Interviews
Heskis apprivoise la nuit avec son EP, GG Allin
Parce que Heskis sort son premier EP aujourd’hui, et parce qu’il décrit notre époque si singulièrement, nous nous rendons dans les locaux de son label, Musicast, pour en discuter. Découvrons les premiers pas solo de ce rappeur qui vit la nuit et raconte la violence de notre temps.
Salut Heksis ! On est à l’heure de ton premier projet solo GG Allin EP, après avoir officié avec notamment Hors II portée et 5 Majeur : Comment tu vis ta première sortie solo ?
Pour le moment ça ne change pas grand chose, il y a une dynamique qui s’est créée petit à petit. Avant je sortais rien, donc il ne pouvait pas y avoir beaucoup de réactions. Là ce qui change c’est que je commence à sortir des choses, du coup j’ai des réactions sur ma musique. Ça donne beaucoup de force. Personnellement m’a vie n’a pas changé par rapport aux années précédentes.
C’est la scène Rennaise et Nantaise qui ta fait émerger : tu y vis toujours ? C’est quoi ton rapport avec ces villes ?
Oui elle m’a fait émerger, ou disons que j’ai émergé de la scène Rennaise et Nantaise plutôt, et oui je vis toujours à Nantes depuis quelques années. Mais j’ai grandi dans un coin particulier, à côté de Chartres. Je viens d’un endroit où il n’y a rien, il y a que des champs à perte de vue, y a pas un bar, pas une boulangerie, vraiment queudal. Donc quand t’es jeune, tu te fais rapidement chier. J’ai compris à ce moment-là que je voulais faire de la musique, j’ai fait mes premières armes à Chartres avec les mecs de NoStar à partir de 2007. Ensuite je me suis installé à Rennes après le lycée et c’est à ce moment-là que j’ai vraiment mis les pieds dans la musique de manière plus poussée. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’on a crée le 5 Majeur sur un coup de tête, Nekfeu nous a rejoint un week-end, ensuite on s’est enfermés tous les 5 pour enregistrer des morceaux.
Quelles sont tes premières influences musicales, à l’époque où tu vivais à Chartres ?
J’ai eu différentes influences. Mes cousins ont toujours écouté du rap, ils sont plus âgés que moi, quand j’étais gamins ils m’ont baigné là-dedans. Très tôt j’ai entendu des Busta Flex, NTM, IAM. Mais la première fois que je me suis pris de passion pour la musique, c’est parce que je trainais avec des mecs qui m’ont mis dedans à 11 piges, mais c’était pas du tout dans le rap, ça peut paraître étrange mais c’était dans le métal. Ma passion pour la musique est venue du Skate. Puis quelques années après, j’ai vraiment découvert le rap. Mon apprentissage de la musique s’est fait à travers le rock, le reggae, le rap.
Dans « Akira » tu dis une phrase très forte : « J’écris des textes violents comme mon époque. » Qu’est-ce qui rend notre société violente ?
Le marketing. Je pense que le marketing rend la société violente et rend les gens prêts à tout pour obtenir leur quart d’heure de gloire. La bêtise, la médiocrité rend notre société violente. Ce sont des mots qui correspondent bien à notre époque. Je suis pas dans un constat d’optimisme des plus totales, je pense qu’il y a pleins de choses qui nuisent à l’époque. Les politiques, la télé-réalité. Regarder des émissions de divertissement pour moi ça peut être super violent. Est-ce que toi tu te sens touché quand tu regardes des émissions comme ça ? Moi non. J’ai l’impression qu’on essaye de fabriquer des débiles en puissance plutôt que d’aider les gens à s’élever. Et je trouve que les rappeurs partent de plus en plus vers ce truc là, tout le monde veut son buzz et plus rien à foutre de ce qu’on met dans la tête des gens.
Justement dans Akira, c’est une société post-apocalyptiques, après la Troisième Guerre Mondiale, où il n’y a plus de repères…
Oui tout à fait, le morceau parle de ça, il parle de la perte des repères. Le EP tourne beaucoup autour de ce sujet, de ce que la société a crée et quelle place elle laisse à l’individu dans un environnement super conditionné, super codé, super normé. C’est à ça que j’ai essayé de faire référence dans Akira.
C’est important pour toi qu’on se serve du rap pour l’extérioser, cette violence ?
Je trouve que c’était positif à une certaine époque. Je suis pas du tout nostalgique mais je trouve que le rap d’avant permettait d’extérioriser un certain mal-être chez les jeunes. Il y avait un aspect défouloir, le fait de pouvoir écouter des mecs qui racontaient ces-trucs là ça pouvait t’aider à te reconnaitre et t’aider à te sentir mieux si tu te sentais en rupture avec ton environnement. Je trouve ça dommage que maintenant ça soit moins le cas.
Tu te considères pas comme un rappeur conscient ?
Non absolument pas, enfin j’en sais rien. Le terme rap conscient dans la tête des gens c’est un peu dégueulasse. Et puis je suis pas Medine, Keny Arkana ou Kery James, j’ai pas de combat politique, je suis complètement apolitique. Ce que je fais c’est du rap introspectif, du rap qui pose des questions, j’essaye de dresser des constats personnels plutôt que d’adopter une posture engagée. C’est ce qui me gonfle un peu chez les artistes, tout est souvent une histoire de posture.
Tu mentionnes beaucoup tes « démons » est-ce qu’ils sont plus facile à apprivoiser à travers ta musique ?
Oui totalement, le EP parle beaucoup de ça. Ce projet je l’ai fait après une période sombre. Concrètement, faire de la musique c’est ce qui m’a aidé, prendre des éléments négatifs de la vie pour essayer d’en faire un truc positif. Soit je restais dans une période compliquée ou soit j’utilisais ces difficultés pour sortir un projet. Et c’est ce que j’ai fait.
Ton EP GG Allin est extrêmement unifié et logique, une ambiance très sombre, nocturne s’en dégage, C’est important pour toi la continuité dans un projet ? Et comment t’es venue l’idée de sortir un projet aussi « thématique » ?
Ça s’est fait instinctivement. Avec Sheldon on a bossé les morceaux un à un. J’ai enregistré Cluedo avec Vidji il y a 1 ans et demi. Ensuite on a fait GG Allin avec Sheldon, puis les autres morceaux sont venus, vraiment les uns après les autres. On a tout fait ensemble, le EP est produit par Sheldon avec moi, du coup la cohérence du projet est venue naturellement. Je savais déjà où je voulais aller. Je pense que les gens qui me suivent depuis quelques temps ne seront pas surpris, quand tu écoutes mes anciens trucs comme « 3 minutes » ou « Case départ » tu peux comprendre que ce sont les prémices de GG Allin.
Et toi dans ce que tu écoutes, tu préfères les albums cohérents ?
Non je m’en tape complètement, je peux très bien écouter un album diversifié. D’ailleurs pour le prochain projet que je prépare, je me dis que j’aimerais avoir plusieurs couleurs différentes dessus, sans forcément me l’imposer.
Sur ce EP ton univers s’est beaucoup assombri, quand on réécoute un morceau comme JDF, ça donnait plutôt envie de marcher sous le soleil, t’es d’accord avec ça ?
JDF c’était une exception, ce morceau je voulais pas le sortir à l’origine, il est resté 4 ou 5 mois dans mon ordinateur, je voulais vraiment pas le sortir. J’aimais bien ce que je disais dessus, mais je trouvais l’ambiance trop Hip-Hop. Puis c’est Sheldon et Vidji qui m’ont dit de le sortir. Et au final ça a beaucoup plu aux gens. Et d’ailleurs, j’ai pas le même regard sur les morceaux une fois qu’ils sont sortis, et maintenant je réussis à l’apprécier. Quand je le réécoute je l’entends plus pareil.
Les instrus du EP sont assez psychédéliques, on sent des influences assez forte hors Hip-Hop.
Oui c’est vrai. Je suis grave influencé par le Trip-Hop. Je suis un fanatique de Portishead, leur album Dummy est mon album préféré. Également des influences Rock et un peu Punk. Je te parle de ça avec le recul, mais en le faisant je me suis pas donné d’obligation. Ces influences sont venues spontanément sur le projet. J’ai toujours kiffé la musique nerveuse, même quand c’est triste j’apprécie beaucoup. Et sur GG Allin EP, je voulais qu’il y ait tout ça, et surtout un côté planant, spatial. Le projet est complètement nocturne, d’ailleurs il a été enregistré entre 22h et 6h du matin, donc ça a dû jouer aussi.
Dans le morceau « Cluedo » tu parles beaucoup de la réussite. Ça signifie quoi pour toi ? Est-ce qu’elle passe par l’argent ou le succès dans les bacs ?
Non pas du tout. Pour moi la réussite ce serait de réussir à me débarrasser de mes démons, à être moins anxieux et plus en paix avec moi-même. Concrètement ça ne passe pas par l’argent ou par la réussite commerciale. C’est un ensemble de choses. D’une manière générale, je fais de la musique pour essayer de m’apaiser moi-même.
Tu peux avoir des choses à te prouver à toi même et pas forcément aux publics.
Justement j’essaye pas de prouver quelque chose aux autres. Quand j’écris les morceaux, c’est vraiment auto-centré. Je gratte les rimes pour qu’elles me plaisent à moi avant tout. Je vais jamais me poser la question si les gens comprennent ou pas. Il faut pas nécessairement aller au simple et à l’essentiel, moi quand j’étais gamin et que j’écoutais du rap, j’ouvrais le dictionnaire toutes les trois minutes afin de bien comprendre le sens des mots.
Toi qui viens de projets collectifs, est-ce que tu penses qu’il y a une réelle émulation positive entre les rappeurs ?
Oui complètement, il y a une émulation à partir du moment où tu fais de la musique à plusieurs. Et pour ce projet j’ai ressenti une autre forme d’émulation. Je suis allé au Dojo (un studio à St-Denis) je connaissais personne de leur équipe, je suis venu pour faire un morceau avec Sheldon. Et avant de faire le morceau, j’ai passé 2 nuits à écouter tout ce que faisaient les gars du Dojo. Ça a crée une émulation à sens unique, ça m’a donné des idées que j’avais jamais imaginé avant. C’était vraiment la rencontre au bon moment, la bonne collab au bon moment. À cette époque j’arrivais pas à savoir où je voulais aller avec ce projet, j’avais seulement enregistré « Cluedo » et ça m’a permis de trouver une voie. Et surtout j’ai compris qu’on pouvait très bien s’entendre avec Sheldon, moi je suis très relou sur les prods, donc on a pu bosser ensemble là-dessus et se compléter parfaitement.
De tes instrus naissent les textes ou le contraire ?
C’était assez particulier sur ce projet, « Akira » c’est le seul morceau que j’ai écrit avec l’instru sinon pour le reste c’est complètement sur mesure. Pour « Cluedo », Vidji connaissait mon texte donc il a fait une prod qui correspond à l’univers de ce que j’avais écrit. Pour les autres morceaux, je me suis ramené chez Sheldon avec les textes déjà écrits et on a construit les productions à partir de là, en se basant sur des Face B que j’avais déjà enregistré. Par exemple pour « Gas Station » il y a eu 7 instrus différentes avant d’arriver à la version finale. Le morceau avec Hunam « Hautes Cimes » a beaucoup évolué aussi, d’ailleurs on l’a enregistré pendant les attentats à Paris.
Et ça a influencé le morceau ?
Oui, du coup j’en parle dans le texte. On était au studio quand ça s’est passé, on pouvait pas faire semblant et passer à côté, l’ambiance était archi pesante. Et finalement ce drame a eu son importance dans le projet. D’ailleurs je suis assez surpris que depuis ça, il y est quasiment aucun rappeur qui en parle dans un morceau. Il s’est passé des trucs de ouf donc ça me surprend.
En 2011 on t’avait demandé si le rap c’était mieux avant, et à l’époque t’avais dit que la génération de MC des années 2010 était peut-être plus forte que celle des années 90, c’est toujours ton avis ?
Oui, je le pense toujours. Aussi bien en terme de prod qu’en terme de technique pure, le rap n’a jamais été aussi chaud que maintenant. Même si je suis un ultra fanatique de Fabe, La Rumeur etc, qui sont considérés comme les plus grands, et bien je trouve qu’il y a des rappeurs beaucoup plus chauds aujourd’hui. C’est logique, dans le sport c’est pareil. Dans le football c’est pareil. On devient meilleur de génération en génération, certainement aussi parce qu’on s’inspire des trucs qui se faisaient avant.
D’ailleurs vous aviez fait la première partie de La Rumeur avec 5 Majeur, ça signifiait quoi pour toi à l’époque ?
C’était un truc de ouf et en même temps il y avait une vraie distance avec eux, du coup j’étais un peu déçu de ça. Mais sur le symbole, se dire qu’on allait faire la première partie de La Rumeur, c’était dingue.
Dans « Gas Station » tu fais une référence à Star Wars, t’as pensé quoi du 7ème opus ?
Je l’ai trouvé trop revival pour le revival, c’est vraiment comme le 4. Le plan à la fin avec Luke, t’as envie d’en savoir plus. J’ai trouvé que ça faisait vraiment teasing pour les suivants. J’ai été assez déçu.
Toi qui étais proche de Nekfeu, tu penses quoi du succès qu’il a eu ces dernières années ?
Je pense que c’est complètement mérité et qu’il est probablement le meilleur toute génération confondue. C’est un travailleur acharné. Si tu veux, c’est un mec avec un don qui a décidé de travailler son don. Chose que peu de gens font, en général quand t’as un don, tu te branles dessus mais lui a décider de le travailler. On sentait qu’il était au dessus déjà à l’époque de 5 Majeur, dès qu’on l’a capté on a senti qu’il avait un truc spécial. Et ce qui est beau c’est de monter en équipe. Il aurait pu sortir son album solo 3 ou 4 ans avant. Mais il a passé son temps à dire aux maisons de disque : « Non, non tu signes $-Crew ou tu signes rien, tu signes L’entourage ou tu signes rien. » On est super content pour lui, ça nous rend fier.
Est-ce que t’as encore des projets en groupe justement ?
Non pas pour l’instant, on se concentre essentiellement sur nos projets solo. Mon EP sort aujourd’hui et Hunam (membre de Hors II Portée et 5 Majeur) prépare également le sien, il y aura 6 tracks et une collaboration entre nous deux. Nos voix s’accordent bien et nos flows également. Il y a quelques temps on a voulu bosser un projet Hors II Portée, mais avec la distance c’est assez compliqué. Finalement, faire de la musique à plusieurs ça demande du temps, une concentration et une compréhension de l’autre. Pour le moment on ne sait pas trop ce que ça donnera même si on a tous les deux envie de sortir un truc ensemble. L’idée c’est aussi de faire de la scène à deux, une fois que nos deux projets seront sortis.
Et la scène, c’est un exercice que tu apprécies ?
L’exercice que j’apprécie et là où je prends le plus de plaisir c’est dans les freestyles, que ce soit à la radio, dans la street ou lors d’open-mic. C’est là que j’ai le plus de sensation, un peu comme un jeune rider. Les concerts jusqu’à présent c’était assez pénible, c’est pas forcément un truc dont je tire du plaisir. Disons que c’est surtout le côté technique qui me dérange. Mais depuis quelques temps je commence à prendre du plaisir et j’ai fait pas mal de dates avec Fixpen Sill, ça m’a permis d’acquérir les bases sur scène.
Pour terminer, quelles sont tes attentes pour la sortie de ce EP ?
C’est une bonne question. Pour répondre le plus sincèrement du monde et pour ne pas être hypocrite, j’essaye de ne pas m’en donner. Dans la vie, je suis loin d’être un garçon plein de confiance en lui, par contre je sais ce que je vaux dans le rap. Je serais tenté d’avoir de grandes attentes parce que j’estime être un bon rappeur, mais je me fixe pas d’attente parce que sinon ça va être trop frustrant. Si je regarde en tant qu’auditeur, j’ai l’impression que ce ne sont pas les meilleurs rappeurs qui vivent le mieux, et moi je suis dans une démarche à essayer de faire du bon rap, alors faut pas que j’ai des attentes incroyables. La seule attente que je m’autorise à avoir c’est qu’il y ait des auditeurs qui se reconnaissent dans ce que je fais. Pour l’instant c’est le gros point d’interrogation. Ce que j’attends le plus c’est de savoir comment les gens vont recevoir ce EP.
Propos recueillis par Hannah Taïeb et William Hoyon