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Entre fake news et déclarations absurdes, l’affaire Médine est insupportable

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Alors que son nom résonnera dans l’enceinte du Bataclan le 19 et 20 octobre prochain, le rappeur havrais nourrit une polémique insupportable, vaine et malheureusement très représentative. Une nouvelle preuve du mariage incomplet entre le rap et une partie de la France.

Dans le journalisme, on relève plusieurs fondamentaux à respecter. Le premier, évidemment : la vérification des sources. Un pilier central qui constitue l’essence même du métier. Plus loin dans la hiérarchie de la profession, on note que l’utilisation du « je » dans un article est quasiment bannie. Tout simplement parce que la construction d’un article répond à une certaine déontologie dans laquelle n’est pas compris la première personne. Elle ne sera utilisée que lors de mesures exceptionnelles : dans des exercices de style, ou lorsque le journaliste se sent directement impliqué dans un article, écartant son objectivité au profit d’une certaine pertinence.

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Pour information : cet article ne sera pas un exercice de style. J’ai pris beaucoup sur moi pour éviter de me lancer dans d’interminables débats sur Twitter, car on connaît la sagesse des réseaux sociaux quand il s’agit d’argumenter dans le calme. Dans une autre mesure, certaines déclarations d’hommes politiques m’ont paru tellement ahurissantes que j’ai pris le temps d’aller les vérifier, une par une, en espérant qu’il ne s’agisse là que de l’oeuvre d’internautes mal intentionnés, comme souvent. Mais non. Mes deux yeux écarquillés, la main sur le front, me demandant pourquoi je me lançais encore dans un article fleuve, me muant un instant sous les traits d’un chevalier blanc qui agite son épée dans le vide, j’ai halluciné devant ce soudain emballement qui secoue la twittosphère.

Mais en réalité, je suis le chevalier de rien du tout. Je me suis simplement perdu dans une nouvelle tentative de clairvoyance au milieu d’une France qui ne m’a rarement autant déçu. Au-delà de la politique et de tout ce qu’implique cette énième polémique, ce sont ces lourdes conséquences sociétales que j’ai du mal à assumer. Des gens qui n’y connaissent rien, qui ne veulent pas connaître, mais qui jugent pertinent de donner leur avis. Les fake news défilent à la vitesse de la lumière tandis qu’une imposante masse élitiste tentent de déployer son vocabulaire le plus soutenu pour rendre crédible des faits qui sont, au mieux, pathétiques. Partagés des milliers de fois, certains illustrent avec une transparence ironique la capacité moutonnière qu’a Twitter à s’exciter sur ce qui était, seulement quelques heures plus tôt, du néant.

Dans le monde politique

Brice Hortefeux et Jean-François Copé, qui ne représentent plus rien d’autres que leurs égos dopés au buzz, s’acharnent tour à tour sur un rappeur qu’ils ne connaissaient pas la veille. « Ce monsieur devrait exercer son absence de talent ailleurs » suggère Brice Hortefeux. Ne vous demandez plus pourquoi la fracture entre la France ouverte et la politique est si profonde. Ne vous demandez plus pourquoi le climat est si lourd dans ce pays, si les élites politiques s’autorisent à ressortir des polémiques uniquement lorsqu’elles peuvent leur être utiles ? Peut-être parce qu’ils ne leur reste plus que ça. Jean-François Copé, tente de faire croire que c’est « insupportable que Médine se produise avec tout ce qu’il se passe dans notre pays ».

Une large majorité des élus d’extrême droite, portés par Marine Le Pen, ont embrayé la polémique. Quelques heures plus tard, c’est une droite plus modérée qui paraphait une pétition contre l’annulation pure et simple du concert de Médine au Bataclan. Bruno Retailleau, sénateur de Vendée ose même une comparaison avec Dieudonné. Mais là où Médine se montre parfois très, très, borderline, Dieudonné est largement passé de l’autre côté de la frontière. Preuve : la justice l’a puni pour ça. Le rappeur ne fait pour l’instant l’objet que de simples contestations sur les réseaux sociaux. En aucun cas la justice l’a invité à comparaître pour un quelconque texte. Et jusqu’à preuve eu contraire, la loi n’interdit pas le rap. « Jusqu’à preuve du contraire » dois-je répéter.

Le symbole du Bataclan effronté

Il y a quelques mois, Médine offrait l’un de ses plus beaux clips en reprenant le gimmick « Tout ce que je voulais faire c’était le Bataclan ». Contrairement à ce qui pourrait être évoqué, cette chanson n’a absolument rien à voir avec les évènements qui s’y sont produits quelques années plus tôt. C’est simplement un hymne introspectif dans lequel il précise que son rêve, en tant qu’artiste accompli, serait de fouler la scène du Bataclan. Le problème c’est que, plus que d’être une salle de concert emblématique, le Bataclan se dresse désormais en symbole d’une France forte face au terrorisme islamiste. La musique de Médine ne dérangeait donc personne jusqu’à qu’il emmène « ses paroles » sur la scène du Bataclan.

Ces paroles sont le point ultime de contestation. Dans son malheureusement très peu inspiré « Don’t Laïk », Médine fonçait sérieusement dans un mur qu’il s’était promis d’éviter, avec une rare maladresse et des punchlines ultra provocantes. Il l’a d’ailleurs très justement remarqué lui-même.

« La provocation n’a d’utilité que quand elle suscite un débat, pas quand elle déclenche un rideau de fer. Avec Don’t laïk, c’était inaudible, et le clip a accentué la polémique. J’ai eu la sensation d’être allé trop loin. »

Ce « trop loin », c’est ce qui remet en cause sa programmation au Bataclan. Le problème, c’est que l’amalgame si apeurant qui traverse les moindres propos publiés sur le web depuis trois ans, est bien raccourci selon les situations. Médine en paie malheureusement les frais. Il paie aussi les frais de son album Jihad, le plus grand combat est contre soi-même que nul autre que lui ne peut expliquer mieux que nous au micro de Mouloud Achour dans Clique

« C’était en 2005, dans un autre contexte. Mon message s’adressait à ceux qui [auraient été] tentés de partir combattre et en même temps à ceux qui ont une définition de ce terme complètement galvaudée. Aujourd’hui, sortir un album avec ce titre-là, c’est impossible. »

Sobrement, l’artiste a répondu aux critiques sur ses réseaux sociaux.

Avant tout, afin de lever toutes ambiguïtés, je renouvelle mes condamnations passées à l’égard des abjects attentats du…

Publiée par Medine sur lundi 11 juin 2018

Le rap, plus polémique que jamais

Plus il devient populaire, plus le rap se heurte à d’hostiles barrières qui remettent en cause sa présumée force de rassemblement. OrelsanDamso, puis désormais Médine, dans une catégorie complètement différente puisqu’elle prend en compte la forme religieuse. Un seul point commun unit ces trois polémiques. En fait, non, il en existe deux : tout d’abord, la futilité, puisqu’aucun mot ne peut mieux les décrire. Ensuite, la désinformation, la mésinformation et la méqualification à parler de faits qui, au-delà du buzz, n’ont rien de cohérents.

Au lieu de prendre soigneusement le temps de retweeter la moindre fake news ou citation absurde non verifiée, prenons simplement quelques minutes pour écouter les morceaux et Médine et ses interviews qui, elles, sont bien de notre monde.

« Tout ce que je voulais faire, c’était le Bataclan »

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