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Elisa Parron : «Le rap et le football, ce sont des milieux qui font rêver plein de personnes»

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Photographe incontournable des scènes football et rap, Elisa Parron publie son premier livre-photos Numéro 10. Elle nous en a parlé. 

Du numéro 10 de Booba sur la scène de Bercy à celui de Neymar au dos de la tunique parisienne, il n’y a qu’un objectif. Celui d’Elisa Parron, précisément. Voilà près de dix ans que la talentueuse photographe donne vie aux scène du Parc des Princes et aux plateaux des plus prestigieux rappeurs français. Toujours discrètement nichée derrière les filets, ou à côté de Nekfeu ou Orelsan, elle capture avec justesse et brillance de puissants instants de vie. Désormais renommée, elle a réuni ballon rond et micro au coeur de Numéro 10, un livre-photos où l’on découvre son riche travail. Un travail d’infiltration, décrit Elisa Parron, qu’elle nous a raconté au coeur d’un entretien.

À quelques jours de la sortie de ton livre, comment ça va ? Est-ce que tu peux ressentir ce que ressentent les artistes à quelques jours de sortir leur album ? 

J’ai l’impression que je comprends un petit peu ce que certains artistes peuvent se dirent. J’en parlais d’ailleurs avec Younes, un artiste qu’on a signé dans notre label RILESUNDAYZ, je lui disais : « Ah ouais, c’est ça quand vous avez un projet qui sort ». Je suis hyper excitée c’est clair, j’ai hâte que les gens puissent voir les photos, même si la plupart sont plus ou moins sorties car je les ai postées. Ça fait quand même plus ou moins huit ans que je travaille ces photos-là.

Même si elles sont déjà sorties, c’est une lecture différente quand même avec le livre ? C’est la première fois que tu fais du print ?

Là c’est réel, l’object existe, c’est pas juste une collection internet. J’avais fait trois expo, dont une avec le Paris Saint-Germain et en suite j’en ai fait une qui s’appelait déjà « Numéro 10 ». Et en m’en souvenant, j’avais adoré faire ça parce que tu vois les gens pour de vrai. Ce n’est pas juste des likes ou des commentaires, c’est réel. Ce sont de vraies personnes qui aiment ce que tu fais et qui, grâce à ça, leur donne envie de faire autre chose. C’est hyper flatteur.

«Ce n’est pas forcement comme je me l’étais imaginé. Il n’y rien de négatif ou de positif, c’est juste qu’on ne peut pas se l’imaginer tant qu’on n’est pas dedans»

Dans la préface tu écris : « J’ai réalisé qu’en m’infiltrant dans cet univers, j’avais l’opportunité d’en découvrir les coulisses ». Cette notion d’infiltration est assez commune dans ce milieu, comment ça s’est passé pour toi ? 

À la base, ce n’était pas mon but de m’infiltrer. J’étais en école d’art, je voulais faire des photos, donc c’était juste ça mon but. Puis petit à petit en traînant avec certaines personnes, tu vois qu’ils te font complètement rentrer dans leur univers et n’étant pas rappeuse ou footballeuse, je n’y aurais pas eu accès. Il y a très peu de personnes qui deviennent rappeur ou footballeur donc je me dis que je me suis vraiment infiltrée dans ces milieux-là. Maintenant je sais comment ça se passe, c’est hyper passionnant. Ce n’est pas forcement comme je me l’étais imaginée. Il n’y rien de négatif ou de positif, c’est juste qu’on ne peut pas se l’imaginer tant qu’on n’est pas dedans. Ça te fait relativiser, car ce sont des milieux qui font rêver plein de personnes, mais j’ai cette personnalité où je n’ai jamais été fan de quelque chose ou de quelqu’un donc ça m’a vraiment conforté là dedans. C’est juste des gens, des messieurs, des mesdames, qui travaillent comme tout le monde.

Et c’est quoi le plus compliqué : gagner la confiance d’un artiste ou d’un footballeur ? 

Ça dépend des personnalités, mais j’ai envie de dire que footballeur c’est peut-être un peu plus compliqué étant donné que quand je travaille dans le milieu du foot, je travaille pour un club, pas pour un joueur en particulier. Alors que dans la musique, je suis quasiment toujours passée par les artistes, je n’ai pas bossé pour des labels ou des médias, donc naturellement, la relation de confiance a dû se faire pour qu’on me laisse rentrer. Et elle s’est fortifiée avec le temps.

Dans le foot, j’étais là, mais les footballeurs ne le savaient pas forcément, juste ils ont vu une meuf débarquer qui les prenait en photos et qui leur envoyait. Ils étaient là : « Ah, c’est cool ». Mais après, avec certains joueurs, il y a la barrière de la langue. Puis ce sont des stars internationales ! Ils ont l’habitude de collaborer avec des gens. Mais tu sais, c’est un peu cruel le monde du foot. Ils restent trois ans dans un club, puis partent à l’autre bout du monde, donc c’est plus dur de créer une relation de confiance plus profonde qu’avec un artiste avec qui tu vis, tu voyages, etc… 

Elisa Parron

Elisa Parron

Surtout que les artistes et les footballeurs n’ont pas forcément le même regard sur le photographe. Le footballeur est dans son match alors que l’artiste peut plus facilement jouer avec les regards vers l’appareil.

C’est clair. L’artiste c’est lui qui m’engage, il sait que je prends des photos pour ses réseaux, donc forcément il joue le jeu pour avoir la photo un peu iconique. Alors qu’un footballeur il doit tellement ce mettre dans une bulle, il est dans un stade énorme, il n’y a pas que moi : il y a pleins de journalistes, photographes. S’ils marquent un but et qu’ils sont sur la droite, ils vont célébrer sur la droite donc toi si tu es à l’autre bout, tu n’as pas le temps de courir et tu n’as pas réussi à choper la photo.

Tu shoot beaucoup la joie, est-ce que tu arrives aussi à immortaliser des moments plus triste, d’énervement ou de déception ? On voit rarement de photos dans les vestiaires par exemple.

Avec les footballeurs, si le mec se blesse, a mal et doit sortir par exemple, je vais shooter car ça fait partie du jeu. Un mec qui hurle, c’est spectaculaire. Les vestiaires, c’est un sujet hyper controversé entre les clubs et moi, car j’ai toujours demandé à y avoir accès, et ils me l’ont toujours refusé car je suis une femme. Ils m’ont dit : « Mais tu sais dans les vestiaires, à la fin d’un match, si les mecs ont gagné ils sont super euphoriques, c’est compliqué ». Bref, ils m’ont toujours dit non. Du coup je respecte, il n’y a pas de soucis, c’est leur politique, peut-être qu’un jour ça changera.

Pour les rappeurs, ça dépend. Quand un concert va être un peu raté ou qu’il y a eu un problème, je n’ose pas trop sortir mon appareil, car pour les artistes ça doit rester un peu perso, ils n’aiment pas le partager. Comme je viens pour témoigner en image, en général ils n’aiment pas trop et je n’ai jamais eu ce reflex. J’ai déjà eu des artistes qui sont sortis de scène énervés, ils balancent leur micro ou des chaises. Juste j’esquive les trucs (rires).

 

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Tu as une série de photos de Booba à Bercy en 2015 qui est incroyable, dans les remerciements tu cites Anne Cibron, (NDLR la manageur de Booba et Orelsan), tu peux me parler de ta relation avec elle ? 

Anne je la rencontre au Francofolies de La Rochelle, je travaille déjà avec les Casseurs Flowteurs à ce moment et elle avec Orelsan. Elle est là et petit à petit on se parle un peu et elle est hyper sympa. Je lui montre des photos de Booba que j’ai prises à un showcase quelques mois avant. Elle les trouve stylées et elle lui a envoyé. Assez naturellement, elle a quelque chose de très maternelle, en tous cas, en tant que jeune fille à ce moment-là, je l’ai senti vraiment hyper protectrice. Elle m’a rapidement proposé d’aller boire un verre pour qu’on discute car je voulais shooter Booba. Je lui ai expliqué ce que je faisais, d’où je venais, elle était hyper touchée et trouvait ça bien de voir des jeunes filles faire ça. 

Notre relation a commencé à évoluer à ce moment là et c’est aussi devenu la manageuse de Nekfeu au moment où je bossais avec lui donc c’est devenu ma manageuse naturellement. Elle bossait avec Orel, moi aussi, elle bossait avec Nekfeu, moi aussi et puis c’est un peu la première qui m’a demandé : « Mais tu es payé pour faire ça ? ». Je lui dis que non et elle trouvait pas ça normal. C’est la première qui m’a défendu, qui m’a expliqué que mon travail méritait salaire, qu’il fallait négocier avec les tourneurs, avec le Paris Saint-Germain. Donc je la remercie pour plein de choses. Elle a beaucoup donné de sa personne pour moi, elle m’a ouvert beaucoup de portes et elle m’a jamais demandé de la payer. Elle me négociait des deals sans prendre de pourcentage, elle a toujours été hyper ouverte et hyper gentille sans rien attendre en retour. Ensuite, j’ai shooté Booba sur sa tournée des Zéniths qui finissait sur une Bercyn puis il y a eu MHD qui faisait sa première partie donc tout est lié. 

«Quand tu arrives dans un concert de Booba, du premier au dernier mot, tout le monde connait tout par coeur»

Elisa Parron

Parle moi un peu de ce Bercy 2015, quel sentiment tu as quand tu photographies un rappeur comme Booba sur scène ?

Booba, pour moi, c’est un artiste hors catégorie car il a une longévité de ouf. Ses fans ont grandi avec lui et peu importe si aujourd’hui il fait des choses un peu discutables, il nous tous tellement accompagné pendant longtemps. On a tous des délires avec ses sons. Quand tu arrives dans un concert de Booba, du premier au dernier mot, tout le monde connait tout par coeur et ça je ne l’avais jamais vécu. Il pourrait ne pas chanter que les gens feraient le concert à sa place. Et tu as ce truc aussi où Booba est super grand, super imposant mais en fait quand tu es dans sa team et qu’il te fait confiance, il te fait vraiment confiance.

Il ne voulait pas de tour bus donc on prenait le train, on était une équipe de 5-6 personnes. Tu dors dans le même hôtel limite il vient toquer à ta chambre en mode : « Venez on va petit dej’ ». Il est hyper open. Et quand je lui demande s’il y a des endroits sur scène où il préfère que je me place, il dit : « Tu te mets où tu veux, même derrière moi, il n’y a pas de problème ». Quand il fait confiance, il fait confiance. On dirait que c’est un gros méchant, mais à côté de ça il est vraiment gentil. J’espère que je pourrais continuer à faire des scènes avec lui car c’est une expérience de fou. 

 

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Comme tu partages tes photos principalement sur Instagram, si on scroll ton feed, on voit que ça suit la tendance des formats, d’abord des carrés puis maintenant en paysage. Il y a aussi le traitement de l’image, à l’époque on mettait beaucoup de filtres, aujourd’hui beaucoup moins. Comment tu t’adaptes à ces esthétiques guidées entre autres par les codes de la plateforme ?

Au début, vu que c’était que carré le format sur Instagram, sur certaines photos ça passait mais sur d’autre on devait faire des restrictions, on n’avait pas le choix. Si une photo ne passait pas en carré, on mettait des bords blancs par exemple. Après, c’est clair que concernant les filtres, pour le livre, j’ai du retrouver les fichiers originaux pour les éditer différemment car des fois je n’aimais pas, c’était trop sur-chargé. C’était trop « Instagram ». Aujourd’hui, mes photos sont toujours éditées mais plus légèrement, il n’y a pas de couleur chelou. On a dû s’adapter, mais tant mieux, car ça m’a fait me rendre compte que des fois c’était trop. C’était plus Instagram qu’artistique.

Pour finir, je voulais revenir sur ton rôle au sein du label RILESUNDAYZ, j’ai l’impression que tu as un peu pris un rôle de DA, comment tu fais cette transition de photographe de l’instant, du moment de vie à une mise en scène pour une cover par exemple ?

Avec Rilesundayz c’est une collaboration, on s’écoute tous, quand on doit faire une DA, tout le monde est autour d’une table et propose des idées. Donc c’est ça que j’adore, je ne suis pas trop du style à dire : « Ouais il faut faire ça comme ça, j’image ça, etc… ». Par contre, je veux que ça parle à tout le monde, que les gens kiffent et surtout on défend mieux les choses si on y participe.

C’est sûr que j’ose un peu plus m’exprimer qu’au début de ma carrière où je prenais juste des photos et je partais, là c’est beaucoup plus un échange, tu vois que les gens t’écoutent, ils te font confiance, je me sens plus légitime et libre d’exprimer mes idées. Il y a aussi le premier photographe de Rilès, Victor Laborde, on fait beaucoup de chose ensemble, on shoot des fois tous les deux en même temps. On collabore beaucoup ensemble, c’est ça que j’aime. Puis surtout, chacun apporte ceux sur quoi il est fort. Il y a un échange qui est humain avant tout et c’est ça que je kiffe. 

NUMERO 10, le livre photos d’Elisa Parron sur le foot et le rap est disponible en édition limité sur son site

 

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