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Demi Portion : « C’est à nous de créer nos propres règles »
Ce soir du 25 mars, le Bœuf sur le Toit de Lons le Saunier affiche complet. Après un concert électrique devant un public acquis à sa cause, on se rappelle que le parcours de Demi Portion est admirable. Plus de 20 ans de carrière en indépendance, et l’artiste réussit plus que jamais à déplacer les foules.
Deux mois après la sortie de son petit bijou 2 Chez Moi, nous nous sommes entretenus avec le rappeur Sétois sur de nombreux sujets. De son album à la deuxième édition de son festival en passant par le contexte politique actuel, l’artiste a accepté de répondre à nos questions avec la modestie et la gentillesse qui le caractérisent.
Rencontre.
Ça fait maintenant deux mois que tu as sorti 2 Chez Moi, tu es en pleine tournée aujourd’hui. Comment tu te sens ?
Ça va tranquille. On essaie de peaufiner un show autour de l’album sans pour autant mettre toutes les tracks, on fait un medley de mon parcours. On n’est pas en télé ou en radio, juste les concerts, c’est cool. Je suis super heureux des retours.
La dernière fois qu’on t’a interviewé en mai 2016, tu nous expliquais le concept de 2 Chez Moi, c’est un album inspiré par tes freestyles. C’est avec des Faces B que tu bosses le mieux ?
Oui, le premier son que j’ai fait en mode 2 Chez Moi c’était « Demi Paix » que j’ai mis sur Dragon Rash, après les gens ont donné le titre du concept : 2 Chez Moi. Ça m’a donné envie d’en faire un album.
« Aujourd’hui le terme Hip-Hop ne fait plus partie de la musique »
Tu fais beaucoup de références à tes héros, aux pionniers du genre. Tu trouves que ça se perd un peu de nos jours ?
Si tu regardes tous les albums de Rap Français sortis ces cinq dernières années, personne ne dédicace personne. Personne n’a envie de parler de l’autre. Il y a juste des partages mais pas vraiment de discussion, c’est pas cool. Pour moi faire des dédicaces ça paraît normal, sans trop en jouer.
Aujourd’hui le terme « Hip-Hop » ne fait plus partie de la musique, tu fais du Rap. Tu fais de la Trap, de l’Afro-Trap, mais le mot « Hip-Hop » n’est plus une musique, les gens pensent à la danse. C’est très dur maintenant de trouver le mot « Hip-Hop » sur un album alors qu’on en fait tous. On mange Hip-Hop, on s’habille Hip-Hop, Youtube on le tue avec le Hip-Hop. Aujourd’hui il n’y a plus de grandes mixtapes, de grandes compilations, de Cut Killer… Moi je suis juste content à ma petite échelle de dédicacer les autres rappeurs.
Maintenant il y a des artistes qui font du Rap mais qui ne sont peut-être plus dans la culture Hip-Hop…
Peut-être… après juste le fait d’écrire fait partie du Hip-Hop. Pour moi les disciplines c’était le Break-Dance, le Beatbox, le Graffiti, le DJ et le Rap.
Avant il y avait beaucoup de Break dans le Rap.
Beaucoup. Maintenant on dirait que les Breakers se retrouvent dans un cercle fermé. En tout cas moi j’ai grandi dans les platines, les freestyles, j’ai des potes qui font du Beatbox. J’ai mis 10 ans à avoir un studio. J’ai commencé en 1996 mais j’ai enregistré mon premier titre en 2004. Aujourd’hui tu fais du Rap tu enregistres direct, c’est interdit de pas avoir son clip, sa cover, sa page Facebook… Moi je suis passé par plusieurs étapes avant d’avoir tout ça, mais sans aucun regret. Avant je me tuais aux Faces B, maintenant tu n’en trouves plus, tout se consomme gratuitement. La révolution est impressionnante, mais c’est ce qui fait la force de notre musique, il y a de tout pour tout le monde.
Avec 2 Chez Moi on a l’impression que tu as franchi un pallier, que tu es plus populaire que jamais. Tu le ressens ?
Non du tout. Loin de ça. Je vais pas me mentir, on m’écoute plus qu’avant, j’ai un autre public qui m’écoute contrairement à l’époque. Puis je fais des festivals et je me demande pourquoi ils me choisissent. Je me pose beaucoup de questions.
Tu trouves pas la réponse ?
Non… aujourd’hui il y a plein de Rap, il y a des Orelsan, des Nekfeu, Vald, Georgio… je dis juste merci à ceux qui nous écoutent, aux organisateurs, à ceux qui nous font confiance.
Ton album dégage une ambiance assez harmonieuse et mélodieuse, même la Cover évoque l’évasion.
Ouais j’ai trop fait de Rap énervé, enfermé… j’aime beaucoup le Rap, j’essaie d’aller où je n’ai jamais mis les pieds.
Est-ce que la musique finalement n’est pas le plus beau des voyages ?
Carrément. Ça me permet de venir te parler ce soir, de bouger et d’avoir les pieds sur terre.
Dans « Mon Dico IV », tu débutes en disant « La Musique est éphémère, ça ne dure pas ». Qu’est-ce que tu voulais dire par là ? Car moi je pense que la musique est un art qui traverse le temps. Ta musique sera toujours là.
Je sais pas… quand je regarde IAM je dis respect. Quand Shurik’n m’invite sur son album je me dis que ce que je fais sert à quelque chose. Je suis content car j’ai grandi avec ces gens là et jamais je ne pensais faire de la musique avec eux.
« J’en ai marre qu’on trouve toujours une faute à tout, il faut trouver des solutions maintenant. »
Dans ce même morceau il y a un constat assez acerbe du climat actuel. Tu penses que la situation peut encore s’empirer, notamment avec les élections qui approchent ?
Le truc c’est qu’on a toujours conspué l’Etat, la police, la politique… on tourne en rond. Vu qu’on connaît les règles, c’est à nous de créer les nôtres. Ne plus se dire que ça va être la merde à cause d’eux. C’est très compliqué de faire confiance à un politique. On doit juste assumer le changement, c’est tout. Aujourd’hui il y a tellement de problèmes. Moi qui ai grandi dans l’immigration, j’en ai marre de devoir prouver qu’on est légitime. J’en ai marre qu’on trouve toujours une faute à tout, il faut trouver des solutions maintenant.
Le 23 juin prochain tu es l’une des têtes d’affiches du Festival Marsatac au côté de la Fonky Family, groupe avec lequel tu as fait tes premiers pas sur scène en 1996. Qu’est-ce que tu ressens ?
J’ai fait leur première partie en 1996, j’étais tout petit. C’était les Demi Portion on était six, on a fait 1 minute 30… c’était dingue.
J’aimerais te parler du rappeur mythique de la FF, Le Rat Luciano. Tu devais pas faire une collaboration avec lui ?
Je l’ai rencontré et on en a discuté, mais je vais le faire. C’est comme Haroun de la Scred Connexion, je le connais depuis tout petit, c’est des gens que je vois tout le temps. Ça serait un rêve de collaborer avec Luciano, mais je veux pas forcer les choses.
Vous vous ressemblez en terme de personnalité : timides, modestes, proches des gens…
Oui, Christophe, [son prénom NDLR] il est super. Humainement il est génial. C’est quelqu’un de discret, comme Keny Arkana. J’ai grandi avec elle, mais on n’a jamais fait de feat. On se voyait 2 à 3 fois par an, après on ne s’est pas vu pendant 10 ans, là on a repris contact. Mais c’est toujours compliqué de faire un son, de faire les choses bien. Pas faire un truc pour faire un truc.
Comme Fabe, je dormais chez lui, c’était pas mon but de gratter, de demander un feat. J’ai vécu chez lui, DJ Pone venait souvent, mais j’étais pas un gratteur. Il m’a invité sur Bonjour la France, une mixtape/cassette, j’ai posé un 16 dans sa chambre…
C’est pour ça que tu as gardé cette habitude de bosser dans ta chambre ?
Ouais Fabe enregistrait chez lui. Enregistrer dans la chambre c’est ce que fait Goldman, tous les grands artistes. Ils sont chez eux, ils peaufinent et donnent le produit fini. Moi c’est pareil, j’enregistre chez moi, j’envoie en WeTransfer et l’ingé fait son boulot. Nemir fait pareil à Perpignan, beaucoup enregistrent chez eux maintenant.
Début août tu lances la deuxième édition de ton Demi-Festival. T’as été surpris par le succès de l’an passé ?
Oui choquant. Les places se sont vendues en deux minutes. Il y avait 50 000 personnes sur l’événement Facebook, autant que Beyoncé au Stade de France. Comme si j’avais ramené un Hummer à Sète. Hier [24 mars NDLR], je faisais un concert avec Guizmo et Youssoupha, on jouait pas à guichet fermé. Aujourd’hui je suis là avec Davodka, Napalm, c’est plus intime et c’est complet. Ça veut rien dire les Stars, la grosse pub, les grosses machines… hier c’était Genève, fric, pognon, flash et c’était pas complet… tu vois ce que je veux dire ?
L’argent n’achète pas la passion.
Exactement. Surtout le public. Ce soir c’était un des meilleurs publics que j’ai connu. Des fois dans des MJC c’est fou. Ils sont cinquante mais c’est fou.
Tu peux nous dire qui a déjà répondu présent pour la deuxième édition ?
Youssoupha vient de valider, les Sages Poètes de la Rue, Davodka, Kacem Wapalek, Jp Manova… ça sera trois jours de Rap, non stop. L’année dernière je voulais faire un truc cool, dans une petite salle de 300 personnes et c’est parti en couille. 1600 personnes sur trois soirs… magnifique.
T’as conscience qu’avec le temps ton festival peut être l’un des plus gros Festival de Rap en France ?
Je me dis pas ça. Un rappeur américain j’ai même pas envie de le faire venir, j’ai peur qu’il fasse des manières, je le connais pas et lui m’a jamais fait venir. Je veux pas encore que mon festival prenne une très grande ampleur. Je vais essayer de faire venir ceux que les gens ont envie de voir et voilà.
J’ai une boîte de prod qui s’appelle Hook Up qui a géré le Festival, car moi j’ai donné l’idée mais toute la paperasse, les billets, les hôtels, c’est une galère que j’ignorais. Respect à eux et à Eliel qui a fait un boulot de fou et qui est manager de Tha Trickaz.
Les 14 et 15 mars tu étais à l’Olympia pour faire la première partie de Kery James. Comment c’était de se produire dans cette salle mythique ?
J’ai fait la Cigale déjà, j’avais beaucoup de pression. Hugo TSR il vient du 18 ème, la Pigalle c’est leur quartier. Toi t’arrives de Sète, tu sors un album, t’as peur, tu te demandes comment ça va se passer, puis finalement tu fais Sold Out.
Après je reçois un texto de Kery James c’était fou. Il aurait pu l’envoyer à pleins de rappeurs mais il m’a choisi moi. C’était une pression de ouf. J’ai pas de mot pour te dire à quel point c’était impressionnant.
Pour terminer, t’as des projets dans le futur ?
Continuer la scène, finaliser le festival, et je vais sortir un projet gratuit. J’ai stocké pas mal de titres, notamment tous ces Freestyles 2 Chez Moi. Ça sera gratuit sur internet. Quand tu vois des gars comme Jul qui sortent des albums gratuits à leur échelle, respect. Le mec touche plus que Johnny Hallyday, il est premier et il charbonne chez lui, il fait ses sons, respect.
Remerciements à Demi Portion pour sa gentillesse, ainsi qu’à Mehdi Medizik qui a rendu possible cette interview. Propos recueillis par Baptiste Beauquis.