Musique
« Surcoté » de Dinos : le succès est-il dur à vivre ?
Dans « Surcôté », Dinos évoque les affres de sa célébrité. Argent, amitié : il livre au public les mauvais côtés de sa nouvelle aura.
Au football, être surcôté, c’est avoir une image bien plus flatteuse que son niveau réel, selon certains. Quelques gestes techniques de classe qui font oublier les déchets dans l’animation offensive. Une valeur marchande à plusieurs dizaines de millions d’euros malgré un compteur de but à zéro. Une saison à 40 buts gâchée par un penalty manqué en coupe d’Europe. Le dernier exemple le prouve : la « surcôte » passe par la spontanéité, le culte de l’instant. Elle est indéniablement liée au succès, à l’explosion. Car être « surcôté » par certains, c’est aussi être admiré par d’autres. Et c’est ce que tente de définir Dinos, en marge de Stamina, memento, via différents prismes.
«Même si je vends pas de disques, j’ai du biff»
Être surcôté, c’est se heurter à de nouvelles problématiques. Entrer dans de nouvelles sphères sociales et découvrir la fortune.
Dans ce texte, Dinos insiste d’abord sur l’amitié, truquée par la célébrité. Le refrain scandant : «J’ai perdu un ami», à chaque fois pour une raison différente, est là pour marquer le coup. Il évoque également son neveu, lui posant nombre de questions sur les rappeurs qu’il côtoie, comme s’il avait du mal à réaliser le succès de son oncle. Comme si c’était quelque chose d’impossible, de surréaliste. Dans le deuxième couplet, Dinos parle d’un ami, avec qui il s’est brouillé mais «qui lui manque», et lui souhaite de s’en sortir : «J’espère que Dieu te protègera parce que j’sais bien que tu t’protégeras pas».
Vient enfin la question de l’argent, qu’il désire et qu’il est satisfait d’avoir, mais avec une pointe d’amertume, comme un mal nécessaire. «J’regarde les anciens et j’étudie, te-ma mon deal chez Adidas gros». Dinos est en effet depuis un an l’égérie d’Adidas. Et il a même récemment lancé son propre maillot de foot avec la marque, celui du « FC Dinos ». Dans la phrase qui suit, «Même si je vends pas de disques, j’ai du biff», l’intonation du mot « biff » très appuyée, marque plutôt la tristesse que la joie et la célébration. On en revient à ce qu’il disait à la fin de « XNXX » sur Taciturne : «On a du biff, tu vois. J’ sais pas si on est vraiment heureux, mais … Même si c’était pas à refaire, moi je le referais. Ouais je le referais, ouais, direct.»
Il a besoin de le répéter, preuve qu’il hésite tout de même un peu. Mais il explique qu’il le referait, et assume son choix. L’argent ne fait pas le bonheur, comme le dit l’adage. Et Biggie le chantait déjà en 1997 (sur un ton certes plus festif): «Mo money mo problems». Si la réussite et l’argent vous élèvent dans la société, elle vous coupe aussi en même temps du monde.
Prison dorée et authenticité
Être surcôté, c’est prendre conscience de son évolution, sous toutes ses formes.
Le thème de la prison dorée de la célébrité est assez classique dans le rap. Damso l’avait évoqué récemment dans la deuxième partie du morceau « PASSION » : «La vie de star est un milieu carcéral de luxe». PNL de façon plus terre à terre dans « Naha » : «Nique ta célébrité, nique ton buzz». Ou encore Nekfeu qui a carrément fui la France pour plus de tranquillité. Évoquant Tokyo, il déclarait dans « Premiers pas » : «Est-ce pour ça que j’aime tant cette ville/ Ou bien parce qu’ici je ne suis personne ?» Nombre de rappeurs connaissent les mêmes difficultés, après avoir connu la réussite. Mais chez Dinos, le problème semble plus profond.
Dans Stamina, memento, ce morceau est placé à un moment d’introspection profonde, entre « Serpentaire », en collaboration avec la voix fragile et cassée de Lossapardo qui se demande s’il a «le cœur qui bat ou qui tremble», et le premier morceau de « Stamina », « Diptyque », qui commence par la phrase : «J’ai pas la conscience tranquille mais j’ai les poches pleines». L’argent ne fait certes pas le bonheur, mais il rassure, lui fait dire qu’il a quand même choisi la bonne voie. C’est un fil rouge, tout au long de sa carrière et surtout depuis qu’il connaît le succès.
Et dans sa carrière, ce moment de partage de ses ressentis aux fans correspond à un tournant radical pour Dinos. Il faut quand même se rappeler qu’il ouvrait son premier EP, en 2013, sur un morceau qui s’appelait « Un trop » (!) avec la phrase : «Certains veulent que je m’éteigne, d’autres veulent m’allumer». Et derrière cette écriture maladroitement amusante, qu’on lui a d’ailleurs beaucoup reprochée, on retrouve ironiquement la même problématique que dans « Surcôté », avec beaucoup plus d’authenticité.
Dinos conclut un cycle
Être surcôté, c’est accepté de ne plus être «celui que tout le monde aime bien, mais qui n’vend pas beaucoup de skeuds».
Taciturne, sorti en novembre 2019, s’était vendu à 7.815 exemplaires en première semaine, pour être tout de même disque d’or un an après. Stamina, sorti en novembre 2020, a écoulé 23.236 ventes en première semaine, et a été certifié disque d’or en janvier 2021, soit seulement deux mois après sa sortie. Au-delà des chiffres eux-mêmes, cela montre la conquête d’un nouveau public. Sans doute touché par son discours plus intimiste. La fin d’un cycle, qu’il a amorcé trois ans plutôt, et que Stamina, l’endurance, se devait d’aborder.
La trilogie s’est entamée avec un changement de nom. Depuis Imany, ce n’est plus Dinos Punchlinovic qui rappe mais seulement Dinos. Plus simple, plus sobre, plus sincère sans doute. Comme ce « Surcoté » en est l’apogée. Ce terme résume à lui seul le côté paradoxal du succès, le décalage qu’il peut engendrer entre un artiste et son public, voire son entourage proche. Dinos explique souffrir de son image auprès d’une certaine partie du public, au point qu’il ne puisse pas «fêter son premier disque d’or», «à cause de leurs critiques». Cette introspection faite, ces commentaires encaissés, il faudra désormais prendre le temps pour Dinos et son équipe de savourer le platine prochain de Stamina, memento.
Sur ce même album, Dinos avait également fait une collaboration avec une chanteuse canadienne à succès, méconnue en France