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Classico organisé : un bien triste 0-0

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classico organisé

Spectaculaire promesse du rap français, Le classico organisé révèle les limites d’une initiative fantasmée, aux écueils artistiques bien trop épais pour être pleinement réussie. 

Le coup de sifflet final retenti, et le public du stade de France se lève pour raccompagner les joueurs jusqu’aux vestiaires. Ils sont 158, partagés équitablement entre les tuniques bleu ciel et rouge et bleu. Côte à côte, ils s’offrent un tour du stade, laissant aux spectateurs l’occasion de capturer une ultime fois cet instant historique : Parisiens et Marseillais unis et fédérés. Les tribunes se vident et les supporters évacuent l’émotion : finalement, le match n’était vraiment pas fou. Alors, oui, quel plaisir de voir de si beaux joueurs réunis sur un même carré vert. On a vu quelques beaux gestes techniques, ressenti quelques frissons sur certaines percées, mais globalement, l’affiche était plus belle que son contenu. Et globalement, c’est ce qu’on en retiendra.

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Un an après avoir réuni la scène phocéenne sur 13’organisé, Jul a pris la A7 jusqu’à la capitale, pour entreprendre ce qu’aucun autre n’avait osé effleurer jusqu’alors : fusionner Paris et Marseille sur un seul et même projet. Ainsi, Le classico organisé n’est pas un échec, sa seule existence est une prouesse. Mais son cruel manque d’équilibre, ses redondances agaçantes et sa densité épuisante n’en font pas non plus une réussite. Marquant l’histoire par son caractère universel, traversant les générations, l’album est peut-être passé à côté de quelque chose. Mais surtout, il prouve une nouvelle fois qu’une telle initiative implique des sacrifices dans l’harmonie et la construction. Analyse.

Le Classico organisé, une ambition XXL

Voilà désormais plus d’un an que Jul a endossé le rôle de sélectionneur du rap français. On l’a répété à maintes reprises : ses travaux sont colossaux. Aucun autre artiste ne semblait capable d’un tel exploit. Il faudrait aller fouiner au fin-fond des catalogues du rap français pour en être persuadé, mais la réunion de 158 artistes sur un même projet a des airs de record. L’équipe du Classico en a d’ailleurs fait l’un de ses atouts promotionnel majeur. Et c’est tout à fait respectable. En fait, il existait deux approches pour fédérer deux scènes aussi denses que Paris et Marseille. La première : rassembler quelques grosses têtes du milieu au profit d’une tracklist sobre, d’une quinzaine de morceaux. On aurait ainsi une grosse poignée d’artistes, des affiches marquantes mais, aussi et surtout, un format « exclusif », élitiste. Jul a préféré l’union, avec la seconde option : taper au plus large. Ouvrant son carnet d’adresses, l’artiste ne s’est pas posé la moindre contrainte quant à la densité d’artistes présents. À la seule exception que les forces devaient être équilibrées à 50-50. 

Après tout, ça ne semble pas un problème. L’ambition est grosse, le casting aussi. Et la tracklist s’amplifie au rythme des invités, quitte à glisser vers un triple album. Dans la promesse, l’idée était bonne : le projet se devait d’être long pour éviter les morceaux à rallonge qui ont perdu les auditeurs un an plus tôt au sein de 13’organisé. Ainsi, avec 158 artistes pour un total de 30 titres, on arrivait à une moyenne de 5 MC’s par morceau. C’est beaucoup, mais le compromis semble respecté : on avait là de quoi mêler les deux scènes, en les répartissant selon des styles et des approches différentes. Étendre la tracklist, c’était aussi l’occasion d’organiser des titres en plus petit comité, à 4-5 rappeurs, pour gonfler le prestige de certains morceaux. Et surtout : d’offrir la possibilité concrète à certains rappeurs de se démarquer, de valoriser certaines performances. Tant d’idées et d’espoirs dilués dans une masse médiocre. 

Le Classico organisé répète les mêmes erreurs repérées un an plus tôt sur son schéma phocéen. En version XXL. Des titres trop long, des castings trop denses, un manque cruel de discernement sur les apparitions de certains rappeurs. Leurs forces sont trop dispatchées, parfois même anecdotiques. « Les galactiques », subjuguant par ses ingrédients promis, prend la forme d’une recette aseptisée, aux couplets imbriqués autour d’un type-beat pauvre qu’aucun invité n’aura su relever. Il caractérise parfaitement la frustration du projet : mettre à profit de tels noms pour un rendu si faible. Alors oui, on pourra répéter une énième fois qu’aucun autre projet n’aurait pu réunir Rohff, Kaaris, Jul, Gims et Alonzo sur un même titre. Mais le talent de certains acteurs et son aspect exceptionnel ne peut compenser l’absence criante d’efficacité. D’ailleurs, les Parisiens acquiesceront certainement les dents serrés, en souvenir du trident offensif de leur club. 

Jul, meneur de jeu omnipotent

Au même titre que l’on a loué ses facultés fédératrices, on peut également juger le modèle artistique de Jul, trop formaté pour la création d’un tel projet. En chef d’orchestre de l’initiative, Jul a pétri l’opus à son image, lui incorporant son sens du partage, certes, mais en lui imposant une recette qui ne convient pas toujours. La « Loi de la Calle », premier single du projet, avait pourtant une bonne énergie, en puisant dans les forces des différents invités pour en tirer une substance commune. Un gabarit presque unique. « Légendaire » se calque sur ce même schéma, quelques autres titres peut-être, mais en tout cas trop peu pour en retenir quelque chose chose de suffisamment positif. Seuls quelques morceaux ressortent et, pire, trop d’artistes sont transparents, car perdus au sein du huitième couplet d’un morceau trop long, qui ressemble à trop d’autres. 

On peut la comprendre, la justifier, mais l’omniprésence de Jul n’aide pas non plus à se détacher de son univers. Le rappeur marseillais est présent sur vingt-cinq morceaux, soit 83% du projet. C’est malheureusement trop pour un album qui cherche à unifier 158 artistes. Jul, comme d’autres rappeurs aux présences plus répétées (SCH, Soso Maness, Naps), grignotent l’espace promis à d’autres artistes, qui se contentent de jouer les doublures au fin-fond d’un track. Un constat qui révèle d’ailleurs la disproportion entre la scène marseillaise et celle francilienne, qui abrite huit départements, et donc un réservoir de rappeurs bien plus consistant. Pour compenser les forces, les artistes phocéens se démultiplient et renforcent ainsi le sentiment de redondance. Ou alors, cèdent leurs places à des artistes beaucoup plus confidentiels, qui se frottent aux gros calibres parisiens, dont les présences deviennent dérisoires. Bref, un déséquilibre compréhensible, brièvement neutralisé par les gros singles du projet qui proposent un rapport de force plus mesuré, mais décevant.

Le Classico organisé se heurte ainsi à trop de défauts pour tenir sa promesse exceptionnelle. S’il n’en a pas la prétention, par son universalité et sa densité, d’aller jouer des coudes avec les meilleurs albums de l’année, on attendait de lui quelques pièces marquantes et symboliques. C’est à peine le cas, grâce à la « Loi de la Calle », « Légendaire » ou le poussif « Classico organisé », dont les présences parisiennes viennent apporter un peu de fraîcheur à un modèle répétitif. Il en ressort surtout beaucoup de frustration, de ne pas avoir fait mieux avec de tels arguments. Le Classico organisé trébuche aux portes de son ambition historique. On pourra regretter l’absence d’un morceau féminin, qui aurait réparé le bad buzz du remix de « Bande organisée » un an plus tôt. On pourra regretter l’utilisation de certains artistes, trop discrets, trop oubliables. On pourra même regretter l’absence de la plupart des grosses têtes parisiennes actuelles. Après tout, les grands matchs ne tiennent pas toujours leurs promesses.

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