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L’Ecole du Micro d’Argent, comme si c’était hier

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l'Ecole du Micro d'Argent

L’Ecole du Micro d’Argent d’IAM est un classique incontestable du Rap Français, peut-être la plus grande oeuvre du genre. Malgré ses 20 années, l’album semble toujours d’actualité, tant les souvenirs sont ancrés dans les mémoires. Comme si l’opus était sorti hier…

Tout a été dit sur cet immense monument du rap français, le plus vendu de l’histoire. Il va sans dire que les souvenirs qu’a procuré L’Ecole du Micro d’Argent à la fin des années 90 sont encore bien vivaces. On parle d’une époque révolue que les millennials n’ont évidemment pas connu, d’une France Black Blanc Beur où l’on pouvait acheter trois magasines rap chaque mois tandis que la scène hip-hop continuait de faire plus de bruit, quand Skyrock a senti le vent tourner en programmant exclusivement du rap, devenant le vecteur incontournable du genre puisqu’Internet n’était encore qu’un luxe dans les foyers. On parle d’un moment clef durant laquelle une révolution était en marche dans la scène musicale hexagonale, alors que le groupe IAM entrait dans une troisième campagne qui allait changer la donne durant de longues années.

L’évocation d’un mythe

Etant donné qu’à l’occasion du vingtième anniversaire de ce chef d’œuvre majeur du rap français encore aujourd’hui inégalé, beaucoup de sites et de journaux sont revenus dessus en long et en large (voir par exemple ce très bon papier de Libé), la décision d’écrire sur ce disque que chaque passionné de rap connaît du bout des doigts n’a pas été évidente. Mais mon cœur de trentenaire qui a battu au rythme des instrus des architectes Kheops et Imhotep et des schémas de rimes d’Akhenaton et Shurik’N deux décennies auparavant, a pris le pas sur la raison, il a réveillé la mémoire bouillonnante de mon cerveau en ouvrant les archives neuronales de ce que j’ai vécu et ressenti entre 1997 et 1998. Au point que tout ce qui est couché (à la première personne) sur cet article s’est fait de tête, c’est vous dire. Bâti(e) par six individus vouant corps et âmes à leur cause, le hip hop, L’Ecole du Micro d’Argent a véritablement inspiré les jeunes et moins jeunes, suscité intérêts et vocations, donné envie d’écrire des rimes, de rapper, de sampler, d’apprendre à scratcher… C’est devenu aujourd’hui une pièce de musée que toute une génération a décortiqué et étudié de fond en comble, des lyrics aux samples en passant par les flows.

L’Ecole du Micro d’Argent est le troisième opus du groupe marseillais IAM, le successeur du pharaonique double-CD Ombre est Lumière (le premier double-album de l’histoire du rap avant ceux de 2Pac et Biggie), il arrive chronologiquement environ deux ans après qu’Akhenaton ait révélé avec son solo biographique Métèque et Mat qu’il était le rappeur n°1 de la scène francophone, en faisant rimer ‘texte’ avec ‘complexe’. Et dès la première piste scandant de manière sombre « L’Ecole du Micro d’Argent », on savait tous que l’album allait être épique, marquer à vie. De la première phrase de Shurik’N qui ouvre les hostilités, jusqu’à l’ultime seconde de l’apogée qu’est « Demain c’est loin ». Pas étonnant qu’on s’en rappelle dans les moindres détails comme si la première écoute datait d’avant-hier. Tant de choses me reviennent à l’esprit lorsque j’observe cette pochette illustrée par des chevaliers japonais sur leurs montures, le leader levant son katana, avec en fond des nuages couleur sang. Et ce logo ‘IAM’ qui a évolué vers un style nippon pour être raccord. A l’intérieur, avec l’objet du culte circulaire qui se lit au laser, un joli livret révèle des textes devenus sacrés, accompagnés d’illustrations graphiques à l’encre de chine de techniques de cet art martial qui fera école par la suite. Moins d’égyptologie et plus de culture et d’histoire du pays du Soleil Levant que précédemment.

L’architecture de la pyramide

On sait tous que, comme n’importe quel genre musical, la France s’est nettement inspirée des Etats-Unis, que ce soit pour la variété, le rock, le disco et bien sûr le rap. Milieu des années 90, les amateurs de hip-hop Eastcoast venaient d’être traumatisés par les Mobb Deep, le Wu-Tang et Notorious BIG, mais ce sont surtout les deux premiers groupes qui ont de près ou de loin esquissé les tendances dans notre paysage rap en matière de prods, les beatmakers locaux reprenant des éléments de leurs univers et certains codes ou schémas. Mais pour mieux se mesurer aux grands frères américains, les membres d’IAM sont partis quelques temps en pèlerinage à la Mecque du Hip-Hop, New York (comme on l’appelait), pour s’imprégner de l’ambiance d’une métropole dont le pouls battait au rythme du la musique hip-hop. Pour enrichir les productions déjà très fournies par Kheops (ah ces scratches de dialogues de films!) et Imhotep (mais aussi AKH et Shurik’N), IAM a fait appel à l’ingénieur du son new-yorkais Prince Charles Alexander, véritable légende dans le milieu, pour le mixing et le mastering, ce qui est très loin d’être une simple anecdote tellement son rôle à été crucial dans le perfectionnement de L’Ecole du Micro d’Argent. On ne mesure d’ailleurs pas la quantité de réécriture qui a été nécessaire pour obtenir le résultat qui a été rendu public le 18 Mars 1997.

Le contact visuel avec L’Ecole du Micro d’Argent a été un facteur déterminant pour stimuler l’imaginaire autour de l’univers d’IAM. Ce clip de « L’Empire du Côté Obscur » avec ses références à Star Wars ou bien celui de « La Saga » (avec la présence des ‘Wu-Tang affililates’ Sunz of Men) avec l’ennemi en image de synthèse et ces décors de temples ont décroché des mâchoires à la fin des années 90. Des effets spéciaux désuets de nos jours mais d’incroyables claques à chaque fois que les vidéos passaient sur M6. On pouvait avec cela parfaitement visualiser Akhenaton et Shurik’N dans un dojo de pierre faire la démonstration de leurs des techniques imparables, des strophes structurées, rimes coupantes et refrains carrés qui se retenaient très facilement, les deux rappeurs avaient un temps d’avance sur la concurrence (« Quand tu allais on revenait » ouais) et une complémentarité à toute épreuve. Leurs égotrips truffés de métaphores ont vu l’émergence d’un troisième homme, la première apparition au micro de Freeman (ex-Malek Sultan) sur « Un Bon Son Brut pour les Truants » nous laissant dans la perplexité la plus totale avec sa rime énigmatique à jamais « Fixe ou je te mystifie comme un Twix ». Un mystère toujours irrésolu comme les meurtres de Biggie et 2pac. La référence cinématographique aux westerns spaghettis servira peu après pour le projet Sad Hill de Kheops. D’autres singles ont gagné leur droit à l’immortalité, IAM a évoqué des thèmes de société toujours d’actualité en narrant la réalité des quartiers, comme l’inquiétude face au péril jeune sur « Petit frère » et l’inégalité des chances avec « Né sous la même étoile ».

Vouloir devenir riche grâce au rap était très loin d’être une priorité en ces temps-là, de même que parler de sexe ouvertement, cela n’avait strictement aucun intérêt. Les lyrics ne transpiraient que de la sueur d’un vrai travail et d’une passion dévorante. Les attaques verbales étaient légions pour remettre les autres rappeurs belliqueux et des politiciens nuisibles à leur place. Cette passion, IAM nous l’a transmis comme un virus à travers leurs messages, leur musique, un virus du HIP HOP qu’eux-mêmes ont chopé comme ils le racontent parfaitement sur « Bouger la Tête » (avec cet instru jazzy qui a déboîté des nuques). Le groupe remonte plus loin dans le temps avec le smooth « Libère mon imagination » jusqu’aux origines de leur musique, dénonçant la traite négrière et des esclaves Noirs. Impossible d’oublier aussi le storytelling « Elle donne son corps avant son nom », récit d’une aventure d’un soir devenue mésaventure avec cette conclusion « plus de chèque, plus de cash, plus de liquide », ou bien « Chez le Mac » (s’inspirant du slogan de McDonald’s), métaphore filée sur la façon dont ils manipulent les syllabes. L’Ecole du Micro d’Argent comptait peu de featurings mais lesquels ! Outre les Sunz of Man, IAM ont fait appel rappeur-beatboxer des Roots, Rahzel, sur « Dangereux ». Côté français, ce sont East (paix à son âme) et Fabe de poser de redoutables couplets sur « l’Enfer ».

IAM tutoyera enfin le sommet de l’Everest avec les neuf minutes intemporelles (et sans refrain) de « Demain c’est loin », un des plus grands -si ce n’est le- morceau de rap jamais écrit, point.

Petit épilogue. En 1998, année de leur Victoire de la Musique, l’album sortira dans une superbe édition limitée, avec surtout un CD compilant des titres inédits, raretés et faces B introuvables. On y retrouve par ailleurs « Hold-Up Mental », une de leur expression phare, ainsi l’hilarant « Donne-moi le micro » dont l’EP a précédé la sortie d’Ombre est Lumière. Quelques titres solos d’Akhenaton sont présents également, notamment « Complexe » et « C’est clair je suis sombre ». IAM reviendra aux Victoires en 1999 cagoulés comme des membres du FLNC pour interpréter leur titre inédit « Independenza » ce qui aura comme effet de créer une polémique. Ce single était accompagné d’un magnifique second morceau inédit « Pourquoi Je Suis Là ».

La grande fresque marseillaise

L’Ecole du Micro d’Argent a marqué le début de l’Âge d’or du rap français diront certains, tout du moins celle de la scène rap marseillais qui a connu une expansion remarquable. De leur pyramide qui dominait la Cité Phocéenne et que les rappeurs parisiens pouvaient apercevoir depuis la Tour Eiffel, IAM a tiré vers le haut tout un tas d’autres groupes et artistes massiliens, mais pour ce déploiement massif, il a fallu d’abord créer de nouvelles structures, comme il en fleurissait beaucoup à Paris (avec le Secteur ä, Time Bomb, Hostile Records…). IAM avait fondé leur label Côté Obscur, et pour que l’entreprise impériale augmente son emprise, plusieurs membres ont créé leur propre division, celles d’Imhotep (Kif Kif Production), Kheops (Sad Hill Records) puis Akhenaton avec La Cosca. Ainsi, après Akhenaton, ont suivi -dans le désordre- les œuvres solos de Shurik’N (Où Je Vis) et Freeman (L’Palais de Justice featuring K-Rhyme le Roi), ainsi les compilations Sad Hill de Kheops et Les Chroniques de Mars d’Imhotep. Tous sont considérés comme des classiques.

En parallèle, Côté Obscur et les autres labels ont permis l’émergence de rappeurs et groupes à l’accent marseillais établissant leurs propres normes certifiées, comme le 3e Oeil (avec Hier, Aujourd’hui, Demain) et surtout la Fonky Family avec leur rap de rue qui a été couronné de succès, à commencer par Si Dieu Veut certifié disque d’or. Le Soul Swing N Radikal, un groupe très proche d’IAM, n’aura jamais connu son heure de gloire en tant que tel mais les trois membres qui l’ont composé ont obtenu chacun leur chance, notamment FAF Larage (avec le très grand C’est Ma Cause qui ne connaîtra qu’un succès critique) et Def Bond (et son album crossover r&b Le Thème). Le cinéma leur fait également de l’oeil. Luc Besson fait appel au groupe pour la bande originale culte du film Taxi, le succès du single « Tu me plais » accueilli en pleine Coupe du Monde 98, et dans une moindre mesure celle de Taxi 2 deux ans plus tard, puisque IAM ne sont que les producteurs du collectif éphémère One Shot (qui révélera Disiz La Peste et Daddy Nuttea tout en récupérant FAF Larage). Entre deux, Akhenaton passe derrière et devant la caméra pour le film Comme Un Aimant, avec la BO qui cartonnera grâce à Bouga et son fameux « Belsunce Breakdown » (mais qui ne connaîtra jamais suite).

L’histoire ne s’est pas terminée en si bon chemin, Akhenaton a continué de marcher en solo avec l’énigmatique Sol Invictus, sans parler de sa sortie Electro Cypher, électro comme indiqué. Lui et Kheops ne manqueront pas de lancer la nouvelle génération de rappeurs, les Psy4 de la Rime notamment. Et puis enfin, ce moment très redouté, la tâche difficile de concevoir un quatrième album dont on savait d’avance qu’il souffrirait de la comparaison avec L’Ecole du Micro d’Argent

Article écrit par Sagihiphop.

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