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Parlons de la nouvelle scène de Detroit, réunie sur l’album de Big Sean

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Dans son dernier projet, Big Sean originaire de Detroit a proposé une tracklist exaltante aux invités prestigieux, avec notamment les nouvelles têtes de la scène locale de Detroit, regroupées sur une piste commune. État des lieux et mise en lumière de ces acteurs. 

Deux ans et des poussières. Voilà le temps qu’il aura fallu à Big Sean pour revenir sur le devant de la scène internationale et ainsi proposer un cinquième opus à sa discographie. Souvent définit comme l’un des poulains prometteurs du label G.O.O.D Music de Kanye West, l’artiste divise autant qu’il fédère. Mais Detroit 2, paru il y a quelques jours, est un exemple foudroyant de thématiques et de sonorités séduisantes.

Ainsi, dans ce nouvel effort, il opte pour un retour au source vers sa ville natale, mais également vers l’un de ses projets qui l’avait, à l’époque, élevé dans les cours des grands. Ces deux idées s’entrecroisent sous la bannière de “Detroit”, un terrain de jeu dont Sean a assimilé les règles avec aplomb depuis son plus jeune âge. Ainsi renaît les souvenirs de son enfance à travers la ville du Michigan, mais également de la mixtape éponyme de seize titres sortie en 2012. Cette démarche qui le ramène à Détroit est accidentelle, et n’avait pour vocation d’exister. «La musique que je faisais me rappelait Detroit et je ne faisais que de retrouver des similitudes avec l’époque où j’enregistrais la mixtape, avoue-t-il. Du coup, j’ai décidé d’appeler cet album Detroit 2.» Logique.

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Et ainsi, le cinquième album du bougre prend alors des airs de blockbuster, une fausse carte postale de Detroit dont les murs des friches industrielles y sont représentées, mais où les populace n’y est qu’à moitié invitée. De ce fait, il favorise une mixture amère entre ses modèles, les tendances actuelles et ceux qui font vivre sa terre natale. Nipsey Hustle, Anderson Paak, Diddy, Erykah Badu… De beaux noms qui ne s’accordent pas pour autant au paysage de la cité américaine. Et comme pour rectifier le tir à la dernière minute, Sean condense les acteurs de la scène locale sur une même piste, “Friday Night Cypher”. Un nom en référence au show radiophonique local qu’il fréquentait à ses débuts, ne pouvant alors n’aboutir qu’à un rouleau compresseur où chaque Mc fulmine sur les boucles instrumentales. 

Quand Detroit se bonifie

Parmi eux, Eminem et son compère Royce Da 5‘9’ venus jouer les vétérans raseurs de mur afin de fournir l’impulsion nécessaire aux “jeunes” têtes du peloton. Puis surtout Tee Grizzley qui représente son rôle de meneur de jeu en ouvrant la piste. Il faut dire qu’à lui seul, il aura su relancer l’économie de la ville en explosant à grande échelle la musique locale grâce à “First Day Out” en 2017. Alors tout juste remis en liberté après un séjour en prison, Tee ne s’est pas encore dévêtit de son costume de détenu imbibé d’orange qu’il nous conte déjà son histoire à huis clos entre les combines pour survivre et les face-à-face agités dans la salle d’audience. Et si le morceau redore le blason de la ville du Michigan, c’est aussi grâce à Helluva, machiniste caché derrière la production du titre.

Des claviers gelés en arpège, une bass-line surchargée, complétée par des effets sonores à rebond viennent dicter “First Day Out” mais également toute une nouvelle génération de rappeurs made in Detroit prêt à affûter leurs flows sur des productions chancelant entre la chaleur humide de la côte ouest et la froideur paralysante de la côte est. Car si la volonté de transposer la G-Funk de la Bay Area – région située au nord de la Californie – au sein de la ville se fait ressentir dès les années 90 de par des acteurs comme Eastside Cheeddaboyz ou Hard Todd, la formule se fait dépoussiérée et renouvelée pour mieux se répartir hors des frontière du Michigan grâce à Helluva. 

On laisse de côté Tee qui n’a plus grand chose à prouver en vu de son statut de capitaine pour se concentrer sur Kash Doll – rappeuse originaire de Détroit ayant dépassée les frontière de son état pour côtoyer Meek Mill ou Lil Wayne – qui s’engouffre dans la brèche du “bassement sound” et s’amuse à exécuter son flow impétueux. Toutefois, si elle emmène avec elle le patrimoine musical de sa ville dans ses morceaux, on ne peut pas en dire autant pour ses relations avec les rappeurs locaux, ne s’affichant ainsi jamais à ses côtés. Mais ce fût un jour où l’exception primait, car Kash Doll jette un court couplet dans la fosse aux lions pour “Friday Night Cypher”. Pour la relayer, Cash Kidd s’empare du micro dans l’envie d’y exposer ses comparaisons et métaphores extravagantes. Plus chauvinisme que sa prédécesseure, il se fait une réputation il y a six ans de cela avec “On My Mama”, déjà empreint au rythme sonore de la ville industrielle. Comme nombreux des rappeurs locaux, il se constitue un fan base à travers des mixtapes qui débordent de producer tags aux morceaux mis bout à bout dans un effort plus comparable à une compilation. Sans être le plus intéressant de la scène de Detroit, Cash Kidd propose un avant-goût de la mouvance et l’atmosphère qui règne dans la Motor City. 

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Entre la chaleur de la Bay Area et la réalité glaciale de Detroit

Le suivant sur la liste fait partie des piliers qui impulsent une thermodynamique constante dans la métropole. Rebaptisé Payroll Giovanni, il est un mordu de rap en provenance de la Bay Area, et exprime un respect certain pour les figures qui hantent la côte telles que E-40 ou Spice 1. Son ascension se promeut lorsqu’il s’extirpe du crew Doughboyz Cashout pour bâtir une carrière de soliste. L’avènement de sa mixtape Payface en 2017 fait de lui l’un des souverains qui, après tant de travail en amont, trône sur le bitume à l’odeur de pétrole qui constitue Detroit. Pourtant, son amour envers la Californie à l’air asphyxié le pousse à conter ses fables de dealer sous les palmier des boulevards de Los Angeles, et ainsi rencontrer les acteurs inhérents à cette scène.

En résulte une série de mixtapes nommées Big Bossin avec le producteur Cardo aux manettes, lui aussi enfant illégitime de la Bay Area. Malgré tout cela, Patrick n’en reste pas moins un acteur primordial à la scène locale, toujours en vadrouille dans les districts de son enfance. Puis arrive 42 Dugg, la figure qui lui emboîte le pas, et qui a permis de populariser toujours plus le capital musical de Detroit. Pourtant, dès ses 15 ans, il devient interdit pour lui de vagabonder entre les avenues à cause d’une sentence derrière les barreaux de six ans. Malgré cela, le jeune rappeur peaufinera ses textes pour exploser dès sa libération. Sa signature sous le label Collective Music Group de Yo Gotti lui permet de collaborer avec la star montante Lil Baby et ainsi s’implanter avec fracas dans le rap. Cela ne l’empêche pas de parcourir les rues de Detroit et s’illustrer dans les avenues emblématiques que sont 6 et 7 Miles, muni d’une fierté certaine pour sa terre natale. 

Dans une style drastiquement différent, la voix crevassée de Boldy James déambule lors du long freestyle. Lui est l’anomalie, le pustule qui ne s’est pas accordé aux tendances actuelles, désireux de retranscrire la pauvreté de Motown City sous un autre angle. Inspiré par Slum Village et J Dilla qui se greffent au mouvement des Soulquarians à la fin des années 90, Boldy conserve ce boom-bap vaporeux dans lequel il y infuse une lugubrité venue retranscrire les tableaux au décor dépravé de son enfance. Avec une productivité aléatoire, le rappeur atteint les 38 ans par un curriculum troué, constitué d’un projet par-ci par-là. Il faut dire qu’il n’a jamais vraiment abandonné son rôle en tant que vendeur de poudre enchanteresse, vacillant entre coffrage dans la cabine d’enregistrement et buste visé contre des murs effrités à servir la came. Pour autant, il change la donne en cette année 2020 pour proposer un enchaînement de projets avec, à chaque fois, un producteur attitré. The Alchemist, Sterling Toles et Jay Versace le guide pour en faire le porte-parole de cette scène marginale de Detroit.

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Alors, lorsque son flow nonchalant s’éteint dans “Friday Night Cypher”, Drego se permet de reprendre la main. Initialement membre du duo Drego and Beno, le rappeur s’émancipe seul le temps d’un couplet lors du freestyle. Tout aussi adepte de basses menaçantes, il avait su se faire remarquer dans “Bloxk Party” où toute la scène de Detroit effectuait un cameo devant une caméra venue capturer les images secrètes d’une trap house. À présent, Drego concentre son énergie pour la déverser au côté de son compère Beno dans des mixtapes au mixage imprécis. 

Detroit, un avenir tout tracé ? 

Pour conclure ce voyage immersif dans les allées de Detroit, rien de mieux qu’une rencontre avec l’homme le plus excentrique et imprévisible de la contrée. Lorsqu’il se travestit en rappeur, on le nomme Sada Baby. Sa voix est audible de tous, et n’échappe à personne tellement celle-ci est unique. Son flow, lui, se tord à l’infini et jamais ne se calque sur lui-même. L’ancien apprenti cuisinier aura surement fait le meilleur choix de sa vie en intégrant les rangs des rappeurs de Detroit, se positionnant comme l’homme le plus talentueux de la nouvelle vague. Des titres tels que “Stacy”, “Pimp Named Drip That” ou plus récemment “Slide” auront raison d’un succès grandissant pour lui. Son charisme, ses danses intrépides et sa versatilité lui permet de recevoir les félicitations de tout un pan de l’industrie musicale. Et si l’on ajoute à cela des inspirations Funk et Soul qu’il démontre dans les productions remplies de samples de Kool and The Gang ou David Ruffin, le tout couplé à sa voix aussi criarde que tempérée, alors Sada Baby devient le boss final du rap jeu. Ses projets Bartier Bouncy 2 et Skuba Sada 2 en sont les dernière artefacts qui prouvent que le jeune prodige tient la route sur la longueur. 

Après ce tour d’horizon fastidieux, il est temps de tirer un bilan d’une telle initiative. Et en effet, il n’est pas certain que Big Sean redonne à la Motor City ses lettre de noblesse : celle qui se définit aussi bien par les studios de la Motown que par les crackheads qui vagabondent dans les avenues. Cependant, “Friday Night Cypher” a le mérite de projeter un faisceau de lumière sur les talents intrinsèques de la ville, et cela malgré le capharnaüm qui y règne et le séquençage des productions trop brutales. Loin d’être aussi réussi qu’un “Detroit Vs. Everybody”, il permet tout de même de balayer du regard les nouvelles têtes dispersées parmi les crack houses, les clubs et les strip clubs. Et comme la ville plombée par les friches industrielles n’est pas prête à disposer d’un regain économique, les rappeurs arrivent, dans une beauté personnelle, à attirer l’attention sur elle et faire rendre compte des situations dramatiques qui saisissent les habitants installés dans la périphérie de la ville, celle démaquillée de tout artifice et où les balles pleuvent sans interruption. 

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