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Vin's : "Parfois, il est important de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas" Vin's : "Parfois, il est important de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas"

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Vin’S : « Parfois, il est important de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ».

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A l’occasion de la troisième édition du Scred Festival qui s’est tenue au New Morning le week-end du 15 janvier, nous avons rencontré Vin’S, le rappeur de Montpellier au lendemain de la sortie de son dernier album, 23h59. 

Un premier album en major, c’est forcément un grand moment pour un artiste. Encore plus pour Vin’S, rappeur originaire de Montpellier qui, en plus d’avoir dévoilé le 15 janvier dernier 23h59, son premier projet chez Capitol, jouait le lendemain même sur la scène surchauffée du Scred Festival. Un événement à la gloire du hip-hop organisé depuis trois ans par la Scred Connexion.

Contexte de sortie oblige, l’artiste était d’autant plus sous pression que le public dans sa grande majorité ne connaissait pas encore ses dernières chansons. Pas de quoi l’effrayer puisque sa puissance lyricale et l’énergie déployée sur scène lui ont valu une ovation soutenue à la fin de sa performance.

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Néanmoins, il n’était pas non plus totalement inconnu au bataillon. Bien avant la sortie du projet, l’artiste faisait en effet déjà parler de lui, notamment avec le single « #METOO ». Un titre fort extrait de 23h59 dans lequel il condamne avec fureur et sévérité le harcèlement sexuel dont sont trop souvent victimes les femmes. Dans le sillage de l’Affaire Weinstein, sa parole incisive et féroce n’avait pas manqué de faire grand bruit.

Il serait cependant réducteur de reléguer Vin’S à cette simple étiquette de rappeur féministe et militant. L’écouter, c’est aller bien plus loin : c’est opter pour un voyage inattendu vers des contrées uniques, faites de solitude, de punchlines percutantes et de sonorités tantôt sombres, tantôt mélancoliques. Profitez-en, le rappeur lui-même s’est ouvert à nous pour vous présenter au mieux son univers. Suivez le guide.

Salut Vin’S ! Ce soir, tu es là pour défendre ton nouveau projet sorti hier (le 15 janvier 2018), 23H59. Quel était ton état d’esprit jeudi à 23H59, la veille de sa sortie ?

J’étais justement en train de faire un snap en disant :  » Il est 23H59 ! « . J’étais très pressé que ça sorte parce que j’avais envie que les gens découvrent mon projet. J’étais aussi impatient de l’écouter moi-même pour la première fois après la sortie, c’est d’ailleurs la première chose que j’ai faite. Quand tu écoutes ton projet sur la même plateforme que les gens et que tu sais qu’eux aussi y ont enfin accès, ce n’est pas pareil, il y a un truc différent psychologiquement.

23h 59, c’est si précis que ça veut forcément dire beaucoup. Pour nous, ça symbolise un moment décisif, à la minute près. C’est le cas pour toi ?

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C’est exactement ça. Ce projet représente ce moment décisif avant que tout ne bascule. C’est la fin d’une journée et le début d’une nouvelle. C’est un peu comme si d’un coup, tu figeais le temps pour contempler ce bouleversement qui est sur le point d’arriver, comme si tu faisais un slow motion sur l’instant qui précède ce bouleversement. Ce projet, c’est un peu ça aussi au sens où il retrace mon parcours, d’où je viens, cette école du rap où ça kick grave, puis cette avancée vers l’avenir avec par exemple le titre « Peur », où l’on sent que ce qui va suivre sera intéressant.

Il y a aussi l’idée que 23H59 précède minuit,  » l’heure du crime « , et que ce projet représente l’antichambre du crime, une mise en bouche qui préfigure une suite encore plus chaude !

Ce projet marque aussi tes débuts en major. Comment s’est passée ta signature chez Capitol ?

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Cette signature chez Capitol, je la dois à Malik Bentalha. C’est quelqu’un qui adore ce que je fais et qui me suis de près depuis FBitch, depuis mon premier album. C’est lui qui m’a présenté à Kore et de fil en aiguilles, le patron de Capitol s’est intéressé à ce que je faisais et a trouvé qu’il y avait du potentiel. J’ai donc signé il y a un an puis été en développement. On a d’ailleurs bossé sur 23H59 avec un état d’esprit plutôt indé, très autonome, comme j’avais pu le faire sur mes précédents projets mais avec derrière nous la force de frappe plus importante d’une major.

Ton premier projet s’appelait Seul à l’arrivée. Les années ont passé et ton succès est grandissant. Malgré ça, tu te sens toujours aussi seul en 2018 ?

Je pense qu’on est tous un peu seuls dans la mesure où chacun de nous partira seul. Même si j’espère que je ne vais pas mourir demain, cette solitude est déjà présente au quotidien et elle reste bel et bien là même quand on perce. Elle est aussi liée au fait de ne pas toujours se sentir compris. Je sais que j’ai ce décalage vis-à-vis des gens et c’est aussi un peu pour exprimer ça que je rappe. D’ailleurs j’en parle sur un morceau où je dis qu’en dépit du fait qu’on est 6 milliards sur cette planète, on se sent tous un peu seul au fond. La solitude, c’est une notion qui revient souvent dans mes textes.

Sur cet EP, on te sent à la fois très incisif, souvent piquant dans tes punchlines, et dans le même temps très émotif. Ce sont trois mots qui caractérisent ta musique aujourd’hui ?

Je pense que ça résume plutôt bien mon travail en effet, ces trois mots traduisent assez bien mon état d’esprit. J’ai toujours eu ce besoin de choquer. Il y a une phrase qui m’a marqué dans le film « Seven », qui est un de mes classiques autant pour la réalisation que pour le scénario. A un moment, John Doe est dans la voiture de police et dit :  » Si tu veux que les gens t’écoutent, ça ne suffit pas de leur taper sur l’épaule. Il faut le faire à coups de marteau et là, tu es certain d’avoir leur attention « . C’est en quelque sorte la marque de fabrique de mon rap. Ça me vient très certainement d’artistes comme Sinik qui m’ont forgé. Le but n’est pas de choquer gratuitement mais de le faire avec du sens, avec du fond, pour réveiller les consciences. Parfois, il est important de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

Pour prendre l’exemple concret des migrants, il y a plein d’enfants qui meurent chaque jour en essayant de rejoindre nos côtes sur des embarcations de fortune avec leurs parents. C’est quelque chose que tout le monde sait mais dont personne ne parle, jusqu’à ce que les journaux publient la photo d’un enfant mort sur une plage. Il faut ça pour que les gens réagissent. Mes textes, ce sont des enfants morts sur la plage, si tu veux.

Tu as aussi présenté et fait valider un EP comme projet de fin d’études. Qu’est-ce que ça représente pour toi ? Je présume que c’est une fierté ?

C’est d’abord une revanche sur l’Education Nationale où je n’ai pas vraiment trouvé ma place. Je suis sorti du système scolaire à 16 ans – dès que j’ai eu l’âge légal d’en sortir – pour me former en ingénierie du son dans une école privée. J’ai toujours été très animé et passionné par ce que je faisais et dès le début de cette formation, j’ai tout de suite pris l’ascendant sur les autres parce que j’avais en tête un projet bien défini. Je voulais enregistrer entre midi et 14h, je n’hésitais pas à demander l’accès au studio. Cette émulation m’a naturellement conduit à présenter ma mixtape que j’avais enregistrée surplace comme projet de fin d’études de notre petit groupe.

On trouve aussi sur cet EP des titres assez engagés comme « Marianne » ou « Adrénaline ». Pourtant, il paraît que tu rejettes cette étiquette. Pourquoi ce refus ?

Je trouve que c’est une étiquette qui cloisonne et qui enferme dans un certain registre. Si tu es identifié comme un rappeur engagé, c’est comme si tu n’avais plus le droit de sortir de cette case. Ça ne me dérange pas d’être engagé sur un ou plusieurs morceaux mais pour autant, je n’aime pas qu’on me définisse comme un rappeur engagé. Ça ne veut pas dire que mon rap ne s’appuie pas sur certaines valeurs. Mais je peux être sérieux et revendiquer quelque chose sur un morceau tout en étant beaucoup plus léger sur un autre. Je vois parfois des commentaires du type : « Vin’S, c’est pas ça ». Mais Vin’S, ça n’a pas à être comme tu décides que ça doit être. Il fait ce qu’il veut, il est assez grand pour savoir ce qu’il veut faire et pour assumer ses propres choix. Je ne veux rien m’interdire quand je rappe. Le fait de coller des étiquettes, ça érige forcément des barrières et je n’aime pas ça.

Dans un rap souvent décrié pour sa misogynie, tu as pris tout le monde à contre-pied avec le titre « #METOO », en réaction à toutes les polémiques suscitées par l’affaire Harvey Weinstein et le #BalanceTonPorc. Pourquoi as-tu eu envie d’aborder ce sujet ?

C’est un problème qui me touche personnellement dans mon quotidien, depuis un moment, que ce soit à travers ma mère, ma sœur ou les copines que j’ai pu avoir. Sur mon projet Freeson sorti en 2014, j’avais déjà abordé la place des femmes dans la société vis-à-vis de la T.V., de la téléréalité et des réseaux sociaux. A l’époque, j’avais traité le sujet depuis une perspective focalisée sur les femmes. Sur « #METOO « , j’ai voulu dézoomer pour prendre du recul et m’intéresser davantage aux causes et à la dimension psychologique du phénomène.

Quand l’affaire Weinstein a éclaté, j’ai été agréablement surpris de voir une libération de la parole d’une telle ampleur. Je ne m’attendais pas à voir autant de langues se délier, mais je n’ai pas tout de suite eu envie de faire un morceau là-dessus. C’est venu un peu plus tard avec mon exaspération face à certaines réactions de mecs qui essayaient de dédramatiser les choses. J’ai du mal à supporter qu’on mette au même niveau des souffrances dont les causes ne sont pas les mêmes. Il ne faut pas tout mélanger, la place des hommes et des femmes dans la société n’est pas la même et on ne peut pas comparer l’incomparable. On oublie trop facilement qu’il n’y a pas si longtemps, les femmes n’avaient même pas le droit de vote.

Une petite punchline pour Harvey Weinstein et tous les autres ?

Allez niquer vos mères (rires) !

Si on te donnait un budget illimité pour ton prochain projet, y a-t-il un artiste ou un producteur en particulier avec qui tu aimerais collaborer ?

Je bosse déjà avec Kore mais sinon je dirais Orelsan ou Stromae pour qui j’ai aussi énormément de respect. Et chez les cainris, pourquoi pas Travis Scott mais surtout Kendrick Lamar ! Il est de loin le meilleur aujourd’hui.

Aujourd’hui, de plus en plus de rappeurs ont plusieurs casquettes et se lancent dans d’autres domaines artistiques tels que la mode, la production, le beatmaking. Est-ce dans tes projets ?

J’ai plein de projets en tête mais c’est encore un peu tôt pour en parler. Pour le moment, je me concentre sur la construction de mon univers artistique et de ma place dans le rap. C’est actuellement ma priorité même si sur le plus long terme, j’ai aussi envie de me diversifier. Je trouverais notamment intéressant d’écrire pour d’autres gens, pas forcément des rappeurs d’ailleurs.

Propos recueillis par Jérémie LEGER et Hugo BENEZRA / Retranscription : Hugo BENEZRA

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