voluptueuse de « 911 » redonne du pep’s à la fin de l’opus, l’auditeur enjambe plusieurs univers en s’y perdant. « Rose Marthe’s Love » revient re-calibrer la ligne directrice, avant de laisser place à une conclusion… que l’on connaissait depuis six mois. Étrange et un arrière-gout d’amertume.
Damso trahi par lui-même
Après la première écoute, le pessimisme règne. Certaines directions artistiques bancales répondent à des coups d’éclats brillants. Puis on se souvient que, de manière générale, c’est ce qui caractérise souvent un album de Damso. Plongée dans son expérimentation la plus totale, l’artiste a fait de QALF une oeuvre musicale libre et extravertie, au sommet de sa musicalité. Chaque écoute renforce le squelette intelligible de l’oeuvre : on y capte des nuances, des reflets, des fragments. QALF, à défaut d’être comme on l’avait espéré, ressemble à ce que Damso, lui, avait imaginé. Et ses explications en interview, qui cherchent à promouvoir la musique au-delà de ce que les fans attendent de lui, en disent long. Reste que QALF manque un poil de percussion, dans la lignée des « BruxellesVie », « Nwaar Is The New Black » ou « Smog ». Damso y livre une facette plus musicale, certes, mais aussi plus édulcorée.
Enfin, force est de constater que les retours contrastés qui accompagnent la sortie de QALF, sont l’oeuvre de Damso lui-même. Avec ses interminables jeux de piste et autres extraits dressant au préalable la tracklist d’un album qui n’existera probablement jamais, l’artiste a créé un projet aux attentes paradoxales. Lui qui souhaite que ses fans s’intéressent exclusivement à sa musique, dépose en dernière pièce de son album un morceau titré « Intro ». Finalement, l’intégralité des fans de l’artiste se sont intimement persuadés qu’une deuxième partie arrive. Et dans le cas échéant, Damso pourrait y perdre gros, au moins proportionnellement à l’attente de ses fans. Pendant cinq ans, il a ouvert des portes, qu’elles soient musicales ou théoriques. Il était donc évident que sa communauté se fasse une idée en amont de ce qu’allait être QALF. Et la confrontation de cette idée préconçue et du rendu pose irrévocablement un problème.
Reste donc l’hypothèse d’une deuxième partie. Laquelle scellera définitivement le sort de QALF, au-delà de sa force artistique. Si elle n’existe pas, la frustration de sa communauté supplantera dangereusement la qualité de ces quatorze premiers morceaux. Si elle existe, elle devrait re-concentrer l’actualité et la hype et ainsi écarter au moins temporairement toute critique. Un peu comme Les étoiles vagabondes un an plus tôt : critiqué à sa sortie, l’album a finalement slalomé entre les expertises après son deuxième volet. Finalement, en amont comme en aval, l’avis artistique de QALF sera biaisé par sa forme. Et c’est bien dommage, pour un album qui n’a rien à rougir du reste de la discographie de Damso, sans pour autant la surclasser.
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