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M le Maudit : «Un rappeur ça reste un être humain, un être imparfait»

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M le Maudit : "Ecrire c'est ma psychanalyse"

M le Maudit a dernièrement sorti Poème poison : il nous a racontés les divers fragments qui composent son projet. 

Deux ans après son dernier projet, marqué par de vives névroses entremêlées, avec les tourments d’un passé marquant et d’un présent malléable, M le Maudit revient avec Poème poison. Un nouveau projet, qui conserve cette ambition de dépeindre sa réalité. Après nous avoir plongé dans son psychisme, le rappeur du 19ème arrondissement nous invite dans une douce balade de 22 minutes à Stalingrade, son quartier. De quoi découvrir son parcours, tantôt poison, tantôt poème.

M le Maudit, on se retrouve pour la sortie de ton troisième EP Poème poison, comment tu te sens ?

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Je me sens bien, je me sens comme si mon bébé allait naître.

Il a une valeur particulière par rapport aux autres projets que tu as pu sortir ?

Non pas spécialement. J’aime tous mes projets comme mes enfants. Là, c’est juste mon troisième enfant. Je suis juste content parce que ça va sortir et les gens vont pouvoir entendre mon évolution.

Tu reviens après deux ans sans sortir de projet, le déplacement de la colline du crack vers Stalingrad (ton quartier), le décès de Népal et de So Clock, le confinement, comment as-tu construit Poème poison au milieu de tous ces évènements ?

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Je n’en sais rien, c’est une bonne question. Je l’ai fait, c’est tout. J’avais besoin de sortir de nouveaux morceaux et ça peu importe les circonstances. On est des artistes. Au-delà de ça, il fallait sortir de la musique pour avancer dans la vie. Le projet en parle pas mal, mais c’est logique, c’est traumatisant. C’est sûr que c’est revenu plein de fois et que dans le prochain projet ça reviendra encore. C’est ce qui m’entoure et ce que je vis, donc je le retranscris. Les choses positives ou les choses négatives, on retranscrit juste.

«Si je voyais plus de chevaux et d’alouettes, je te jure que j’en parlerais plus»

Poème poison sort donc deux ans après I Hate Love, un projet où tu te battais avec tes démons. Dans ton nouvel EP, tu parles d’un autre type de démon, le crack et ses victimes. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Je n’ai pas fait ce choix, c’est juste que je retranscris ce que je vis. Au moment de I Hate Love, j’étais un peu plus sombre, un peu plus torturé. C’est pour ça que je racontais des trucs plus sombres. Ce n’étaient pas les mêmes choses qui me travaillaient qu’aujourd’hui. Si tu écoutes ma musique, tu vas comprendre ce qui m’entourait sur le moment. Je ne choisis pas.

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Pourtant, un problème comme le crack et la toxicomanie, dans le 18ème et 19ème arrondissement, était déjà présent avant le démantèlement de la colline du crack. Pourtant, ce n’était pas un thème récurrent dans ta musique. Pourquoi cette prise de conscience aujourd’hui ?

À l’époque, il y avait des crackers dans le 18ème et le 19ème mais c’était plus concentré sous le périph’, donc c’était moins cramé, même si on le voyait. Mais maintenant, ça se passe en bas de chez moi, je ne peux pas l’esquiver. On me le met sous le nez, donc j’en parle. Si je voyais plus de chevaux et d’alouettes, je te jure que j’en parlerais plus.

Déjà à travers I Hate Love, on pouvait se rendre compte de ton coté très contemplatif sur la vie et la condition humaine. Avec quel œil tu observes les dérives liées au crack ?

Je l’ai observé d’un œil plus naturaliste, je décris ce qu’il se passe. Je n’ai pas fait trop de jugement de valeur. J’explique juste que la drogue détruit le quartier, mais je sais que c’est plus compliqué que simplement le fait de prendre de la drogue et que « ce n’est pas bien ». Il y a des mécanismes bien plus complexes derrière. Je ne le vois pas d’un œil critique, ni d’un bon œil, je me contente d’analyser les faits.

Comment as-tu choisi de nommer ton projet Poème poison ?

Le « Poème », c’est parce que j’écris et que je fais de la poésie, entre guillemets, et le « Poison », c’est par rapport à ce qui m’entoure. Et au poison qui détruit le quartier, mais c’est aussi le drogue que je consomme. C’est le poème à propos des poisons en général et ses conséquences.

«Poème poison, c’est la bande originale de ma vie»

Au-delà de ton environnement, comme un poison, est-ce que le poème peut aussi être le poison (le poème qui est le rap concrètement) ?

Oui c’est une sorte de poème empoisonné. Dès que tu vas entendre Poème poison, tu vas avoir le poison qui entre en toi. On parle de choses un peu ténébreuses, qui peuvent te gangrener.

On sait que t’es aussi un fan de cinéma, cet EP démarre sur des témoignages de toxicomane, d’habitants et de politiques, est ce que Poème poison est la BO de ta vie dans le 19e ?

Je l’ai pas pensé quand je l’ai fait, mais c’est sûr que si t’écoutes du M le Maudit, dans ce quartier ça aura tout son sens. J’y avais pensé mais c’est sûr que c’est la BO de ma vie. Dans I Hate Love, j’étais plus focus sur ce que moi je ressentais, à l’intérieur de moi. Et sur celui-là, je suis focalisé sur comment j’interagis avec le monde extérieur et sur comment ce monde extérieur interagit avec moi.

Dans une interview récente avec Roms, qui lui aussi a grandi dans le 75, il me disait que les gens qui ont vécu dans les coins défavorisés de Paname intramuros, ont une autre approche différente de la débrouille liée au capitalisme et à la confrontation directe entre richesse et pauvreté. Qu’est ce que tu en penses ?

Il a mis le doigt sur quelque chose d’intéressant. À l’époque, ceux qui avaient mis le doigt là-dessus, c’est la Sexion d’Assaut. Moi, j’avais kiffé parce qu’ils disent : « On habite près des quartiers chics ». Ils habitaient dans des chambres de bonnes, avec des salaires ridicules, c’était vraiment la hess. Mais juste en sortant de chez eux, ils pouvaient voir une autre vie. Ils disaient que ça foutait encore plus la rage de voir ça, alors que tu n’as rien, plutôt que d’être au milieu de plein de gens de la même classe sociale que toi.

On sait que tu connais très bien tes classiques, tu as poncé l’Âge d’or du rap français, comment as-tu réussi à t’affranchir de tes premières influences ?

Premièrement, quand j’ai écouté des rappeurs de « l’Âge d’Or », j’avais entre 12 et 16 ans. En vrai, c’est une époque formatrice. Même si je ne fais plus trop ce genre de rap, ça va se retrouver en moi quelque part. Même si je ne fais plus de « boom bap », il y a des placements, des idées, des thématiques qui vont rester. Deuxièmement, ça me rend vite fou de faire tout le temps la même chose, j’ai l’impression de stagner, j’aime bien tester de nouvelles choses.

Aujourd’hui, le rap est devenu accessible à tout le monde, tout le monde peut rapper comme il l’entend, au point que c’est devenu difficile de donner une définition stricte au rap tant il y a de rappeurs aux flows et univers unique. On peut t’inclure dedans, au même titre que des gars comme Laylow, Di-Meh, Slimka et beaucoup d’autres. Est-ce que tu penses qu’on est dans un nouvel Age d’or du rap ?

C’est avec le temps qu’on pourra déterminer ça, il nous a fallu 20 ans pour savoir ce qu’était l’Âge d’or du rap français. Mais c’est vrai qu’il y’a des p*tain de talents. Sur le marché, il y a beaucoup de propositions, c’est une très belle époque pour être rappeur. Tu peux faire de l’argent, c’est beaucoup plus accessible. Aujourd’hui tu fais ton son chez toi, tu le distribues seul et tu peux faire un clip vite fait. C’est bien, parce que n’importe qui peut tenter un truc. Avec du talent, ils peuvent le faire. Mais il y a aussi des gens éclatés, qui peuvent le faire, mais ce n’est pas grave.

«Aujourd’hui, les gens qui choisissent vraiment, c’est le public et plus des c*nnards dans des bureaux»

On est même dans une période où le rap dans sa forme originelle, très kické, revient à la mode avec des profils de plus en plus influent comme Alpha Wann, Dinos ou Freeze Corleone.

C’est pour ça que je te dis qu’on est dans une belle époque pour être rappeur. C’est beau de ouf. Ce genre de profils, il y a quelques années, ça aurait été compliqué pour eux sans le streaming. Et je te parle de ça en me comptant à 15.000% dans ce genre de profils. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus logique et beaucoup plus simple de pouvoir accéder à son propre public par Internet. Les gens qui choisissent vraiment, c’est le public et plus des c*nnards dans des bureaux. Il y a 15-20 ans c’était pas du tout ça.

D’ailleurs tu as posé sur de la drill dans « Crack Poésie » et « Braquage », tu pourrais nous expliquer le lien entre ces deux morceaux où tu parles crument de la réalité qui t’entoure ?

Déjà le premier lien entre les deux morceaux c’est le producteur, Epektase, qui est extrêmement talentueux. La réalité c’est que j’avais envie de parler des choses de manière simple, sans tournure, d’être logique, j’ai dit aussi pas mal de truc que j’avais sur le cœur. A chaque fois que j’écoute une prod je me demande ce que ça m’inspire et là ça m’inspirait de cracher tout simplement ce que j’avais en moi.

« Sex Focus », « Crack Poésie », « Galiano », « Larme de diamant », et « Khedira », sont tous sortis avant Poème poison, pourquoi aucun n’apparait sur le projet ?

C’est de la stratégie, il faut sortir des morceaux, mais il faut aussi être logique. Je ne pouvais pas sortir un projet de 15 titres, donc il fallait que je sélectionne les sons vraiment particuliers, et ceux que je kiffais de ouf mais que je ne pouvais pas intégrer dans le projet. Les gens ne savent pas mais derrière il se passe beaucoup de choses. C’est compliqué de sortir des morceaux, de bien les sortir, dans de bonnes conditions.

On retrouve aussi Caballero sur « 10K », un morceau détonnant, avec un énorme passe-passe sur le refrain. Comment vous avez travaillé ce son ?

Je suis monté à Bruxelles, il m’a fait écouter une prod de Dee Eye, je me suis dit : « Ouah c’est le feu ». À partir de ce moment-là, on a écrit le morceau. On l’a fait sans prise de tête, on a fait le morceau, le clip et ça a donné ça. Caba, ça fait très longtemps que je suis ce qu’il fait, ça fait longtemps que je suis fanatique et puis ça fait aussi longtemps qu’on parlait de faire un truc ensemble. Mais ce combat de boxe, je n’aurais pas pu le remporter plus tôt. J’attendais un peu d’avoir un meilleur crochet, un meilleur uppercut, ce moment est arrivé et je suis assez fort pour pouvoir amener Caballero sur un son et rapper avec lui. Je suis archi content et archi fier de l’avoir ramener sur un son, ça fait toujours plaisir quand des rappeurs comme ça te font confiance.

«Un rappeur ça reste un être humain, un être imparfait»

Dans ton projet tu parles beaucoup « d’être un G » de manière assez large dans plusieurs situation. Dans « 10K », mais surtout dans « Mary Poppin’ ». C’est quoi pour toi être un G ?

Pour moi, être un G, ce n’est pas être un gangster, c’est juste être un mec qui s’assume. Tu n’es pas une bitch, tu fais tes trucs, t’es un mec loyal, sincère, pas une vipère. T’es un mec qui se débrouille seul, c’est important. Tu peux être un G et être prof, si tu te bats pour tes élèves et que t’es un mec bien. Être un G, c’est juste faire les choses bien.

Dans « Galiano » et dans « Braquage » , et depuis tes premières tapes, tu délivrais un message différent des autres rappeurs, limite en déconstruisant le mythe du rappeur. Tu assumes prendre des drogues, avoir des névroses et même parfois décevoir ta mère. C’est important pour toi de montrer que, certes, tu rappes mais que tu restes un mec comme un autre ?

Ça revient a ce que je disais toute à l’heure sur le fait d’être réel. La réalité n’est pas tout le temps belle. C’est la vie : des fois c’est bien, mais des fois tu fais de la m*rde, parfois tu déçois des gens, parfois t’es brillant. C’est de ça dont je parle tout le temps. En vrai, il y a jamais tout le temps de bien ou de mauvais, un rappeur ça reste un être humain, un être imparfait. Je dis juste les choses comme elles sont, même dans leurs imperfections. Moi, je suis là pour dire ce que je trouve réel et, après, il peut y avoir différents axes de vision. Tu peux voir la vie de manière fantaisiste et parler de licornes dans tes morceaux. Mais moi, j’ai plus pris le pas de prendre l’équilibre de la réalité.

Du coup, tu penses quoi des rappeurs qui assument rapper la fiction ?

SCH par exemple, c’est très bien. Tu fais ce que tu veux, il n’y a pas de bonne manière de faire, tant que ton truc est bien à la fin. Après, le rap est n’aime pas trop les menteurs, donc si t’arrives en disant des trucs de ouf et que derrière t’es un flocko, une victime, tu vas perdre toute crédibilité. SCH il a su se protéger, parce qu’il a directement dit qu’il rappait la fiction, donc derrière il peut raconter ce qu’il veut, du moment qu’il est bon. Après, quand tu veux dire la vérité, faut essayer d’être le plus proche de la réalité possible. Mais des fois t’extrapoles, tu parles de choses qui sont arrivées à des gens. Mais ce sont des trucs qui sont vraiment arrivés.

Dans I Hate Love, il y avait déjà ce truc de délivrer des réalités sur toi et ton histoire, par bribes, notamment sur ton père ou d’autres anecdotes. Ce qui a amené aujourd’hui Poème poison où tu nous en dis plus sur ton vécu.

J’avais besoin de le dire à ce moment-là, parce que c’est ce qui me travaillait le plus, donc j’en parlais plus. J’avais jamais vraiment parlé de mon père dans aucun morceau. Pour moi, c’est une sorte d’exorcisme. Je vais chez le psy, écrire c’est ma psychanalyse, donc ça donne des morceaux parfois très intimes.

On le rappelle, Poème poison est ton troisième EP, peut-on s’attendre à un projet long format pour la suite ? Qu’est ce qui nous attend à l’issue de ce projet ?

La santé et beaucoup de biff, du bitcoin, c’est le plus important. Donnez-moi du bitcoin, ça me mettrait bien. En vrai, il n’y a pas de bons formats ça dépend de ce que t’as envie d’envoyer et de l’identité de ton projet. Le prochain sera encore un projet court, de la même taille que Poème poison. Après, on verra.

M le Maudit – Poème poison

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