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Faire la couverture des Inrocks : un objectif à atteindre pour les rappeurs ?

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Souvent, parfois plusieurs fois par mois, l’hebdomadaire consacre sa « couv » au rap. À tous les raps. De Booba à Lomepal, de Nekfeu à Moha La Squale, jusqu’à Roméo Elvis, cette semaine en Une. Chacun semble avoir accepté de bon cœur l’invitation du magazine. L’hostilité aux médias, ce thème très présent dans les textes des rappeurs francophones, s’apaise dans le cas « Inrocks », voire se mue en fierté. Une sympathie réciproque semble être éprouvée. Décryptage.

« Un passeur du néo-rap ». L’hebdomadaire les Inrockuptibles, familièrement appelé par tous les Inrocks, qualifie ainsi le cover-boy de leur nouvelle édition, parue ce mercredi 27 mars. Roméo Elvis sort un premier album « choc », juge-t-il, en référence à son titre : Chocolat. Au centre d’un fond vert bouteille, le rappeur qui milite contre les bouteilles plastique, pose, décontracté, en croquant dans une tablette de Chocolat. On voit des signes partout. On voit, surtout, un attachement de plus en plus affirmé du magazine culturel au rap français : il lui consacre des longs entretiens, des portraits, des grands angles, et, graal, sa couverture. Et parfois, ses couvertures. À l’instar de Lomepal, qui, au cours de la même année, a posé deux fois en première page. Pour la sortie de FLIP, il recouvrait les étalages de kiosques en posant derrière un fond vert. Dix mois plus tard, pour l’édition du 28 novembre 2018 et à l’occasion de la sortie de Jeannine, le revoilà dans nos kiosques, kebab en bouche. Cette fois, Lomepal partage la couverture et une interview croisée avec Philippe Katerine, son ami et acolyte du morceau Cinq doigts.

Une liste impressionnante de rappeurs à la Une

« Damso qui es-tu ? » En clin d’œil à la question obsédante du rappeur belge dans le morceau d’introspection Kietu, les Inrocks titraient ainsi leur édition de la semaine du 16 juin 2018. Deux jours avant la sortie de son troisième album, et désormais classique LithopédionDamso se dévoilait dans les colonnes du magazine : de son enfance à Kinshasa à sa rencontre avec Booba, jusqu’à son triomphe.

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Trois semaines auparavant, Moha La Squale sortait son premier album, Bendero, et pour accompagner la grande nouvelle, l’étoile montante du rap français posait en couverture des Inrockuptibles. Et le rappeur ne cachait pas sa fierté devant cette Une qui lui était consacrée : Moha Le Squale partageait une photo de lui, deux magazines à la main, devant un mur où la couverture, imprimée format XXL, était collée. Double mise en abyme et émotion maximale. En dessous d’une précédente publication, il légendait : « Qui est-ce qui fait la couv’ des Inrocks demain ? » ; et on imagine en lisant la question rhétorique le ton de celui qui la pose, un homme fier et excité.

En réalité, Damso et Moha La Squale relèvent davantage de la règle que de l’exception. La liste des rappeurs mis à l’honneur en première page du magazine ne cesse de s’allonger. Nekfeu en binôme avec Catherine Deneuve faisait la Une la semaine du 24 octobre 2017 (et ce n’était pas sa première fois, il avait déjà posé en première page du magazine aux côtés de l’auteure Virginie Despentes, une autre fois avec son S-CREW), puis vint le tour d’Orelsan et du «King Booba » – comme le journal titrait – en février de cette même année. Le mois d’avril était sans doute le plus éloquent : sur leurs quatre numéros parus, deux mettaient le rap au premier plan. L’un proposait une rencontre au sommet entre l’incontournable Mouloud Achour (et l’on appréciait cette forme d’« humilité » de faire appel à un journaliste extérieur, reconnu pour ses interviews hip-hop) et les producteurs Dr. Dre et Jimmy Iovine, celui de la semaine suivante affichait Roméo Elvis en couverture, dans les bras de sa sœur, la chanteuse Angèle.

Média papier, nouveau plafond de verre à briser ?

Chacun des rappeurs français ou belges cités semble avoir accepté de bon cœur l’invitation du magazine. L’hostilité aux médias, ce thème très présent dans les textes des rappeurs francophones, quels que soient leur courant ou leur époque, s’apaise dans ce cas, voire se mue en fierté. Lorsque Nekfeu était à l’affiche de Tout nous sépare, le long-métrage de Thierry Klifa, et partageait la couverture du média avec Catherine Deneuve pour cette actualité, l’Entourage du rappeur avait inondé les réseaux sociaux de messages exprimant leur fierté et leur émotion sous un cliché de leur magazine retiré en kiosque.

Un respect mutuel semble s’être installé entre les deux parties. Comme si, plus que l’argent, plus que la notoriété auprès d’un public -physique ou virtuel-, la reconnaissance médiatique était le nouveau – ou dernier ? – plafond de verre à briser. Interviews condescendantes ou réductrices, et parfois… pas d’interviews tout court. La sous-représentation des rappeurs dans le paysage médiatique traditionnel est telle, que dès lors qu’un magazine papier corrige le tir, nous sommes-là, à nous étonner, au point d’écrire un article pour le souligner. À écrire un article qui sera publié en ligne d’ailleurs. Car ce sont bien les pure-players qui parlent (mieux ou suffisamment ? ) hip-hop, en tout cas largement plus que les médias traditionnels culturels.

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Le succès est à quelques clics. L’argent dépend maintenant de ce nombre de clics. Mais la reconnaissance (voire le mea-culpa) des médias traditionnels ? Peut-être est-ce cela le plus complexe à décrocher pour un rappeur aujourd’hui. Et donc, le plus réjouissant à obtenir.

Glissement naturel ? Prévisible ?

Les rappeurs français ont-ils besoin de passer par la case « couverture des Inrocks » pour faire leur « confirmation » ? Ou est-ce le magazine qui a aujourd’hui besoin des rappeurs pour perdurer ? Cette réciproque à la première question s’est posée, après une conversation avec un voisin il y a plusieurs mois (bien avant le succès de l’album Jeannine).

– Que fais-tu ce soir ?
– Je vais à un showvase de Lomepal. Je ne sais pas si tu connais cet artiste.
– Si, un peu ! Mais seulement parce que je suis abonné aux Inrocks.

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Ce fan de rock de 40 ans aurait pu s’en plaindre. Après tout, il paye chaque mois et depuis des années son abonnement parce qu’il aime le rock, et pour aucune autre raison. Mais il semblait au contraire heureux d’être au fait des tendances musicales et des figures du moment.

Sept jours après sa couverture consacrée à Damso, Les Inrocks dressaient le portrait du rappeur « le plus controversé de la planète », selon le teaser à la Une. Et si l’on imagine aisément que « décrocher le couverture des Inrocks » n’est ni un rêve ni un objectif que Kanye West désirait cocher dans sa to-do list, cette (très belle) première page confirme, d’une nouvelle preuve, l’intérêt du média pour l’univers hip-hop.

« Rap is new Rock’n’roll » lâchait Kanye West, justement, interviewé en 2013. Depuis, on s’interroge Outre-Atlantique. D’autres signaux que la relation qui s’est nouée entre les Inrocks et les rappeurs montrent que la tendance s’installe aujourd’hui aussi France. Le Festival de musique « rock, électro et techno » Garorock par exemple, dont les têtes d’affiche de sa prochaine édition ne sont autres que Georgio, Lomepal, PLK, Vald et Roméo Elvis.

Et puisque le rap est « le seul son hard-core depuis que le rock n’a plus de couilles, pour citer Youssoupha (extrait du morceau « Menace de mort »), le glissement du rock vers le rap du magazine initialement consacré au rock, cette place qu’il accorde aux rappeurs dans ses colonnes ou ses couvertures, semblent finalement aussi logiques que bienvenus.

 

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