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So la Lune, trajectoire d’un astre singulier

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So La Lune : pourquoi le clip de “Rodé” a été supprimé sur YouTube ?
Charlotte Steppé / @cha.step

Le 27 mai 2022, So La Lune dévoilait Fissure de vie. Plus qu’une simple mixtape, l’opus est le résultat d’une trajectoire de vie, et de carrière, hors-norme.

L’été dans le rétroviseur, les yeux sont maintenant tournés vers une rentrée chargée pour le paysage du rap francophone. Lomepal, Prince Waly, Dosseh, Binks Beatz, SDM ou encore les Saboteurs, ils seront nombreux à animer les semaines qui arrivent. Mais avant de se lancer dans cette course effrénée que nous promet le mois de septembre, on souhaitait marquer un temps d’arrêt, et regarder quelques mois en arrière.

Le 27 mai 2022, So La Lune dévoilait Fissure de vie. Et la mixtape n’a depuis, jamais quittée notre playlist. Plus incontrôlable qu’une addiction, l’envie de se replonger dedans, encore et encore, est irrémédiable. Après avoir animée notre été, cette envie ne nous quitte pas et l’on se surprend toujours à lancer “Soleil Mourant” afin de se laisser porter par les 16 morceaux qui composent le «premier vrai projet» de So La Lune, comme il l’a lui-même prêché. On finit même par se demander si cette envie s’échappera un jour, tant elle fait désormais partie intégrante de nos habitudes d’auditeurs. Alors, avant qu’elle ne s’en aille pour de bon, on souhaitait marquer un temps d’arrêt, pour tenter de capturer ce qui la stimule. Ce qui rend la musique de So La Lune si addictive. Ce qui fait de Fissure de vie, un disque à part.

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«Ils ont vu que j’peux drop un EP par semaine et y en a cinquante-deux par an, ça les a calmé»

Il est impossible de parler de Fissure de vie, sans revenir sur l’année 2021 de So La Lune, qui restera comme un invraisemblable marathon, à en faire pâlir Eliud Kipchoge, le maître de la discipline. Le rappeur lui-même ne s’y trompe pas, paraphant l’intro de Fissure de vie d’un egotrip bien senti : «Ils ont vu que j’peux drop un EP par semaine et y en a cinquante-deux par an, ça les a calmé». Conscient de l’impact de son run irréel, construit main dans la main avec VRSA Drip, son beatmaker attitré, So a joué avec les codes du streaming, réinventant le format EP.

Car en janvier 2021, So La Lune n’a alors dévoilé qu’un seul projet : le dissonant Tsuki. Mais douze mois plus tard, sa discographie en comptera sept de plus. Une année incroyablement productive, à laquelle n’est pas étrangère sa rencontre avec VRSA Drip. Pour Interlude, le producteur raconte : «J’ai rencontré So au nouvel an 2020, a La Rochelle. (…) On s’est très vite compris humainement et musicalement. Le soir même on a fait du son». Une phrase qui résume parfaitement l’état d’esprit des deux artistes.

«Le son chez nous c’est presque une maladie, poursuit VRSA Drip. Je suis obligé de faire 2 ou 3 prods dans la journée pour bien dormir, et c’est pareil pour So, il a toujours ce besoin de faire du son». Ainsi, tout au long de l’année 2021, So La Lune laissera parler sa productivité. En mars, THÉIA verra le jour. Suivi de Satellite Naturel, ORBITE et APOLLO 11. Quatre EP de cinq titres chacun, à l’identité visuelle marquante, qui poseront les bases de la musique de So La Lune. Puis, entre le mois d’octobre et le mois de décembre, le rappeur publiera une nouvelle série de projets, cette fois sous la forme d’une trilogie : 1ère faille (L’Afar), 2ème faille (Silfra) et 3ème faille (San Andreas). Et la recette est sensiblement la même. Cinq titres, une identité visuelle commune et un artiste qui continue d’affirmer son univers. En une année, So La Lune délivrera au total 35 morceaux (sans compter les freestyles). Et VRSA Drip en produira 22.

Les Comores : plus qu’une escale, le point de départ

So La Lune n’est pas un rookie. Sa musique n’est pas née en 2020. Tout comme l’année 2019 n’est pas celle de ses débuts. Non, pour retourner aux débuts de So La Lune, il faut se rendre à Lyon, au pied des tours du quartier Mermoz, de nombreuses années en arrière. «J’ai commencé le rap en CM2», confiait-il dans 3ème faille (San Andreas). Là, sur le béton de la Ville des Lumières, le jeune Verso écrit ses premiers textes, qui prennent corps sur des instrus boom-bap. Des débuts presque classiques, mais qui seront bousculés par un changement radical.

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À 14 ans, il quitte la France. Avec ses parents, il s’envole pour les Comores, sa terre d’origine, où il restera pendant quatre années. Une histoire qu’il raconte dans l’ultra-personnel “Interlune”, l’un des morceaux les plus bouleversants de sa discographie. Lors de l’enregistrement, VRSA Drip comprend très vite ce que représente ce titre : «La tracklist changeait très souvent, mais pour certains sons, c’était presque évident qu’ils avaient leur place. Quand j’ai enregistré “Interlune”, j’ai senti que c’était différent de d’habitude».

Après ça, plus rien ne sera jamais pareil. Les Comores tatoués sur le coeur et dans le cerveau, So La Lune est né. Et c’est dans la culture de son île qu’il façonne son rap, empruntant son nom à celui même de ses terres, l’île de La Lune. Sa plume est aujourd’hui l’une des plus reconnaissables du paysage, dessinant les contours des Comores, racontant le quotidien d’un jeune bousillé par la musique et assistant, impuissant, au naufrage de ses ainés : «Hier j’ai parlé à un grand, Qui était en train d’parler à un banc. Il m’dit qu’on voit pas passer le temps. J’ai vu maman cacher ses cheveux blancs. Tous les jours au quartier, y a pas un plan. Faut nous voir on y croit même pas un peu».

Auto-références, mélancolie assumée et émotions décomplexées

L’écriture de So La Lune se nourrit d’elle-même, et ce, depuis ses débuts. Plus que de simples surnoms (Tsuki, Sorcier), ce sont des phrases, des formules, des images, désormais imprimées dans notre imaginaire d’auditeur, qui la composent. Symbole de cet auto-référencement, le nom de sa mixtape, qui plane au-dessus de la musique de So La Lune depuis “Fissure de vie 23”, son tout premier morceau. Difficiles à quantifier, impossibles à lister, ces auto-références rendent le rap de So singulier. Si unique, mais pourtant influencé par des artistes qui ont bouleversé le rap francophone à tout jamais.

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«J’écoute “Je vis je visser” de base c’était niché», clame t-il dans “Range Ro”. Une phrase loin d’être anodine. En effet, So La Lune fait partie de cette génération de rappeurs que la musique de PNL a influencé. Ademo et N.O.S, ont décomplexé les émotions dans le rap francophone. Ensemble, ils ont prouvé que la mélancolie ne se racontait pas que sur des boucles de pianos. Que l’économie des mots est parfois plus impactant que les belles formules. La brutalité des émotions, plus parlante que la poésie de l’écriture. Depuis lors, cette mélancolie a pris une place à part dans le rap francophone, d’autant plus grâce à cette génération post-PNL. Zinée, Khali, Bakari, So La Lune… Tant d’artistes qui ré-inventent la mélancolie à chaque morceau, et dont l’influence des frères des Tarterêts est palpable.

Mais chez So La Lune, la souffrance n’est pas que lyrique. Elle est aussi vocale, sa voix écorchée et sa recherche infinie de nouvelles mélodies donnant une toute autre dimension à sa mélancolie. Morceau après morceau, So La Lune impressionne, renouvelant encore et encore ses flows, et amenant son empreinte vocale toujours plus loin. Certes, cela peut parfois déstabiliser. Mais une fois l’oreille habituée, on ne peut en sortir. Décomplexé, on se demande jusqu’où So La Lune pourra emmener sa voix.

Fissure de vie : un projet pour l’éternité

Voilà ce qui compose le rap de So La Lune. Ce qui le rend si attachant. Ce qui nous pousse à y retourner dès qu’on ne sait quoi écouter. Tant d’éléments qui font sa force, mais qui aurait pu faire sa faiblesse. Il y a encore quelques mois, à l’orée de la sortie de Fissure de vie, certains doutes étaient permis. Comment So La Lune peut emmener sa musique encore plus loin ? Comment peut-il encore nous surprendre après avoir dévoilé trente-cinq morceaux en l’espace de douze mois ? Son potentiel vocal peut-il atteindre des limites infranchissables ?

Ces doutes, So La Lune les a balayé d’un revers de la main, livrant un opus conséquent, qu’on se plait à redécouvrir à chaque nouvelle écoute. Si l’on a déjà parlé de “Interlune”, on voulait aussi s’arrêter sur “Éternelle 2”. L’histoire d’un coeur brisé, magnifiée par une instrumentale spéciale de VRSA Drip : « C’est une prod spéciale à mes yeux, c’est un mélange de plusieurs influences, explique t-il, toujours pour Interlude. J’ai fait un petit clin d’oeil à “Bonhomme de neige” au niveau de la structure (avec un drop bien tardif) et je voulais frapper encore plus fort dans la mélo et les drums. La différence c’est qu’on s’y attend moins dans “Éternelle 2”. Mon but était d’avoir un son à la fois mélancolique, qui prends aux tripes, mais aussi énergique, presque violent». Et le tour de force est réussi.

Aussi, So La Lune a surpris son monde. Lui qui nous avait habitué à rester en famille, que ce soit avec Rouge Carmin ou Elh Kmer notamment, a invité DA Uzi et Captaine Roshi sur Fissure de vie. Des choix qui mettent en exergue sa volonté de voir plus loin et de mesurer sa musique à celle de ses pairs. Des choix qui semblent finalement logique, tant les points communs entre So et ses deux invités sont légions. Peu de rappeurs peuvent se targuer de romancer la rue comme DA Uzi le fait. Peu de rappeurs peuvent se targuer de maîtriser leurs voix et de la pousser comme Captaine Roshi le fait. Mais So La Lune, lui, en est capable.

En l’espace de seize morceaux, So a façonné un projet pour l’éternité, qui vivra aussi longtemps que La Lune tournera autour de La Terre. Amenant son rap encore plus loin, livrant des mélodies encore plus surprenantes, faisant preuve d’un travail sur sa voix toujours plus poussé, continuant de nourrir sa plume de son propre champ lexical, et étirant un univers toujours en pleine expansion. Le rappeur a toujours les mêmes démons, l’alcool en tête, et tout n’est pas parfait, et ne le sera sûrement jamais. Car So La Lune a traversé des choses sur lesquelles il semble encore avoir du mal à mettre des mots. Des choses qu’il se surprend à avouer à moitié, oscillant entre une pudeur protectrice et une introspection curatrice.

Enfin, il est impossible de parler de Fissure de vie sans mentionner le superbe travail de Charlotte Steppé. La photographe s’est occupée de l’identité visuelle de la mixtape, un paramètre qui pouvait encore en rebuter certains, hésitants à complètement se pencher sur So La Lune. Photographiant le rappeur dans les îles Canaries, la photographe a réussi, elle aussi, à donner une nouvelle dimension à l’univers de l’artiste, pour notre plus grand plaisir.

 

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Un futur brillant

S’il a réussi à prendre une nouvelle dimension avec Fissure de vie, il reste beaucoup à explorer à So La Lune. Son projet commun avec Winnterzuko, teasé depuis quelques semaines, tend dans ce sens, l’artiste masqué étant capable d’amener Tsuki sur des terrains musicaux encore inexplorés. Récemment, ce fut le cas sur l’excellent “Link Up”, extrait d’Oblivion, le dernier projet de Zoomy, intégralement produit par Abel31.

Sa voix aussi ne semble pas avoir encore été totalement poussée à son paroxysme, et il nous reste encore beaucoup encore à en apprendre sur So La Lune. On ne peut que lui souhaiter de vivre et de continuer à faire grandir son rap. Récemment validé par SCH ou PLK, son potentiel semble infini et les seules limites que So semble avoir sont celles qu’il s’impose lui même : «La limite c’est pas le ciel. La limite c’est quand tu peux plus faire rentrer». Oui, le futur s’annonce brillant. Et en attendant d’y être, on se relancera Fissure de vie, autant de fois qu’il le faudra.

Fissure de vie – So La Lune

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