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Culture

Nekfeu au cinéma : des étoiles vagabondes et dans les yeux des spectateurs

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C’est un road-trip documentaire, une invitation non pas au voyage mais à l’errance jusqu’à la quête de sens, un objet artistique à part entière (et pas seulement un prélude d’album). Acteur principal et co-réalisateur à la fois ? On aurait pu craindre un résultat présomptueux, mais Nekfeu ne s’est pas taillé un costume de héros. Au contraire. Dans la caméra de Syrine Boulanouar, le rappeur apparait fragile, vidé, presque dangereux pour lui-même, mais profondément tourné vers l’Autre. 

Il pleut plus ou moins sur les vitres de sa voiture. Nekfeu conduit, Syrine Boulanouar l’enregistre en train de rouler. Vers où ? On ne sait pas. C’est cela la définition de vagabonder, « circuler sans but ». Il prend le virage en même temps qu’il raconte le processus de création de son album à la sortie imminente, de la panne d’inspiration invalidante au pressage en usine du CD abouti.

« Aujourd’hui j’ai joué devant 80.000 personnes et je ne me suis jamais senti aussi seul. »

Le même plan s’affiche sur la Toile géante à trois, peut-être quatre reprises, comme un fil conducteur de ce périple flou. Nekfeu a parcouru le planisphère après avoir ressenti puissamment l’urgence de quitter le vide de cette vie là. C’était l’été 2017, à la fin d’une performance XXL au festival des Vielles Charrues. La caméra suit la star des loges à la scène, où elle se présente devant la foule en feu. Plan séquence asphyxiant où l’on ressent l’angoisse, plus que ça, la détresse, le burn-out, de celui que l’on croyait cyborg inébranlable. Nekfeu, au centre de l’immense scène, tourne le dos au public déchaîné et confie face caméra, droit dans les yeux du spectateur de cinéma : « Aujourd’hui j’ai joué devant 80.000 personnes et je ne me suis jamais senti aussi seul. » Silence aux alentours de 20 heures 15 dans les 186 salles obscures de France, Belgique, Maroc, Luxembourg et Canada qui diffusent simultanément le documentaire purgatoire.

Retour à la source, décollage imminent

Nekfeu ne sait plus où poser ses yeux pour s’émerveiller. Il pense alors qu’il lui faut changer de géographie pour changer d’état d’esprit. Première étape de sa quête d’inspiration : l’île grecque de ses grands-parents. Enfin l’écran s’éclaire, grâce à la luminosité du pays ensoleillé, des sourires cabossés de ses vieux habitants, de leurs maisons blanches aux fenêtres bleues.

Sur le canapé de sa grand-mère qui ne lui décroche pas un mot, sur son Vespa à vingt kilomètres heures dans les ruelles du village familial, face à cette mer qu’il sait échappatoire et cimetière à la fois… Nekfeu parle peu, écrit peu, pense trop. Que fait-il ici à part traîner sa mélancolie ? C’est peut-être le moment de rentrer à Paris.

« Ce jour-là mon frère a pleuré. Et j’ai pleuré de le voir pleurer. On a pleuré ensemble. Et c’était mieux que de rire ensemble. »

Malédiction littéraire

Vielles histoires que celle des gens heureux qui n’ont rien à dire et celle des gens malheureux qui ont besoin d’écrire. On les surnomme les poètes maudits, ceux qui se complaisent dans leur mal-être, chérissent leurs souffrances, car elles sont leur unique source d’inspiration et de création. « Si j’étais bien dans ma tête, je n’aurais pas fait le choix d’être artiste », résume-t-il dans Takotsubo. Dépressif, Nekfeu a plus que jamais sa carte d’adhérent aux poètes maudits anonymes, mais sur les toits de Paris, il confie à Doum’s que cette noirceur ne lui permet même plus d’habiller sa page blanche. La scène est intime, filmée de loin, comme un instant volé, et finalement sauvé au montage pour son authenticité. En voix-off, sans crainte d’être impudique, l’artiste tourmenté commente l’image : « Ce jour-là mon frère a pleuré. Et j’ai pleuré de le voir pleurer. On a pleuré ensemble. Et c’était mieux que de rire ensemble. » C’est peut-être le moment de repartir vers la lumière.

Nekfeu rallume la mèche

Cette fois, il embarque avec l’équipage : Doum’s d’abord, hilarant de paresse, mais indispensable comme soutien moral, Diabi, moteur principal et révélation du documentaire, puis toute la bande de beatmakers. Plus tard, Alpha Wann et ses trois frères du S-Crew les rejoindront dans la baraque louée sur les hauteurs japonaises.

Bon, on va pouvoir s’y mettre. Nekfeu pense d’abord boucler tout l’album ici. Puis, « au moins 15 titres ». Finalement, « au moins 10 titres. » Les jours filent, mais il se rassure : « 10 titres en 10 jours, c’est largement faisable ! »

Autour de Doum’s allongé sur un matelas à même le sol (mais comment fait-il pour dormir et fumer en même temps ?), les musiciens travaillent à la tâche. Mais le principal intéressé bloque, procrastine, esquive les séances de travail avec son équipe. Plus que vagabonder, là, il fuit, paralysé par la crainte de produire du médiocre. Il se promène la nuit, découche, se trémousse dans quelques lits, frôle vaguement quelques corps, comprend-t-on sans schéma. La rigueur tue l’inspiration mais il doit être recadré. C’est Diabi, drôle et sec à la fois, qui s’en charge. Nekfeu promet : une dernière fugue et il reviendra ultra-productif. Le voilà au fond des montagnes enneigées, à la recherche d’un vieux sage. Les deux hommes communiquent dans un japonais étonnamment fluide. C’est là que l’on s’interroge : quelle est la part de réalité ici, qui incombe pourtant au genre documentaire ? La scène a-t-elle était rejouée ? Les répliques du dialogue apprises par cœur? 

Au retour de sa rencontre spirituelle, le rappeur s’isole sur les toits japonais, et à la lumière du soleil levant, se met à gratter, répète, rature, créé enfin. Il s’enferme ensuite dans une petite pièce de la villa transformée en studio grâce à quelques coussins insonorisants : FEU ! Le Nekfeu à feu doux, calme, explose tout à coup, entouré de ses frères parisiens et ses amies tokyoïtes qui dansent comme des pantins désarticulés sur ses nouveaux refrains. Les plans colorés, lumineux, s’enchaînent rapidement, crépitent : effet euphorique escompté par Syrine Boulanouar. On a tout ce qu’il faut ? C’est peut-être le moment de rentrer à Paris.

Besoin de rencontres pour se retrouver soi-même

Oui, mais il faut le fignoler cet album, le public l’attend depuis tant de temps. Il reste quelques arrangements. Et pourquoi pas les faire à L.A ? Toutes les raisons lui semblent bonnes pour déguerpir, Paris n’est pas encore tout à fait supportable. L’objectif du séjour cette fois : trouver ce jazzman réputé dans la région et lui demander d’improviser pour une ou deux outro.

Autre ville, autre rencontre artistique. À Bruxelles où le vagabond accourt, Damso l’accueille pour enregistrer l’attendu Tricheur. À la première image du binôme, la salle applaudit, les premiers rangs poussent même quelques cris.

Énième étape du périple musical : la Nouvelle-Orléans. Sublimes plans et montages signés Syrine Boulanouar où les lettres majuscules « NEW ORLEANS » affichées à l’écran sont balayées par une passante à vélo, à mesure qu’elle traverse la Toile. On croirait à du Dolan, on pense à ce plan de Mommy où le fond embrasse la forme et l’écran sert le message. Cette parenthèse pour souligner l’esthétisme de la réalisation – les plans photogéniques, le montage poétique – qui justifie à lui seul une sortie en salles de cinéma. L’ouragan Nate vient assombrir le programme de travail en même temps qu’il inspire l’artiste. À cet instant, il ressent profondément les éléments de la nature. L’expérience malheureuse devient formidable matière, Nekfeu pond sur place le texte Premier pas.

« Il faut que j’arrête de me plaindre, il y a tellement pire en ce bas-monde. Des malheurs, il y en a plein, des coups j’en ai pris mais j’suis pas mort. »

Il est temps de boucler l’album et le circuit. Retour au point de départ : l’île grecque de ses origines, qui est aussi celle où des milliers de migrants ont atterri ou péri. Et c’est là, au milieu de ces incalculables gilets de sauvetage qui tapissent le sol et qu’il tente d’enjamber comme pour respecter la mémoire des morts sans sépultures – des vagabonds qui, eux, n’avaient d’autres choix que de vagabonder – que Nekfeu retrouve sa place dans l’univers. Ces tourments s’amoindrissent illico. Il réalise, relativise, et dans un espoir soudain, se met à rapper : « Il faut que j’arrête de me plaindre, il y a tellement pire en ce bas-monde. Des malheurs, il y en a plein, des coups j’en ai pris mais j’suis pas mort. »

Le voilà prêt à remonter sur scène, capable d’éprouver de nouveau l’excitation du live, d’accueillir l’amour du public. Public plus aimant que jamais : 100.000 fauteuils rouges occupés à 20 heures.

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