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Orelsan, Krisy, Tandem : Quand le rap francophone réinvente le storytelling

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De Trinity à JVLIVS… Le rap francophone accorde de plus en plus d’importance à la narration dans ses productions. Orelsan et Gringe, Tandem, Krisy… On a sélectionné cinq projets dont le storytelling s’avère exceptionnel.

2020 touche pratiquement à sa fin. Une année qui nous a une fois de plus offerte une belle poignée de projets très qualitatifs. Pourtant, l’un d’entre eux a sans conteste récolté un succès d’estime plus important que les autres. Ce projet, c’est Trinity de Laylow, qui vient d’ailleurs d’être certifié or. Si le premier album du MC est tant adoubé, c’est en grande partie grâce à la narration immersive qu’il a su insuffler à ses 22 titres. Plus que de la cohérence, on parle ici d’un réel storytelling, c’est-à-dire le fait de raconter une histoire à part entière.

Si des albums comme Trinity, ou encore JVLIVS de SCH, ont su populariser cette structure dans le rap français, ils ne sont pas les premiers à s’y être essayé. L’occasion de s’intéresser à quelques oeuvres qui réinventent la conception d’un projet. Et au casting de cette liste non exhaustive : Gringe et Orelsan, Varnish La Piscine, Krisy ou encore Sheldon de la 75ème Session ! Allez, c’est parti pour la crème de la crème des projets storytelling du rap français.

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Et aussi, « Trinity » : l’histoire sulfureuse du grillz de Laylow

Tandem – La Trilogie (2005)

Force est de constater que cela fait déjà un bon nombre d’années que les rappeurs français s’essayent au storytelling. De « Pucc Fiction » de Booba et Oxmo Puccino à « Petit frère » de IAM, le rap français raconte des histoires depuis sa création. Mais, en 2005, Tandem va plus loin, en sortant La Trilogie. 3 morceaux issus de l’album C’est toujours pour ceux qui savent, mais que l’on considère comme un petit projet à part entière.

On y suit l’histoire de Mac Tyer, qui raconte trois étapes du vécu du personnage qu’il incarne. D’abord, « Un Jour Comme Un Autre » qui relate sa survie en prison après un passé complexe et turbulent. Ensuite, « Frères Ennemis », dans lequel il raconte sa sortie de prison, ses envies de s’en sortir légalement… Mais le fait que l’appel du vice reste plus fort que tout. Et surtout, le morceau termine sur une scène anarchique digne d’un film de Tarantino entre lui, l’un de ses ennemis, et la police. Scène violente qui conduit directement à la dernière partie de la trilogie : « Le Jugement ». Un classique du rap français dans lequel on retrouve Mac Tyer sur le banc des accusés, Diam’s en juge, Kery James en avocat, Kazkami, Lino et Tunisiano en témoins, Mac Kregor en victime et Faf Larage en procureur.

La Trilogie est un storytelling puissant, aussi concis que dénonciateur. «Mais putain, là j’étais en train de m’en sortir / Mais va te faire foutre, c’est quoi cette justice de merde», peste désespérément Mac Tyer. En effet, ce projet critique le caractère discriminatoire de la Justice française. Une Justice qui, ici, préfère couvrir un policier corrompu et condamner un banlieusard innocent plutôt que de prendre ses responsabilités.

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Casseurs Flowters – Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters (2013)

Dans un tout autre style, les Casseurs Flowters nous ont offert entre 2013 et 2015 de très belles histoires à raconter. A l’esprit nous vient directement le film Comment c’est loin scénarisé et réalisé par Orelsan. Mais souvenez-vous du premier album des Casseurs Flowters sorti en 2013 qui, lui, est un projet totalement musical. Il pose les bases de l’univers Casseurs Flowters et sert de prémices au film qui sortira deux ans plus tard. Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters propose une immersion dans la journée type des deux acolytes. Le tout, entre glande, débilités, ivresse et remises en question.

Chaque track symbolise une heure de la journée, et donc l’avancée d’Orelsan et Gringe dans leur objectif : concevoir un single pour leur producteur Ablaye. Mais la journée commence à 14h58. «Abattu par la fatigue d’avoir rien branlé / Le projet c’était d’rien foutre et j’ai aucun plan B» : les premières mesures d’Orelsan dans « Regarde comme il fait beau dehors » annoncent la couleur. Autant dire que la partie n’est pas gagnée d’avance.

Orelsan et Gringe sont les Casseurs Fowters est un album ponctué d’interludes profondément humoristiques. En fait, il n’a aucune autre prétention que de retracer l’itinéraire de deux jeunes de province un peu perdus. Les moments d’errance sous l’abribus, les débats sur les petits jobs, les sorties en bar et en boîte de nuit, les prostitués, les petites copines, l’ivresse… Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters est un sublime portrait de deux hommes dont «ce n’était pas la journée la plus constructive», comme le souligne Orelsan dans l’outro du projet.

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Et aussi, L’Odyssée de la lose et de la procrastination selon les Casseurs Flowters

Varnish La Piscine – Le regard qui tue (2017)

Place maintenant à un monde tant féerique qu’onirique. Cet univers fantastique de Varnish La Piscine dans Le regard qui tue plonge directement l’auditeur dans l’ambiance vintage d’une série B. Et telle une véritable série, Varnish La Piscine s’est concocté une fine équipe d’artiste pour l’épauler. Au casting donc : «Bonnie Banane dans le rôle de Gabrielle Solstice / Varnish la Piscine dans le rôle de Sydney Franko / Rico Tha Kid dans le rôle d’Angel de Jesus» comme il le précise dans l’intro du projet. Et sans évidemment oublier son compère de toujours Makala, qui ramène de temps en temps son grain de voix.

Maintenant, fermez les yeux. Imaginez-vous ensuite à Monaco en 1966, et plongez dans l’enquête de Sydney Franko. Le détective s’intéresse à Gabriel Solstice (curieux croisement entre Gabrielle Solice de Desperate Housewives et la gorgone mythologique Médusa), suspectée d’avoir assassiné de nombreuses personnes d’un simple regard. Originale et décalée, cette fiction aussi sensuelle que cognitive mérite d’être écoutée. «Cette histoire n’est pas une histoire / Cette histoire est une expérience», rappelle d’ailleurs le MC suisse.

Krisy – Paradis d’amour (2017)

Deux mois à peine après la sortie de Le regard qui tue, Krisy choisissait également en mars 2017 de nous bercer dans sa délicate narration. Un récit idyllique, puisque le rappeur belge nous emmène dans son Paradis d’amour : un monde parfait dans lequel Krisy est à son apogée, où tout est fait pour qu’il se sente bien. Tout commence lorsque, errant dans la rue, il rencontre une fille (incarnée par Chloé Mailly). Elle lui promet qu’il va «voir les choses en grand» dans « Discussion nocturne ».

S’ensuivent dragues et romances, notamment dans le sublime morceau « Érotiquement votre » dans lequel Krisy propose à la jeune femme de monter sur Bruxelles pour la produire. Tout va pour le mieux donc, jusqu’au moment où ce séjour dans son Paradis d’amour se termine. Devenu méfiant, Krisy se rend compte du caractère fictif de cette relation et choisit de prendre ses distances. «Femme, je te le demande gentiment, peux-tu me laisser ?»demande-t-il alors dans « Elle, me parle ». Paradis d’amour est une ballade romantique qui balaye la pluralité du spectre amoureux. Cohérent et immersif, Krisy illustre de la meilleure manière sa vision artistique dans un storytelling juste et bien dosé.

Sheldon – Lune Noire (2019)

Et enfin, comment ne pas terminer sur l’album storytelling le plus colossal de ces dernières années. Cette fois-ci, rien à voir avec ce qui vous a été proposé précédemment. Lune Noire de Sheldon, sorti en 2019, est un merveilleux récit d’aventure distopique à la troisième personne. L’album raconte le parcours d’un jeune garçon qui va apprendre à découvrir le monde qui l’entoure. Notamment les hommes, les robots, les sentiments, et surtout, la quête qui est la sienne. Bravant l' »Océan », la « Forêt », la « Lune », le « Désert »… Le «môme», comme Sheldon se plait à l’appeler, va devoir affronter toutes ces épreuves afin de réunifier le clan des hommes et celui des robots. Un récit magistral digne du plus élaboré des films de fantaisie.

On y retrouve quelques-uns des membres de la 75ème Session, qui se mettent pour l’occasion au service de Lune Noire. A l’image de M le Maudit par exemple, qui revêt son costume de scientifique dans le morceau « Lune », ou encore Inspire, Shien et Célestino. Et à vrai dire, Lune Noire est plus qu’un simple album. D’abord, parce qu’il est subjugué par un premier EP de quatre épisodes Quart de Lune, qui sert de préquel à Lune Noire. Mais aussi au travers d’un jeu vidéo rétro dans lequel on peut directement incarner le jeune garçon. Et ce n’est pas tout, puisqu’on peut également lire la bande-dessinée Lune Noire réalisée par Manx sur le profil Instagram de Sheldon. En fait, Sheldon a construit une véritable mythologie, et repoussé par la même occasion les limites du storytelling.

Dans le reste de l’actualité, (Grand) Médine : le passé, le présent et l’avenir du rap

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